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Projets-pilotes de haltes-garderies sur campus

« Le bébé de tout l'monde »

Le 3 février dernier, la ministre de la Famille dévoilait les neuf projets pilotes retenus de haltes-garderies en milieux d’enseignement ; le Grand chantier pour les familles était à l’œuvre. Trois de ces projets pilotes concernaient le réseau collégial. Deux d’entre eux sont déjà en action en Abitibi-Témiscamingue et à Sept-Îles. Un mois plus tard, on prend des nouvelles.

Olivier Veilleux-Spénard, Portail du réseau collégial

À Sept-Îles, Louise Pineault, vice-présidente du conseil d’administration de l’organisme communautaire Centre Alpha Lira qui porte le dossier, est sous le charme. Après un seul mois, elle juge le service bien rodé. « Ça se déroule comme dans le livre. Tout le cégep s’est approprié le projet dans le but, oui, de faciliter la conciliation famille-étude, mais surtout dans le but que les enfants soient bien. »

La voix souriante, elle nous raconte une histoire qui pour elle en dit long sur l’effet rassembleur instantané du projet. « Dans les premiers jours, un membre du personnel de l’entretien s’est présenté à la halte-garderie l’air sérieux. Lors de sa tournée la veille, il avait remarqué qu’un coin de bureau trop pointu à son gout posait un risque pour les enfants, et il demandait la permission de l’arrondir. C’est là que j’ai réalisé que la halte-garderie était devenue le bébé de tout le monde. »

La halte-garderie à Sept-Îles n’a par ailleurs pas perdu de temps pour se greffer à l’ADN du Cégep en choisissant, à l’issue d’un concours étudiant, le nom de La halte des petits voyageurs. La référence est claire aux équipes sportives des Voyageurs du Cégep de Sept-Îles dans le réseau du sport étudiant du Québec.

 

Val-d’Or

Tout comme à Sept-Îles, le projet-pilote de halte-garderie sur le campus de l’UQAT et du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue prend racine rapidement.

Marie-Pier Dupuis, conseillère à la vie étudiante du cégep, nous parle de l’alignement « céleste » qui a mené à la création de La Petite Ourse : « Nous étions ouverts depuis un an, au début sans financement, ensuite avec trois bailleurs de fonds : la Fondation, l’Association étudiante, et le Cégep lui-même. Quand l’appel de projets est sorti, c’était écrit dans le ciel qu’il fallait ouvrir une halte-garderie. Un local parfait sur le campus se libérait, des gens sont venus vers nous pour offrir leur service, et le besoin vraiment était là. Donc c’est allé vite, en neuf mois, on est passé de la première discussion à l’ouverture de la halte par la librairie La procure étudiante de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). » Marie-Pier affirme aussi que la subvention ne pouvait mieux tomber, car elle et Kathy McGuire, directrice du campus, en étaient à envisager de fermer des périodes et de solliciter le soutien du secteur privé.

Maintenant que la Petite Ourse brille sur le « petit » campus de 400 étudiants, Marie-Pier nous décrit des scènes de leur quotidien : « Ça crée toute une ambiance. Il y a des enfants qui se promènent dans les corridors. Des étudiants passent faire leur tour pour dépanner les éducatrices. On a un piano dans la cafétéria, et ce n’est pas rare que des enfants y jouent au travers des grands. Les étudiants aiment ça. »   

La Petite Ourse a déjà sa chanson thème…
 

À la Petite Ourse

Comme la vie est douce

Tu es mon étoile

Unique et brillante

Toutes nos différences

Nous regroupent ensemble

La magie s’installe

Suis-moi à la Petite Ourse

Une belle façon d’accueillir

Un point en commun qu’ont la Halte des petits voyageurs et la Petite Ourse : elles répondent à un besoin ressenti par les étudiants internationaux ayant une mise à niveau à faire pour être reconnus, par exemple, par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Marie-Pier nous rappelle également la grande pénurie de places en milieu de garde dans la ville et que « c’est pas tout le monde qui a des grands-parents ou de la famille prête à aider. » Louise Pineault fait le même constat à Sept-Îles et souligne également la situation géographique d’une ville comme Sept-Îles, à 60 km de Port-Cartier d’un côté, et à 220 km Havre-Saint-Pierre de l’autre. « Ça fait beaucoup de route pour venir dépanner quelqu’un si tu ne demeures pas à Sept-Îles. La porte d’à côté, ici, c’est loin. »  

Ça sauve des diplômes

S’il faut être inscrit comme étudiante pour bénéficier de place dans la halte-garderie, l’inverse aussi est souvent le cas. En effet, pour plusieurs parents-étudiants, à Sept-Îles comme à Val-d’Or, le service de halte-garderie sur le campus est conditionnel à l’inscription. En d’autres mots, pas de halte-garderie, pas d’études. Sans donner de détails, Marie-Pier nous confie un cas précis où une étudiante s’est retrouvée seule avec ses enfants lors de sa dernière année de technique et que sans la halte-garderie, elle n’aurait pu effectuer son stage. « Pour elle, ç’a fait toute la différence ; elle nous en parle encore. »

Là où les petits apprennent aux grands

Voici donc les haltes-garderies-écoles émergeant enfin officiellement des rouages du système. Outre leur apport indéniable à la diplomation, les avantages pédagogiques d’une halte-garderie au sein de programmes d’éducation à l’enfance n’ont pas tardé à se faire sentir. Questionnées sur la contribution de la halte-garderie à la bonification de l’enseignement, Louise et Marie-Pier sont unanimes, ça se voit déjà et le potentiel est très grand. « Le programme technique en éducation à l’enfance bénéficiait déjà d’étroite collaboration avec un service de garde à deux pas du Cégep. Les étudiantes pouvaient observer des comportements d’enfants et mettre en pratiques les notions d’interventions. Mais avec un service complet à même le collège, on peut mettre en pratique une foule de compétences comme la prise en charge de la fermeture ou de l’aménagement des pièces », nous dit Louise.

«Le cours se déroule dans la halte-garderie et chaque étudiante prend en charge un coin spécifique, le coin dodo, le coin bricolage, etc.» Marie-Pier Dupuis»

En Abitibi-Témiscamingue, Marie-Pier témoigne d’expériences magiques qui prennent vie à travers la halte-garderie. « Ce qui me fascine, ce sont des projets comme celui avec l’AEC en Éducation en services à l’enfance en milieu autochtone où l’enseignante intègre, dans le cadre de ses évaluations finales, tout l’aménagement du local. Le cours se déroule dans la halte-garderie et chaque étudiante prend en charge un coin spécifique, le coin dodo, le coin bricolage, etc. Ça nous donne des projets merveilleux et c’est vraiment bien pour créer un sentiment d’appartenance et encourager le maillage interculturel. C’est vraiment important ici. »

Lorsqu’on pousse la discussion, on constate rapidement que les haltes-garderies peuvent nous aider à développer plus qu’une expertise en éducation à l’enfance. Au-delà de la gestion des « crises de bacon », on peut intégrer des notions de gestion de ressources humaines, de budget, de pharmacie, de soins infirmiers, notions qui collent à beaucoup de programmes.

Des initiatives étudiantes

Nadia Boudreau est aujourd’hui directrice partenariat et développement à l’Association des haltes-garderies communautaires (AHGCQ), premier partenaire du projet pilote québécois des haltes-garderies en milieux d’enseignements. Pour elle, son aboutissement a pris « trop de temps ». Une décennie auparavant, elle était éducatrice principale dans une halte-garderie de l’Association générale des étudiants-es de l’UQTR, (qui deviendra « Le P’tit bacc »), et présidente de l’association.

Elle n’a jamais lâché le morceau. « En 2013, j’étais prête à créer des haltes-garderies pour tout le monde sur le campus, pour les métiers, les enseignants, l’administration, mais ça nous mettait en situation de garde illégale : on ne pouvait pas offrir un service de garde avec des inscriptions prévues à l’horaire ; on devait s’en tenir à des services de répits imprévus. Ce n’est que depuis le 1er septembre 2022, date d’entrée en vigueur des modifications à la Loi sur les services de garde éducatifs, que les haltes-garderies en milieu d’enseignement sont possibles. » Le service de garde « illégal » est donc désormais légal, et financé.

Questionnée sur l’impact de la halte-garderie sur la diplomation selon sa longue expérience de terrain, Nadia affirme que ça dépasse la conciliation famille-étude. « À l’UQTR, étant donné que le service était en place, il y a des étudiants qui ont décidé d’avoir des enfants pendant leurs études. » C’est vrai que ce concept de « création » famille-étude facilite à l’avance la conciliation famille-travail. Avoir su… « Il y a également des gens qui n’avaient pas complété leur bac, leur maîtrise, leur doctorat, pour quelconques raisons, et qui l’ont fait parce que la halte-garderie le leur permettait. »

C’est vers Nadia Boudreau que des personnes engagées comme Marie-Pier Dupuis et Kathy McGuire d’Abitibi-Témiscamingue se sont tournées pour comprendre et mettre sur pied un service essentiel.

On trouvait en 2001 une halte-garderie en milieux d’enseignements collégiaux et universitaires: Le Baluchon, premier service du genre fondé par la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal.