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Garder l’espoir

Par Alain Lallier
 

Entretien avec Brigitte Bourdages, directrice générale du Cégep de Drummondville

 

Gérer un collège par temps de pandémie, c’est avant tout pour Brigitte Bourdages une question de gestion de crise. Le faire en virtuel ajoute une complexité supplémentaire au défi, et le type d’ennemi à combattre est aussi très particulier. « Lors de la grève du printemps érable, nous pouvions dire à notre monde : nous en avons pour deux ou trois semaines ; on donne un coup de collier et on va passer à travers. Le défi actuel, c’est de n’avoir aucune idée de la durée du défi. Nous gérons dans l’incertitude la plus totale. Nous n’avons aucune date en référence pour pouvoir dire ça va aller mieux. Ce que l’on sait, c’est que ça va aller mal et ce sera difficile », explique-t-elle. Les choses évoluent tellement vite que la capacité de gérer dans l’ambiguïté est essentielle. Une décision prise aujourd’hui peut être remise en question le lendemain. Il faut gérer le stress que cela crée. »

"Nous gérons dans l’incertitude la plus totale. Nous n’avons aucune date en référence pour pouvoir dire ça va aller mieux. Ce que l’on sait, c’est que ça va aller mal et ce sera difficile" - Brigitte Bourdages

 

Une nouvelle distorsion dans les équipes en situation de crise
Dans le contexte actuel, la directrice générale avoue que le guide de gestion de crise est comme périmé. « Tout est à créer, dit-elle. Nous pouvons compter sur des personnes actives dans le réseau depuis longtemps, qui ont des repères par exemple en matière de personnes-ressources. C’est précieux. D’autant plus que la crise actuelle demande de faire preuve de beaucoup d’humanité. Chez les nouveaux employés qui nous arrivent, nous faisons face à une nouvelle génération. En situation de crise, nous devons adopter un style de commandement de type militaire, mais, dans le réseau des cégeps, ce style de gestion n’est pas tout à fait indiqué. Mais, dans une situation de pandémie, il faut être capable de trancher. Les jeunes générations sont partisanes d’une démocratie directe : ils questionnent, veulent savoir et avoir plus d’information. Ils refusent d’accepter pour accepter. Il faut donner plus d’information et dans ce contexte, cela peut créer une distorsion dans les équipes que nous n’avions pas dans les situations de crise vécues dans les dernières années. Quelque 50 % de notre personnel a pris sa retraite. Nous travaillons avec de nouvelles personnes qui, pour la plupart, ne proviennent pas du réseau des cégeps, mais d’autres secteurs avec d’autres repères… En situation de crise, cette réalité est amplifiée. »

Gérer aussi des vies privées
Les directions n’ont pas à gérer seulement une crise sociale et institutionnelle. Elles gèrent également des vies privées :« Nous avons tous dans notre entourage des parents qui sont malades, des enfants qui sont présents lors des rencontres, qui pleurent, qui ne comprennent pas, et qui sont désœuvrés. Certains manquent de sous. Ces situations peuvent arriver en temps normal ; mais ce qui est difficile dans l’actuelle situation, c’est que nous n’avons pas de date de fin. Nous-mêmes, les gestionnaires, sommes personnellement touchés. « Émotivement, c’est très exigeant. Dans le cadre de nos réunions de Conseil de direction générale, nous constatons que les directions sont touchées à géométrie variable. Certaines traversent mieux cette étape que d’autres. Nos valeurs sont bouleversées. Humainement, c’est extrêmement difficile, mais,en même temps, nous avons de belles surprises. Certaines personnes sur lesquelles nous ne pensions pas pouvoir nous reposer se révèlent être des personnes extraordinaires. Ça donne un baume au reste de l’équipe. La mise en place d’un filet de sécurité de gestion vient apporter un soutien indispensable. »

"Humainement, c’est extrêmement difficile, mais,en même temps, nous avons de belles surprises. Certaines personnes sur lesquelles nous ne pensions pas pouvoir nous reposer se révèlent être des personnes extraordinaires." - Brigitte Bourdages

 

Ne pas avoir honte de faire appel à de l’aide
Brigitte Bourdages confie qu’à Drummondville elle a personnellement jugé pertinent de demander de l’aide. « J’ai demandé d’avoir l’aide d’une personne-ressource lors d’une de nos réunions. Cette dernière nous a aidés à discuter et à mettre les choses en contexte. Nous pouvons la contacter directement sans passer par le programme d’aide. Nous avons appliqué la même approche avec la régie élargie (les cadres) afin qu’ils puissent appliquer l’approche avec leur propre équipe. Il faut gérer sa cohérence personnelle, son émotivité, le sentiment de perte de sens, de repères, et d’incompétence. L’appel à de l’aide de façon personnalisée s’est avéré précieux dans le contexte actuel. Je pense que, dans ces situations, il ne faut pas avoir honte ou peur de demander l’aide requise. »

S’adresser à toute la communauté sur You Tube
Le 27 mars dernier, Brigitte Bourdages a fait le choix de s’adresser par vidéo sur You Tube à toute la communauté collégiale. Fait assez unique dans le réseau. Elle explique que ça fait partie de son style de gestion. Elle entend d’ailleurs répéter l’expérience à la reprise des cours. Elle qualifie ce geste de gestion de proximité. « Ce n’est pas simple à faire et cela exige un peu de courage. Il faut accepter que la communication ne soit pas parfaitement léchée. J’ai reçu beaucoup de commentaires positifs des étudiants. »

Le souci de rester en proximité
Cette approche n’est pas nouvelle : au début de chacune des sessions, Brigitte Bourdages rencontre tous les nouveaux étudiants dans la salle de spectacle ou dans des classes par programmes. « Je ne veux pas que lors de la remise des diplômes les élèves se disent : "C’est qui cette madame-là ?" » Je continue par la suite à les saluer dans le corridor afin de rester à proximité. Pour les étudiants, cette intervention vidéo n’était pas étonnante. J’ai d’ailleurs la même approche avec les nouveaux personnels à chacune des sessions. »

Des canaux de communications ouverts
Le cégep a repris ses activités d’enseignement le 6 avril. « Forts de l’expérience des évènements de 2012 où il était rentré après six semaines de grève, nous avions appris à travailler étroitement avec les enseignants. Nous avons repris cette approche. Avant de refaire le calendrier scolaire, nous sommes restés en étroite communication avec les enseignants en collaboration avec les instances syndicales. Tous les canaux de discussions ont été gardés ouverts. Les profs se sont rapidement mis en mouvement avec l’équipe de direction des études pour amorcer la réflexion. Nous avons misé sur l’autonomie professionnelle des enseignants et un encadrement soutenant. Le calendrier se rend jusqu’au 3 juin et si nécessaire jusqu’au 15 juin. »

"Nous avons misé sur l’autonomie professionnelle des enseignants et un encadrement soutenant." - Brigitte Bourdages

 

Lever les obstacles et rendre les choses possibles
En collaboration avec la Fondation, le collège a déployé une stratégie pour répondre aux nouveaux besoins. Les sommes d’argent prévu en bourses pour le gala de reconnaissance ont été transférées dans un fond d’urgence. En tenant compte des besoins particuliers, le collège offre des cartes alimentaires qui permettent d’aller acheter de la nourriture, des couches pour les bébés et permettent aux étudiants de subvenir à leurs besoins de base. De plus, une entente a été conclue avec une entreprise d’ordinateurs réusinés pour procurer un appareil à ceux qui en avaient besoin pour une valeur d’environ 229 $. La Fondation va payer pour ceux qui ne peuvent en assumer le coût. Les ordinateurs sont livrés directement au domicile de l’étudiant qui peut télécharger gratuitement les logiciels requis.

Faire preuve de créativité et de souplesse
Dans le contexte actuel, il faut faire preuve de créativité et de souplesse dans le réaménagement des activités pédagogiques pour atteindre les compétences. La tâche est facilitée : les maisons d’édition ont rendu gratuitement disponibles les contenus des manuels scolaires. Pour permettre aux professeurs de joindre leurs étudiants, le collège a offert à tous un budget pour se procurer les outils requis telles une webcam, des enveloppes avec des timbres pour faire parvenir la documentation et des cartouches d’encre.

Garder l’espoir
Lors de son message vidéo, Brigitte Bourdages parlait de « garder l’espoir ». Elle veut réitérer ce message tout au long de la crise. « Qu’est-ce qui reste en réalité, si on veut tenir ? Si on veut passer à travers, il faut garder l’espoir qu’il arrivera quelque chose de mieux. C’est ce à quoi il faut se rattacher. »


Note : l’entretien téléphonique s’est tenu le 7 avril 2020






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