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Chronique « Tout ne va pas si mal » - Et moi, je pense à toi

Chronique publiée par La Presse+ -  Par Rima Elkouri La Presse - Samedi, le 6 juillet 2019

« Une lettre pour votre mère qui a été mon professeur. »

C’était l’en-tête d’un courriel que j’ai reçu, l’hiver dernier.

« Si Amal est votre mère, pouvez-vous lui acheminer cette lettre ? »

Je reçois de temps en temps des messages d’anciens élèves de ma mère, qui a été professeure de mathématiques pendant 30 ans. Mais jamais je n’en avais lu d’aussi émouvant.

L’auteure de la lettre, Jo-Anne Fraser, fréquentait l’école Curé-Antoine-Labelle, à Laval, à la fin des années 70. En quatrième secondaire, le chemin de cette petite fille de Fabreville a croisé celui d’une jeune enseignante originaire d’Alep, qui avait déposé sa valise au pays dix ans auparavant.

De son propre aveu, Jo-Anne n’était ni très bonne en maths ni très intéressée par cette matière. Mais cette année-là, il s’est passé quelque chose de beau et de mystérieux. Tout d’un coup, elle aimait beaucoup le cours de maths. Et elle réussissait très bien.

Aînée d’une famille composée d’une mère sourde et analphabète et d’un père alcoolique, Jo-Anne n’a pas grandi dans la ouate. Sa vie familiale n’était pas facile. À l’école, elle n’en laissait rien paraître. Elle voulait se fondre dans la masse. Être « normale ». Mais il y avait des jours où elle avait l’impression de porter le sort du monde sur ses épaules.

Son refuge, c’était la musique. Dans sa chambre du sous-sol de la demeure familiale, elle avait son piano. C’était sa caverne. L’été, elle s’évadait chez sa grand-mère, au bord de la mer, en Gaspésie. C’est elle qui lui a donné le goût de la musique.

Lorsqu’elle réfléchit aux figures marquantes de son adolescence, Jo-Anne pense à sa grand-mère gaspésienne et à son amour de la musique. Et puis, il y a eu cette prof de maths à l’accent arabe roucoulant qui écrivait son nom exotique au tableau au premier cours et donnait en souriant un truc à ses élèves pour s’en souvenir. « Amal, comme dans “a mal à la tête”. » Et même si c’était un cours de maths, elle commençait souvent son cours en parlant d’un livre.

« Ma rencontre avec toi a été vraiment importante. Tu étais un modèle de femme que je désirais devenir. »

— Jo-Anne Fraser dans sa lettre à Amal

Aujourd’hui, Jo-Anne est à son tour enseignante et coordonnatrice de programme au département de musique du cégep de Saint-Laurent. Elle donne aussi un cours en didactique de la musique à l’UQAM. Et lorsqu’elle parle aux futurs professeurs de musique de l’art d’enseigner, elle a toujours une pensée pour sa prof de maths de quatrième secondaire.

« J’amène mes étudiants à réfléchir aux qualités et aux aptitudes d’un bon enseignant en pensant à leurs anciens professeurs. Et moi, je pense à toi… »

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