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La pédagogie inclusive

Une réponse à la diversité croissante des profils étudiants

Dans une récente étude, une équipe de chercheurs et chercheuses a voulu mieux comprendre comment les enseignant-e-s perçoivent la hausse actuelle du nombre d'étudiant-e-s en situation de handicap ainsi que la représentation qu’ils se font leurs rôles et responsabilités à l’égard de l’inclusion.

Par Élise Prioleau, rédactrice

Depuis une vingtaine d’années dans le réseau collégial, le nombre de personnes étudiantes en situation de handicap (PESH) a été multiplié par quinze. Entre 2007 et 2022, leur nombre est passé de près de 1500 à plus de 22 000. Cette hausse rapide a entraîné une diversification considérable des profils et des besoins d’apprentissage, exigeant une adaptation constante des pratiques pédagogiques et institutionnelles.

De nombreuses personnes étudiantes vivent avec un handicap invisible, qu’elles aient une dyslexie, un trouble anxieux ou un TDA/H. Elles peuvent choisir de taire leur situation de peur d’être stigmatisées, et se voient alors privées d’accommodements auxquels elles auraient droit. 
Suzie Tardif, chercheuse principale au centre ÉCOBES

Pour mieux comprendre comment les personnes enseignantes du collégial perçoivent cette évolution et se représentent leurs rôles et responsabilités à l’égard de l’inclusion, une équipe composée de chercheurs et de chercheuses du Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH) et du Centre d'étude des conditions de vie et des besoins de la population (ÉCOBES), a mené l’étude Comment les personnes enseignantes du collégial comprennent-elles l’inclusion et le handicap et se représentent-elles leurs rôles et responsabilités à l’égard des PESH ?

Le Portail du réseau collégial a rencontré deux chercheuses de l’équipe, Audrey Dupont, codirectrice scientifique et chercheuse au CRISPESH et Suzie Tardif, chercheuse principale au centre ÉCOBES.

Des services spécialisés sous pression

« L’augmentation du nombre de personnes étudiantes en situation de handicap a exercé une pression croissante sur les services d’aide à l’intégration des étudiants et étudiantes (SAIDE), dont les ressources demeurent souvent limitées face à la diversité et à la complexité des besoins», explique Audrey Dupont, codirectrice scientifique et chercheuse au CRISPESH.

Comme le souligne le rapport, dans plusieurs établissements, cette évolution s’est traduite par une multiplication des demandes d’accommodements individuels. Une réalité qui pousse le personnel enseignant à s’adapter aux nouveaux besoins de leurs étudiant-e-s et à mettre en œuvre des ajustements pédagogiques en classe.

À cette surcharge institutionnelle s’ajoute également la question des handicaps invisibles. « De nombreuses personnes étudiantes vivent avec un handicap invisible, qu’elles aient une dyslexie, un trouble anxieux ou un TDA/H. Elles peuvent choisir de taire leur situation de peur d’être stigmatisées, et se voient alors privées d’accommodements auxquels elles auraient droit », souligne Suzie Tardif, chercheuse principale au centre ÉCOBES.

En éducation, l’inclusion consiste à créer un environnement d’apprentissage où chacun et chacune a accès aux mêmes possibilités. De petites mesures peuvent avoir un effet considérable. Il ne s’agit pas de transformer du jour au lendemain son enseignement, mais d’avancer un pas à la fois.
Audrey Dupont, codirectrice scientifique et chercheuse au CRISPESH

De l’intégration à l’inclusion scolaire

Historiquement, la réponse institutionnelle à la diversité des besoins s’est inscrite dans un modèle d’intégration, centré sur l’adaptation individuelle. Or, cette approche atteint aujourd’hui ses limites, selon les chercheuses. Dans les dernières années, plusieurs recherches ont quant à elles proposé de favoriser une transition vers un modèle d’inclusion. Un modèle fondé sur le principe d’accessibilité universelle : il ne s’agit plus d’ajuster ponctuellement l’enseignement pour certains, mais de concevoir dès le départ des environnements d’apprentissage accessibles pour tous et toutes.

« En éducation, l’inclusion consiste à créer un environnement d’apprentissage où chacun et chacune a accès aux mêmes possibilités. De petites mesures peuvent avoir un effet considérable. Il ne s’agit pas de transformer du jour au lendemain son enseignement, mais d’avancer un pas à la fois », précise Audrey Dupont.

Parmi ces mesures, notons l’utilisation d’outils universels. Offerts à l’ensemble du groupe, ces dispositifs contribuent à instaurer un climat de confiance et à soutenir la réussite de tous. Parmi ceux-ci, le questionnaire de début de session illustre bien la logique inclusive.

« Dans mes cours, je distribue un questionnaire anonyme aux personnes étudiantes en début de session pour qu’elles puissent identifier leurs besoins. Ça me permet souvent de faire des ajustements dans mes choix pédagogiques. Ça permet aussi d’instaurer un climat d’ouverture dans la classe dès le début de la session», ajoute Suzie Tardif.

Des représentations et des postures enseignantes hétérogènes

L’étude portée par le CRISPESH et le centre ÉCOBES révèle une grande hétérogénéité des représentations sociales de l’inclusion parmi les personnes enseignantes. Si la majorité se montre favorable à la diversification des approches pédagogiques (classe inversée, apprentissage actif, mode hybride) et à l’amélioration de l’accessibilité matérielle (polices lisibles, sous-titrage, documents adaptables), certaines dimensions demeurent plus controversées, notamment l’évaluation.

« L’adaptation des évaluations suscite davantage de résistance, parfois par crainte d’un nivellement vers le bas. Il est important de rappeler que les pratiques inclusives ne doivent pas modifier les compétences à évaluer, mais offrent une flexibilité quant à leurs modalités », précise Audrey Dupont.

Ces résistances ne relèvent pas uniquement d’une opposition de principe; elles traduisent souvent un sentiment de tension entre autonomie professionnelle et injonctions institutionnelles, ou encore une perception d’alourdissement de la charge de travail, selon les chercheuses.

« Le passage à une approche inclusive exige ainsi non seulement des compétences nouvelles, mais aussi un accompagnement soutenu et une reconnaissance institutionnelle explicite du temps et des efforts investis », complète Audrey Dupont.

Des recommandations pour une culture collégiale de l’inclusion

Dans le rapport, l’équipe de recherche formule plusieurs recommandations pour favoriser une culture inclusive au cégep. Elles soulignent d’abord l’importance de renforcer la formation continue du personnel enseignant sur les principes de la pédagogie inclusive et les approches universelles d’apprentissage.

« Parmi les facteurs sur lesquels on peut réellement agir pour soutenir cette transition, il y a la formation offerte au personnel portant spécifiquement sur la pédagogie à visée universelle ou les pratiques inclusives », souligne Audrey Dupont.

Dans le rapport, on recommande également de :

  • développer des espaces de dialogue interprofessionnels pour soutenir le partage d’expériences;
  • valoriser les initiatives à visée universelle dans les plans de réussite et les politiques institutionnelles;
  • et reconnaître le temps consacré à l’adaptation pédagogique dans la charge de travail professorale.

« Promouvoir une culture de l’inclusion au cégep, c’est une responsabilité partagée de tous les acteurs du réseau; les directions d’établissements, les conseillers pédagogiques, les chercheurs, les enseignants et les étudiants », concluent unanimement les chercheuses.

Ont également contribué à la recherche Marco Gaudreault (ÉCOBES), Marilou Charron (CRISPESH), Julien Archambault (Cégep du Vieux Montréal), Alexandre Roy (ÉCOBES) ainsi que Gaëlle Dupuis et Marie-Philippe Côté, étudiantes-chercheuses.

 







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