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Les carnets insolites du prof Durand

Une entrevue avec Stéphane Durand, professeur de physique au Collège Édouard-Montpetit

Stéphane Durand enseigne la physique au Collège Édouard-Montpetit depuis une vingtaine d’années. C’est un physicien-théoricien, donc un physicien très mathématicien. Il est d’ailleurs chercheur au Centre de recherches mathématiques de l’Université de Montréal. Il enseigne aussi, à l’université, la mécanique quantique et la relativité. Le Portail s’est intéressé à la série de mini-chroniques intitulée « Les carnets insolites du prof Durand », qu’il présente à l’émission scientifique de Radio-Canada, Les années lumière. Ces chroniques auraient pu prendre la forme d’un livre. « Mais j’ai eu l’idée de les proposer à la radio, à l’émission Les années lumière. Ils étaient à la recherche de nouveaux formats, ma proposition tombait à point nommé », nous explique-t-il.

Ces chroniques de 3 minutes visent à faire découvrir aux auditeurs des choses moins connues, surprenantes, déroutantes, insolites sur différents sujets. « J’essaie, en 3 minutes, de faire saisir une idée importante de science, une idée pas très connue, mais qui est ou pourrait être révolutionnaire. Quelquefois aussi, c’est plutôt une anecdote ou encore un destin tragique d’un grand scientifique, par exemple celui du jeune mathématicien Évariste Galois, mort en duel à l’âge de 22 ans après avoir publié des théories révolutionnaires mal comprises sur le moment. Le but, c’est de titiller l’auditeur. Pour celui qui veut en savoir plus, il y a souvent un complément web sur la page associée à l’émission. Mais 3 minutes, c’est court! Alors je suis assez dense dans mon contenu!»

Pourquoi le léopard est-il tacheté alors que le tigre est rayé?
La première chronique a été diffusée en août 2012, avec un titre vraiment insolite : Pourquoi le léopard est-il tacheté alors que le tigre est rayé? Stéphane Durand explique qu’un de ses dadas, c’est de faire comprendre aux gens la puissance des mathématiques. « Souvent, on pense que les mathématiques ne sont qu’un outil en physique, pour préciser ou raffiner notre compréhension. Mais elles sont beaucoup plus qu’un outil. Les mathématiques sont l’essence de la physique. C’est comme un sixième sens, qui permet d’aller au-delà de notre perception usuelle. Lorsque l’on sonde le très, très petit ou l’infiniment grand, nous découvrons un monde qui était inaccessible à nos sens et qui fonctionne suivant une “logique” différente de celle de la vie courante. Comme nos sens n’avaient jamais expérimenté ces nouvelles facettes de la réalité, nous n’avons pas développé une sensibilité, un vocabulaire ou une intuition pour comprendre ces domaines de l’infiniment petit et de l’infiniment grand.  Mais les mathématiques nous permettent d’aller au-delà de nos sens. Par exemple, nous avons aujourd’hui des théories à quatre dimensions, ou même à dix dimensions. Aucun physicien même expert dans le domaine ne peut imaginer plus que trois dimensions. Notre cerveau n’est pas fait pour cela. Mais mathématiquement, c’est aussi facile de travailler en 10 dimensions qu’en deux dimensions! On s’aperçoit aussi que les mathématiques jouent un rôle important dans les systèmes vivants, les animaux, la dynamique de croissance des plantes. C’est ainsi que j’ai commencé ma première chronique avec l’explication du pelage des animaux. Pourquoi certains sont rayés et d’autres tachetés? C’est très amusant, il existe un théorème mathématique qui dit qu’on peut avoir des animaux à corps tacheté et queue rayée, mais jamais l’inverse, c’est-à-dire jamais un animal à corps rayé et queue tachetée. Et cela correspond exactement à ce qui passe dans la nature. Les mathématiques sont vraiment presque partout autour de nous. »

Les erreurs d’Einstein
« Dans une de mes chroniques intitulée “Les erreurs d’Einstein”, j’ai expliqué comment un des plus grands scientifiques de tous les temps avait fait quelques erreurs importantes. Il est amusant de voir comment Einstein pouvait être révolutionnaire sur certains aspects de sa pensée, mais pouvait également avoir des préjugés “rétrogrades” sur d’autres domaines qui l’ont empêché de faire toutes les découvertes qu’il aurait pu faire. Par exemple, sa théorie de la relativité appliquée aux mouvements des planètes et des étoiles dans le cosmos fonctionnait de façon admirable et corrigeait tous les défauts de la théorie de la gravité de Newton. Puis, il a eu l’idée d’appliquer sa théorie au cosmos lui-même, au cosmos comme un tout, comme une entité unique. Son équation lui a alors dit que l’univers est en expansion! Einstein lui-même ne croyait pas ça. Cette hypothèse allait à l’encontre d’un préjugé philosophique voulant que l’univers doive être immuable et éternel. Parce que l’expansion du cosmos implique qu’il y a eu un début à l’univers, une naissance au cosmos, puisque si l’univers est en expansion, ça veut dire qu’il était plus petit dans le passé, donc qu’il y a eu un point de départ : le fameux Big-Bang. Einstein n’a pas accepté cette idée-là. Il a modifié artificiellement son équation pour avoir un univers statique. L’ironie de l’histoire : dix ans plus tard, des télescopes plus puissants ont montré que les galaxies lointaines s’éloignaient et que l’univers était bel et bien en expansion. Einstein a avoué qu’il s’agissait de la plus grande erreur de sa vie. Ce qui n’enlève rien à son génie. Tous les génies sont humains aussi. »

Existe-t-il des milliards d’univers?
Dans une autre chronique, le prof Durand posait cette question : Existe-t-il des milliards d’univers? Il explique : «Toutes sortes d’indices aujourd’hui semblent indiquer que notre univers n’est pas unique, qu’il existe sûrement des milliards de milliards d’univers. Plusieurs théories indépendantes les unes des autres nous portent à aller dans ce sens. Certains diront que c’est de la métaphysique et que l’on ne pourra jamais prouver qu’il y a d’autres univers. Mais déjà, on songe à des façons d’en faire la démonstration. Par exemple, ces univers parallèles pourraient de temps en temps entrer en collision. Une collision d’un autre univers avec le nôtre pourrait laisser des traces dans le cosmos. Certains scientifiques ont calculé quelle serait la signature de cette trace, et des expériences tenteront de sonder sous peu cette signature. Nous sommes encore loin d’une preuve convaincante, mais ce n’est plus de la science-fiction, ce n’est pas de la métaphysique, c’est de la vraie science qui progresse. Encore une fois, c’est une idée qui vient des mathématiques. »

« J’aime aussi prendre des sujets qui touchent les gens au quotidien. »
« J’aime aussi prendre des sujets qui touchent les gens au quotidien, nous confie-t-il. J’ai fait une chronique intitulée « D'où vient la mélodie du métro de Montréal? » Les gens pensent que les fameuses trois notes ont été composées par quelqu’un et qu’elles sont jouées par un haut-parleur. Non, cette mélodie est un effet totalement dû au hasard, produite par la vibration des moteurs électriques qui propulsent le métro. Autre sujet : comment détecter de faux Van Gogh? J’explique dans la chronique qu’on peut le faire à partir de logiciels et des mathématiques, des logiciels qui sont meilleurs que les experts les plus renommés de la planète."

"J’ai également interrogé en onde la possibilité que notre mémoire puisse se loger dans une clé USB. On entend souvent dire que la mémoire peut contenir une quantité infinie d’informations. Cela est bien sûr faux, il est certain qu’il y a des limites. Mais cette question est difficile : même les neuroscientifiques ne savent pas exactement comment fonctionne notre mémoire et de quelle façon sont encodés les informations et les souvenirs. Je me suis posé la question différemment : je me suis demandé tout d’abord quelle serait la quantité totale d’informations “apprises”au cours de notre vie qui se trouvent dans notre mémoire, pour conclure que la quantité totale de ces informations entre sur une clé USB de 10 $! C’est assez hallucinant. Deuxièmement, j’ai calculé que tous les souvenirs d’une vie de 70 ans, c'est-à-dire toute notre mémoire visuelle de cette vie, entrerait sur un disque dur d’ordinateur en appliquant des techniques de compression d’images. Nous avons beaucoup de choses dans la tête, mais la technologie d’aujourd’hui est aussi ultra-performante. »

« J’aime commencer par des punchs. »
Questionné à savoir s’il pratiquait ce type d’approche dans sa démarche pédagogique, Stéphane Durand affirme que oui : « Sans arrêt dans mes cours, je tente de commencer avec quelque chose de surprenant pour capter l’attention des étudiants, et aussi pour qu’ils commencent eux-mêmes à réfléchir en se questionnant. Par ailleurs, j’ai utilisé mes nouvelles capsules pour éveiller leur culture générale : j’ai fait passer un test d’écoute et cela a super bien fonctionné. Mes questions, à choix multiples, étaient construites de telle sorte que d’avoir écouté une seule fois les capsules, sans prendre de notes, permettait d’y répondre. Les étudiants ont super apprécié. Je peux transmettre mon test d’écoute aux professeurs intéressés. »

Dans une de ses dernières chroniques, monsieur Durand nous entretient de « sélection naturelle cosmique », c’est-à-dire la théorie de Darwin appliquée à la reproduction d’univers! En poussant plus loin l’idée des milliards d’univers : ces univers peuvent-ils s’engendrer les uns les autres avec une sorte de sélection naturelle cosmologique?

« Une formation au cégep, c’est aussi une formation générale. »
Il termine l’entrevue en nous disant que, même si ses chroniques ne sont pas directement de la matière de cours, elles ont un intérêt : « Une formation scientifique au cégep, c’est aussi une culture générale en sciences. Et je trouve que ça manque. Ces chroniques peuvent servir de culture scientifique générale. Je parle de ces questions dans mes cours, comme je le disais, mais je ne suis pas sûr que ce soit connu de tous les profs de physique du réseau. Mes chroniques sont donc disponibles pour tous. En faisant de la vulgarisation, je tente de concilier deux choses assez difficiles : je veux que le grand public comprenne, mais je veux aussi que quelqu’un qui a une formation en science apprenne quelque chose, qu’il ne s’ennuie pas. Je pense que je réussis à le faire. Je suis assez content de ça. »

Un rendez-vous à ne pas manquer
Mais ses chroniques sont faites pour être écoutées. C’est donc un rendez-vous à ne pas manquer le dimanche vers 12 h 30, à Radio-Canada : l’émission Les années lumière. Les chroniques déjà diffusées sont accessibles sur le site web de Radio-Canada, ainsi que des textes d’accompagnement. On peut aussi consulter la liste de toutes les chroniques sur le site web du professeur Durand.

Entrevue réalisée par Alain Lallier en février 2013.






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