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Les enseignants du collégial sont-ils inclusifs?


 

 

 

Entretien avec madame Carole B. La Grenade, enseignante au Collège Montmorency

 

 

Carole B. La Grenade enseigne au Collège Montmorency depuis 35 ans. Elle termine des études de doctorat à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur les pratiques et les stratégies pédagogiques favorisant l’inclusion des étudiants en situation de handicap non visible (ÉSHNV). Elle nous fait part des résultats de ses recherches.

L’intérêt pour la question s’est développé dans le cadre de son travail comme personne-ressource au centre d’aide à l’apprentissage du collège, et ce, particulièrement auprès des étudiants en situation de handicap. « Je me suis interrogée à savoir pourquoi certains enseignants sont disposés à travailler avec ces étudiants alors que, pour d’autres, le défi semble quasi insurmontable. »
Cette interrogation devient alors sa question de recherche : quels liens existe-t-il entre les représentations que les enseignants du collégial se créent de l’inclusion des étudiants en situation de handicap non visible et leur degré d’accord avec les stratégies réputées inclusives de la conception universelle de l’enseignement (CUA)?

L’inclusion : un processus
L’inclusion, c’est un processus. Il y a un début. Mais jusqu’où ça peut aller ? « Au postsecondaire, les étudiants doivent atteindre les objectifs, démontrer les compétences acquises, peu importe le chemin emprunté pour y arriver. Ça commence à partir du moment où l’enseignant accepte les accommodements. S’il accepte les accommodements, il est déjà dans le processus d’inclusion. L’inclusion totale, ce serait de travailler en équipe interdisciplinaire; ce serait d’offrir des stratégies pédagogiques variées qui s’apparentent au modèle de la conception universelle des apprentissages. »

Les trois quarts des répondants se disaient assez favorables à l’inclusion de ces étudiants en situation de handicap non visible
Dans le cadre de sa recherche, plusieurs cégeps ont été contactés. Huit ont répondu positivement. La collecte des données s’est faite par le biais d’un questionnaire en ligne portant sur des pratiques inspirées de la CUA et sur les représentations sociales. Près de 170 personnes ont répondu au sondage. Par la suite, trente entrevues semi-dirigées ont été réalisées auprès des participants de différents cégeps. Les trois quarts des répondants se disaient assez favorables à l’inclusion de ces étudiants. « Bien sûr, ils avaient certains doutes et se posaient des questions. Mais, dans ma pratique, j’ai souvent entendu d’autres propos, du style : “Que font-ils là ?” ou “Ils ne sont pas à leur place.” Ce type de remarques ne représente que 10 % des répondants au sondage et 0 % des personnes interviewées. »

Les représentations sociales
Le concept de représentations sociales vient d’une théorie française issue de la psychologie sociale développée au début des années soixante par Serge Moscovici. Il s’agit d’une idée commune partagée dans une communauté sur un sujet nouveau qu’ils doivent interpréter. « À titre d’exemple, pensons au sida qui était une maladie très peu connue dans les années 80. Les gens avaient très peur. Parce que la maladie est contagieuse, on pensait qu’elle pouvait être contractée à tout venant. Ils se sont mis à ostraciser les personnes les plus à risque. Avec le temps, l’information a changé la donne. Et de nouvelles représentations se sont formées. »

Les représentations de l’équité
La représentation de l’équité est dominante quand on parle d’évaluation d’étudiants en situation de handicap. Mais dans le cadre de l’interprétation de l’équité, les interprétations divergent. « Pour certaines personnes, l’équité, c’est se comporter et agir de la même façon dans une optique de justice. On sait que ce n’est pas ça l’équité. On fait souvent une adéquation entre équité, justice et égalité. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Équité et égalité ne sont pas de même nature. La loi dit que les étudiants en situation de handicap doivent être accommodés, clarifiant ainsi l’interprétation légale de l’équité. »

Normal ou pas?
Quels sont les problèmes qui surgissent quand on intègre des étudiants en situation de handicap non visible comme, par exemple, des personnes avec des troubles neurologiques, d’apprentissage ou de santé mentale? « Ces déficiences interpellent les enseignants qui affirment dans un premier temps : “Il me semble qu’il a l’air normal. Tout le monde fait des fautes; les autres étudiants font des fautes. Pourquoi lui offrir des accommodements particuliers?” Dans le cas d’un trouble de santé mentale, ce n’est pas apparent. L’étudiant peut avoir l’air étrange ou bizarre. Comme il y a un sceau de confidentialité, l’enseignant ne sait pas ce qu’il a comme problème, puisqu’il peut être un premier de classe et néanmoins recourir à des accommodements, comme faire ses examens dans un lieu adapté. »

Accueillir la diversité
Une représentation domine : accueillir la diversité. « Ça veut dire être plus attentif à ces étudiants. Certains auront des pratiques qui leur facilitent la vie comme varier les stratégies d’enseignement, donner le matériel de cours un peu à l’avance. Un enseignant dit ne rien faire de spécial, mais reste très disponible face à ces étudiants qu’ils aient des handicaps ou non. Tout de même, on accueille la diversité. »

S’engager dans une relation d’aide
En matière d’encadrement, il s’agit souvent de s’engager dans une relation d’aide. « Encadrer des étudiants en situation de handicap à l’extérieur de la classe ou dans le cadre d’un stage, cela implique de s’engager dans une relation d’aide. Tous les enseignants ne sont pas prêts à relever ce défi. »

L’équité en évaluation
Pour l’évaluation, la question de l’équité prend une grande importance. « Nous sommes obligés d’accorder des accommodements. Si je fais de la différenciation en classe, suis-je équitable? Nous devons le reconnaître, l’équité fait partie des politiques institutionnelles des apprentissages dans tous les collèges. »

Une gestion spécifique
L’enseignant doit également se préoccuper de la gestion. « Souvent, l’étudiant en situation particulière devra faire ses évaluations à l’extérieur de la salle de classe. L’enseignant doit donc aller porter l’évaluation et la chercher, s’assurer que l’étudiant a l’espace requis pour compléter son examen. Les gros collèges qui offrent des services organisés de soutien ont prévu ces aménagements. Dans les petits collèges, où les ressources sont plus limitées, les enseignants peuvent avoir à se charger de surveiller les examens et d’offrir du temps additionnel de disponibilité à l’élève. Certains estiment que cela interfère dans leur autonomie professionnelle. »
Plus l’interprétation de la représentation est favorable à la situation de l’étudiant en situation de handicap, plus l’enseignant adopte des pratiques favorables à son inclusion. « Ces enseignants ont souvent une formation en pédagogie ou en troubles d’apprentissage. Ce sont des gens informés et renseignés, et les recherches le confirment. »

La flexibilité doit primer
Dans un modèle comme la CUA, la flexibilité doit primer. « Il faut que l’enseignant puisse utiliser différentes stratégies dans la même session et être capable de moduler son enseignement. Il pourrait, par exemple, ralentir ou accélérer, ou encore changer son approche s'il voit que ça ne fonctionne pas. Si c’est possible, il peut proposer différentes formes pour une même évaluation. Cela permet de diminuer le recours aux accommodements. Comment est-ce que cela peut se traduire? On pourrait, à titre d’exemple, accepter que les étudiants puissent enregistrer les cours; fournir les diaporamas d’avance; être actif sur différentes plates-formes pour répondre à des forums de discussion; intervenir à l’extérieur des cours; accepter de faire une évaluation de son enseignement pendant la session; accepter de proposer plusieurs formes pour une même évaluation. Les enseignants sont plus ou moins d’accords avec toutes ses approches. D’ailleurs, plusieurs refuseront qu’on enregistre le cours. Certains hésiteront à rendre disponibles les diaporamas de crainte que les étudiants ne viennent plus au cours. »

Les recommandations

À la fin de sa recherche, Carole B. La Grenade propose une série de recommandations.

Les programmes de formation collégiale proposés dans les universités devraient intégrer dans leur curriculum un cours sur l’inclusion et la diversité. « De plus en plus, nous demandons aux nouveaux reçus en comité de sélection s’ils ont une formation en enseignement postsecondaire. Ceux qui répondent positivement sont favorisés pour l’embauche. Parler de formation à la diversité couvre également d’autres groupes d’étudiants : des parents qui reviennent aux études, ainsi que des étudiants de première génération, autochtones ou allophones. Il faut savoir accueillir aussi ces étudiants qui se démarquent de la cohorte la plus nombreuse. »

Les centres collégiaux de soutien à l’intégration (CCSI) devraient se pencher sur l’uniformisation des pratiques quant à la divulgation des caractéristiques des étudiants en situation de handicap.
« On devrait s’interroger sur ce que les enseignants ont besoin de savoir pour leur pratique : un mode de communication normalisé et commun à tous les établissements collégiaux serait un atout. »

• Faire en sorte qu’il soit de la responsabilité des dirigeants d’établissement d’organiser des formations ou de diffuser toute l’information concernant les formations qui sont offertes à l’extérieur de l’établissement, et ce, tout en sondant les besoins des enseignants par l’entremise des départements et du syndicat local.

• Les coordinations départementales devraient servir d’intermédiaires afin de faire connaître aux directeurs leurs besoins en matière de soutien et de formation de leurs enseignants. Elles devraient favoriser la recherche de solutions communes pour répondre aux besoins spécifiques de leur programme. « Cette approche se développe graduellement, puisque le gouvernement a débloqué des fonds pour soutenir les enseignants. Toutes sortes d’initiatives sont prises dans les collèges. Par exemple, la tâche de professeure-ressource peut être assumée dans le département avec une libération de tâche d’enseignement pour ce faire. On met aussi en place des communautés de pratique pour joindre l’ensemble des enseignants. Il faut décloisonner les fonctions de chacun et travailler ensemble. Je crois de plus qu’il faut travailler en équipe interdisciplinaire. »

• Donner aux enseignants l’espace pour se former en permettant des aménagements à l’horaire pour ceux qui souhaiteraient se réunir en communautés de pratiques ou d’apprentissage. « Il ne s’agit pas nécessairement de temps libéré, mais cela peut prendre la forme d’une heure commune à l’horaire durant laquelle on peut se réunir. »

• Concernant les équipes d’intervention interprofessionnelles et du plan d’intervention, « les professionnels des services d’aide à l’apprentissage devraient travailler de concert avec des conseillers pédagogiques, afin de soutenir les enseignants dans leur travail auprès des étudiants en situation de handicap, et les enseignants devraient se tourner vers des ressources professionnelles pour mettre au point des stratégies favorisant l’inclusion ».

 

Dossier préparé par Alain Lallier, édimestre et éditeur en chef, Portail du réseau collégial.






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