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Conjuguer son rôle d’enseignante et de romancière

 

 

 

Un entretien avec Mme Marie-Renée Lavoie

Enseignante en français au Cégep Garneau

 

 

 

Un texte de Marie Lacoursière, édimestre. Portail du réseau collégial

C’est un échange intercollège qui a ramené Marie-Renée Lavoie à Québec, là où elle a amorcé sa carrière il y a de cela quelques années. Les axes s’alignent donc pour elle qui revient bientôt à Garneau. « J’en suis très heureuse », précise l’enseignante et auteure du récent roman Les chars meurent aussi, publié chez XYZ éditeur. La critique des grands journaux, Le Devoir et La Presse notamment, est élogieuse. De nombreux lecteurs présents au dernier Salon du livre de Montréal 2018 ne tarissaient pas d’éloges. Marie Lacoursière échange avec elle.

C’est un roman que j’ai travaillé sur une très longue période et qui a beaucoup évolué avec le temps de préciser l'auteur . En début d’écriture, c’était vraiment l’idée des chars, des autos, qui constituait le motif principal de ma trame – nous avons gardé le mot « char » étant donné le milieu dans lequel ça se passe et parce qu’on voulait que le ton soit déjà annoncé dans le titre. J’avais vraiment envie d’être dans un milieu populaire, dans les ruelles, dans des mondes un peu parallèles moins explorés par la littérature et qui me ressemblent. J’adore le français parlé, les expressions colorées. Les personnages qui m’intéressent le plus viennent souvent de ces milieux populaires. Mais en avançant dans l’écriture, la trame s’est doucement déplacée des autos vers les humains, les chars sont devenus le motif de fond pour me permettre de construire le reste. »

 

Un travail de recentrage

Josée Bonneville, longtemps enseignante au Cégep Saint-Laurent,  accompagne Marie-Renée Lavoie dans ce roman en lui disant : « Écoute Marie, la première partie de ton roman est tellement intéressante : les garages, les ruelles… tu devrais rester dans cet univers. » L’auteure a donc conservé la première partie de son manuscrit (le quart du texte!) et a écrit un tout nouveau roman. Elle choisit alors de demeurer dans le quartier de Limoilou, dans l’univers de ces personnages dont elle maîtrise bien les dialogues et qui constituent sa force. « Je me suis soumise à un gros travail de recentrage. Je suis revenue aux motifs qui m’habitent et je n’ai pas pu m’empêcher d’intégrer des enfants. J’aime tellement les faire parler. Il y a quelque chose de magique dans l’absence de filtre qu’ils ont par rapport au monde dans lequel ils vivent. Nous avons comme un passeport diplomatique avec eux quand on leur donne vie dans nos livres.Ils ont le droit de tout dire et d’approcher les choses différemment. »

Survivre en lisant des livres

Dans ce nouveau roman, la narratrice est une enfant unique qui assume son malheur d’être unique en développant un lien particulier avec Cindy, une petite « poquée » de ruelle. Ensemble, elles se mettent à voyager partout dans le monde en s’inspirant des photos du club MED fournies par la mère de Laurie qui en garnit les murs de la guérite de stationnement où elle travaille et survit en lisant des livres. Le calorifère du salon deviendra ainsi le foyer de leur chalet. Elles iront au Mexique et en Afrique en cherchant des informations sur Internet. « C’est l’imaginaire qui les porte ailleurs et les aide à survivre dans un petit milieu sur lequel Laurie porte un regard critique qui va s’affiner avec le temps. Elle découvre que la vie en elle-même n’est pas nécessairement assez soûlante, qu’il faut être porté par autre chose pour vivre. La trame devient un plaidoyer pour l’imaginaire qui permet d’échapper au réel abrutissant et de survivre aux gens qui nous manquent. Toute cette réalité a pris beaucoup plus de place dans le roman que je ne l’aurais imaginé au départ. Je me rends compte d’ailleurs que c’est le cas dans toutes mes œuvres : un personnage se projette dans un ailleurs héroïque ou exotique pour arriver à gérer son quotidien. Je découvre en écrivant que je suis moi-même habitée par ce besoin-là. »

Parallèle entre écriture et enseignement

Marie-Renée Lavoie s’est beaucoup promenée ces dernières années. Elle a enseigné dans sept collèges : Garneau, Ahuntsic, Saint-Laurent, Gérald-Godin, Montmorency, Saint-Jérôme et Maisonneuve. « Au tournant des années 2000, c’était difficile, il n’y avait pas beaucoup de boulot, il fallait se promener pour pouvoir travailler », nous explique l’auteure. Elle écrit son premier roman quand elle a enfin réussi à se poser à Saint-Jérôme, où elle a finalement obtenu une permanence. Elle s’installe à son ordinateur et se met à l’écriture. Mais quand l’occasion se présente, elle revient à Limoilou, quittant Montréal après dix-sept ans. Malgré ses pérégrinations, son univers demeurait Québec, et Limoilou son environnement.

« Quand nous enseignons, explique l’auteure, nous disséquons des œuvres. Nous les analysons à fond, nous touchons à l’écriture et aux images. Par la suite, quand nous écrivons, ça nous lance quelques petits repères de plus auxquels nous portons attention. J’ai un peu de difficulté à écrire sans m’imaginer qu’un jour des élèves feront peut-être un travail d’analyse de mes images et de mes personnages. Je suis allée à quelques occasions rencontrer des élèves du secondaire et du collégial pour parler de mes romans et je me suis rendu compte que plein de choses m’échappent complètement quand j’écris. Quand j’enseigne la littérature, les élèves veulent savoir : est-ce que l’auteur pensait à ça ? qu’est-ce que l’auteur voulait vraiment dire? C’est en pensant à ce genre de questions que je me retrouve un peu dans les deux camps, dans celui de l’écrivaine et de la prof. Je peux leur dire : Dans le propos de l’auteur, il y a une certaine intention, une idée, mais dans le matériau même de l’écriture, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas conscientes. C’est ce qui fait la beauté de la lecture. Nous sommes quarante dans une classe et nous faisons donc quarante lectures différentes d’une même œuvre. La seule limite : nous ne pouvons faire dire au texte ce qu’il ne dit pas. Un même type de vent crée des images et des émotions différentes pour chacun des lecteurs. J’ai l’impression qu’être à la fois auteure et derrière les pages avec les élèves pour comprendre les subtilités de l’écriture me donne une sorte de regard critique sur ce qui, dans une œuvre, nous appartient ou pas. J’enseigne à mes élèves à habiter le texte par eux-mêmes, à occuper la place que les écrivains leur laissent. Heureusement, ils n’expliquent pas tout, les auteurs laissent délibérément des petits flous afin que le lecteur puisse se glisser dans le texte. »

Les élèves en cours font-ils des commentaires sur vos livres ?

« Je leur dis rarement que j’écris. Quelquefois, au retour d’un salon du livre, certains me font des commentaires. Il faut que ça se place bien dans un contexte, sinon je parle assez peu de ça. D’autres viennent après les cours et je peux avoir des discussions extrascolaires avec eux. Il m’arrive donc d’avoir des échanges à propos de mes œuvres à ce moment , mais il s’agit d’une dimension plus personnelle qui demeure délicate. J’essaie d’être très effacée comme auteure dans mes cours, à moins que ça ne serve à expliquer un processus d’écriture, par exemple. Je pense que les auteurs-profs sont professeurs avant tout. »

La question de la langue…

Pour l’auteure, un des traits caractéristiques de son écriture demeure sans aucun doute son attachement pour le joual et le français parlé. « Évidemment, je n’écris pas comme on parle, parce que le vrai joual qui se parlait dans un fond de ruelle d’un milieu populaire en 1990 serait inintelligible pour le lecteur. Je ne peux pas le transcrire tel quel, mais j’essaie quand même de m’en approcher, ce qui amène un côté très coloré à mes dialogues qui peut parfois avoir l’air exagéré ou caricatural. Je travaille les dialogues pour leur donner une tournure réaliste, ça amène … beaucoup de sacres! Si j’essaie de faire quelque chose de réaliste avec des gars de chars, je me retrouve même à glisser des jokes de blondes dans les dialogues. Cette particularité de style m’habite et je ne vois pas comment je pourrais arriver débarrasser. Je n’arrive absolument pas à articuler le dialogue sans qu’il se déploie dans cette langue populaire qui caractérise le milieu d’où je viens, qui m’a imprégnée dans ma jeunesse et que je chéris. J’y suis demeurée très attachée ». C’est vraiment une forme d’hommage pour elle que d’écrire des romans avec des personnages de ces milieux, de leur donner une voix et trouve d’ailleurs qu’ils ne sont pas suffisamment représentés dans nos romans .

Écrire une véritable passion

Marie-Renée Lavoie indique avoir beaucoup écrit grâce à l’avantage accessible dans les collèges de pouvoir prendre des congés différés : « Je me gâte un peu. Je coupe sur d’autres choses, je n’ai plus de char, par exemple afin de pouvoir me payer des congés pour écrire, parce que c’est vraiment une passion pour moi. Je me rends compte, de plus en plus, que cette représentation des milieux populaires m’habite et colle à une certaine langue qui vient avec mes romans. Quand je faisais lire mes premiers romans à des amis, certains me disaient que le joual ne passait plus, que ça n’irait pas… que c’était fini. J’ai tenu mon bout avec Josée Bonneville qui m’a encouragée à le faire et qui était contente qu’il y ait encore des auteurs qui osent la chose ». Finalement, son premier roman, dont les dialogues sont en joual, n’a pas seulement bien marché, mais il est publié en Allemagne, en Italie, au Mexique et même traduit en France (!).  Ce français parlé n’est donc pas un frein aux éditions outre-mer de préciser l'auteure. Je suis maintenant rassurée dans mes choix précise-t-elle. « Les livres s’exportent très bien, tous les peuples ont une langue parlée vivante en parallèle de celle qui s’écrit. C’est un de mes grands bonheurs de pouvoir affirmer que notre langue parlée se traduit très bien. Elle est exportable et ravit les éditeurs étrangers par ses expressions colorées qui amènent le lecteur ailleurs dans notre littérature. »



Marie-Renée Lavoie nous a révélé son talent unique pour faire chatoyer le quotidien dès son premier roman, La petite et le vieux (Grand prix de la relève littéraire Archambault 2011), puis nous a fait rire et grincer avec les tribulations de ses héroïnes dans Le syndrome de la vis et Autopsie d’une femme plate (Éditions XYZ). Traduite dans plusieurs pays, l’auteure et enseignante de littérature démontre avec brio combien l’intime est universel.

Elle a aussi conquis le public jeunesse avec La curieuse histoire d’un chat moribond, la série Zazie et son plus récent livre, Le dernier camelot (Éditions Hurtubise).

Source: Édition XYZ






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