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Faut-il avoir peur de la légalisation du cannabis dans les collèges ?

 

 

 

 

Un entretien avec Mme Geneviève Reed, animatrice du Réseau intercollégial des intervenants psychosociaux (RIIPSO) sur ce dossier d’actualité.

 

La Fédération des cégeps déposait en septembre dernier un mémoire au Secrétariat à la jeunesse et à la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la santé publique et aux saines habitudes de vie, Mme Lucie Charlebois, dans le cadre de sa consultation sur l’encadrement du cannabis. La Fédération préconise une approche de santé publique et de réduction des méfaits en matière d’encadrement du cannabis au Québec. De manière à mieux saisir le contenu de ce mémoire, nous nous entretenons avec Mme Geneviève Reed, animatrice du réseau intercollégial des intervenants psychosociaux (RIIPSO) sur ce dossier d’actualité.

Les plus récentes données statistiques canadiennes (2015) révèlent que les jeunes âgés de 20 à 24 ans constituent le principal groupe d’âge à avoir fait usage de cannabis au cours de leur vie (53,7 %) et au cours des 12 derniers mois (29,7 %). Bien que le Québec (9,8 %) se trouve sous la moyenne canadienne (12,3 %) en ce qui concerne la prévalence de la consommation de cannabis au cours des 12 derniers mois dans la population de 15 ans et plus, l’indicateur a augmenté de façon significative chez les 18-24 ans entre les années 2008 et 2015, passant de 35,3 % à 41,7 %.

À partir du moment où le Gouvernement du Canada décide de légaliser et de rendre accessible la consommation du cannabis, on peut facilement ou logiquement penser que les collèges se questionnent sur les impacts de cette politique sur les étudiants en place.

À mettre dans un contexte de prévention
Mme Reed tient, d’entrée de jeu, à préciser que depuis le début des cégeps, les établissements font des efforts soutenus en matière d’aide aux étudiants. « Nous estimons que les cégeps sont des milieux de vie et que tout doit être mis en œuvre pour assurer la réussite éducative dans le milieu. Ainsi, plusieurs activités et services, notamment de santé et psychosociaux ont été mis en place afin d’assurer la promotion de saines habitudes de vie ainsi que la prévention du tabagisme, de l’alcoolisme. La position des cégeps s’inscrit donc dans ce contexte. Les jeunes sont de grands consommateurs déclarés de cannabis. En légaliser la consommation peut vraisemblablement engendrer des effets inconnus à ce jour. Personne ne se leurre à cet égard. Nous savons fort bien qu’un certain nombre de jeunes en consomment déjà. La légalisation permettra le dégagement de ressources additionnelles pour faire de l’éducation et de la prévention en conséquence. »

Un parallèle entre le cannabis et l’alcool ?
Pouvons-nous faire un parallèle entre le cannabis et l’alcool, puisque c’est légalement à cet âge qu’au Québec peut légalement s’acheter de l’alcool.
Mme Reed estime que plusieurs parallèles peuvent être faits avec l’alcool, notamment au regard de la prévention et de l’éducation. Les modèles qui existent relativement à la prévention du tabagisme et de l’alcool pourraient ainsi être utilisés afin de diminuer la consommation ou de l’encadrer.

Mise en place d’un comité consultatif

La recommandation 1 du mémoire : La Fédération des cégeps recommande que le gouvernement assure la mise en place d’un comité consultatif réunissant les représentants des différents organismes et milieux concernés par la consommation du cannabis chez les jeunes, notamment du réseau de l’éducation et du réseau de la santé et des services sociaux, afin qu’il s’appuie sur leur expertise dans le cadre de l’élaboration de ses stratégies d’action nationales.

« À l’occasion de la consultation du Secrétariat à la Jeunesse, les participants ont constaté l’intérêt d’échanger avec les autres milieux scolaires et sociaux de leurs pratiques respectives et à obtenir la même information pour que tout le monde soit au même niveau sur le cannabis et ses effets pour avoir une bonne harmonisation des messages de prévention et d’éducation qu’il faut envoyer. D’où cette première recommandation qui nous l’espérons sera pilotée par la Gouvernement du Québec qui réunirait tous les intervenants principaux qui œuvrent auprès des jeunes adultes. Cela permettrait d’adresser des messages ciblés, simples, mais également des messages cohérents, un point important qui se dégage de la littérature en prévention. »

Pour une vaste campagne d’information

La recommandation 2 : La Fédération des cégeps recommande que le gouvernement lance une vaste campagne d’information sur les objectifs de la légalisation du cannabis et sur les règles contenues dans la loi.

Selon Mme Reed,  deux types d’information et de sensibilisation seraient mis de l’avant. « Il faut informer largement le public sur les objectifs poursuivis au regard de la légalisation, très mal compris de la population. Les gens pensent que c’est parce que le Gouvernement veut faire plus d’argent. La mécompréhension du pourquoi est évidente, il importe donc que les deux ordres de gouvernement clarifient les faits en indiquant clairement qu’on légalise parce que la prohibition est pire actuellement et ne donne pas lieu à une réduction de la consommation. Légaliser permettra de parler de ses effets et de réduire les méfaits qui lui sont associés. C’est ce qui a été démontré dans les états américains qui ont légalisé le cannabis. La population avait été mal informée sur les objectifs et sur le contenu de la réglementation. Il importe donc que la population sache ce qui est permis et ce qui ne l’est pas à compter d’une date précise. »

Les revenus de la vente pour la prévention à la consommation

Recommandation 3 La Fédération des cégeps recommande que le projet de loi contienne des dispositions précisant que les revenus de la vente de cannabis soient alloués à la prévention de la consommation et à la promotion des saines habitudes de vie.

« L’éducation et la prévention étant très importantes et l’argent étant le nerf de la guerre, il est essentiel de bien comprendre le sens et l’intérêt de cette recommandation. Plus on en sait sur le cannabis et ses effets, plus on dit que c’est une substance très complexe aux effets multiples selon de la dose prise, de la fréquence, de l’âge à partir de laquelle elle est consommée... Il est donc de première importance d’avoir les ressources capables d’expliquer adéquatement cela aux jeunes, les suivre et les aider. »

Octroyer des ressources suffisantes

Recommandation 4 : La Fédération des cégeps recommande que le projet de loi contienne des dispositions précisant l’octroi de ressources suffisantes pour mettre en place des mesures et des activités de prévention, de dépistage et de soutien aux étudiants dans les établissements collégiaux.

Le réseau collégial compte déjà sur un réseau dynamique constitué de 250 intervenants psychosociaux qui agissent quotidiennement dans les établissements auprès des jeunes adultes : le réseau intercollégial des intervenants psychosociaux (RIIPSO), une communauté de pratique- des plus actives. « Les cégeps sont partout sur le territoire québécois, soit plus de 48 établissements. Ce sont des milieux de vie. Et les jeunes vont souvent s’adresser à des personnes significatives qui sont très près de leur milieu. Les jeunes connaissent les intervenants présents dans les cégeps. Ces intervenants organisent des activités et reçoivent des étudiants en consultation. Ce sont des personnes significatives pour les jeunes. S’il y a un problème de consommation associé à d’autres problèmes comme l’anxiété, la dépression ou les stress, il est important que ces ressources disponibles afin d’aider le jeune étudiant à s’en sortir. »

Pour un système de monitorage et de repérage des données sur la consommation

Recommandation 5 : La Fédération des cégeps recommande que le gouvernement mette rapidement en place un système de monitorage et de surveillance des données sur la consommation de cannabis de la population — notamment des jeunes adultes — ainsi que des effets de la réglementation.

« En fait, la légalisation elle-même contient son lot d’incertitudes à l’égard du comportement des gens, de la consommation, du marché noir. Dans ce contexte, il importe donc de suivre l’évolution de ce qui se passe en cours de légalisation : surveiller les taux de consommation des jeunes, les nouvelles pratiques émergentes, le type de consommation, le nombre d’accidents de la route, l’utilisation des services de santé et des services sociaux. Il faut aussi faire le monitorage du marché noir : ils ne vont pas laisser partir ce lucratif marché les bras croisés. Il importe de suivre comment évoluent les indicateurs, pour modifier la réglementation, si cela est nécessaire. »

Des revenus pour financer la recherche

Recommandation 6 La Fédération des cégeps recommande que le projet de loi contienne des dispositions précisant que les revenus de la vente de cannabis permettent de financer la recherche sur la consommation de cannabis par les jeunes adultes et ses effets.

Dû à la nature illégale de la substance, à ce jour la recherche a été très limitée « Il est difficile de réaliser des études à long terme, si les personnes ont peur de dévoiler des informations. Une fois la loi passée, il sera plus facile de faire des études longitudinales, avec un vaste échantillon et sur plusieurs années pour voir le comportement chez les jeunes et les effets sur le cerveau, sur la mémoire. »

Que l’âge minimal pour l’achat soit fixé à 18 ans

Recommandation 7 : La Fédération des cégeps recommande, en se basant sur l’expertise en santé publique, que l’âge minimal établi pour l’achat de cannabis soit conforme à celui établi pour l’achat d’alcool et de tabac au Québec, soit 18 ans, et que cela soit associé à une stratégie d’éducation visant à prévenir l’initiation précoce à la consommation.

La Fédération a retenu l’âge minimal de 18 ans pour l’achat du cannabis, parce qu’elle juge futile de vouloir légaliser un marché pour en contrôler les produits de ce marché et en retirer par la suite la majorité de ses consommateurs. « Si ce sont les jeunes qui consomment davantage, il faut que la réglementation s’adresse à eux. L’exercice de prévention devient d’autant important à ce niveau. Nous devrons dès la fin du primaire parler de cette consommation possible de cannabis et en expliquer les effets. Cela nous obligera à être présents et à faire de la prévention. »

La distribution et la vente prise en charge par l’état

Recommandation 8 : La Fédération des cégeps recommande que la distribution et la vente de cannabis récréatif soient prises en charge par l’État québécois, dans un objectif clair et exclusif de santé publique et non de recherche de revenus.

« Ce que l’on veut éviter, c’est le modèle de la SAQ. Au départ, les comptoirs étaient assez restrictifs, mais avec le temps, ils sont devenus très commerciaux, suscitant des activités très lucratives pour le Gouvernement. Nous ne croyons pas que ce soit la voie à suivre pour la vente du cannabis. Elle devrait plutôt être sous la responsabilité de l’État québécois, puisqu’il s’agit de la façon la plus simple et optimale d’en contrôler l’accès au produit et les risques de la commercialisation. D’autre part, l’objectif de santé publique demeure de première importance. Elle exige dans les éventuels lieux de vente, la présence de conseillers bien formés aptes à informer les consommateurs et à reconnaître les problèmes de consommation. »

Limitation du nombre de lieux de vente

Recommandation 9 : La Fédération des cégeps recommande que le projet de loi limite le nombre de lieux de vente de cannabis et interdise leur implantation près des établissements scolaires.

« Nous ne sommes pas les seuls du monde de l’éducation à avoir recommandé cela. De toute façon, nos étudiants n’auront pas le droit d’être sous l’effet du cannabis quand ils sont dans les cours. L’implantation loin des établissements scolaires va donc de soi. »

Interdiction de consommation dans les lieux publics

Recommandation 10 : La Fédération des cégeps recommande que le projet de loi interdise la consommation de cannabis dans les lieux publics, intérieurs et extérieurs.

Geneviève Reed précise qu’à compter de cette année, tous les établissements collégiaux devront avoir adopté une politique de lutte contre le tabagisme visant à créer des environnements sans fumée. «  Pour nous, il va de soi que la consommation de cannabis en fumant ou par vapotage sera interdite dans le cadre des environnements sans fumée non seulement à l’intérieur de l’édifice, mais également sur le terrain appartenant au cégep. »

Interdiction de la publicité et du marketing

Recommandation 11 : La Fédération des cégeps recommande que le projet de loi interdise la publicité, le marketing et la valorisation de l’image de marque des produits de cannabis vendus au Québec.

« Ce sont des pratiques reconnues en matière de santé publique qui permettent de limiter la consommation de tabac chez les jeunes comme chez les plus vieux. Particulièrement chez les jeunes, il importe d’être très sensible à la publicité, au marketing et aux images de marque. »

Un nuage au-dessus des efforts pour favoriser la réussite?

Est-ce que la légalisation du cannabis ne constitue pas un nuage sur les efforts déployés depuis de nombreuses années pour favoriser la réussite des étudiants ?
Pour Geneviève Reed, « Il faut miser sur le fait qu’il sera plus facile d’en parler directement avec les étudiants; d’en parler plus largement et publiquement. Il importe que toute la société québécoise soit derrière le projet d’éduquer et de sensibiliser les jeunes aux effets possiblement néfastes de la consommation de cannabis et aux causes sous-jacentes à sa consommation, comme c’est le cas pour l’alcool ou d’autres drogues. Il s’agit d’un enjeu du XXIe siècle qui s’inscrit dans une série d’autres enjeux auxquels les jeunes sont confrontés. Il faut donc les outiller afin qu’ils puissent les affronter. »


Dossier préparé par Alain Lallier, éditeur en chef, Portail du réseau collégial.

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