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Soins infirmiers : les changements apportés à l’examen professionnel de l’Ordre auront-ils un impact ?

 

 

Chantal Lemay, directrice adjointe, Direction, Registrariat et examen, Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec

 

Nathalie Giguère, directrice des études au Cégep du Vieux Montréal

 

L'Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec a dernièrement décidé d’apporter des changements à l’examen pour accéder à la profession (OIIQ).
Avant le16 septembre de la présente année, l’examen de l’Ordre portait sur des questions à développements courts. À l’avenir, il sera structuré en choix de réponses. La nouvelle mesure s’installera progressivement puisque, cet automne, seul le tiers de l’examen se rapportait au mode choix de réponses. En mars prochain, les deux tiers de l’examen seront sous cette forme afin qu’en septembre 2018 la totalité de l’épreuve soit ainsi conçue si l’Ordre confirme son choix suite à l’analyse des données.

Le Portail a demandé à l’Ordre d’expliquer les raisons de ce changement. Chantal Lemay, directrice adjointe à l’examen, Direction, Registrariat et examen, a accepté de répondre à nos questions. Le Portail a également requis les commentaires de madame Nathalie Giguère, directrice des études au Cégep du Vieux Montréal, sur les réactions des milieux d’enseignement.

Une augmentation des cohortes d’étudiants
Selon Chantal Lemay, la raison principale commandant le changement adopté gravite autour de l’augmentation des cohortes d’étudiants. « Depuis quelques années, nous observons qu’un plus grand nombre d’étudiantes et d’étudiants se présentent à l’examen. Évidemment, l’administration d’un examen à plus de 4500 candidats par année affecte non seulement la complexité de l’activité de correction, mais aussi les délais d’attente pour la transmission des résultats aux candidats. De ce fait, le conseil d’administration de l’Ordre a créé un groupe de travail afin de faire avancer la réflexion sur le sujet et d’optimiser les processus de l’Ordre. » 

Maintien de la méthode évaluative basée sur des situations cliniques
Selon madame Lemay, l’Ordre ne change pas de méthode évaluative. « Nous voulons conserver la méthode basée sur des situations cliniques issues des comités d’élaboration de l’examen. Ces comités sont formés d’infirmières qui travaillent dans les milieux de soins et d’enseignantes en soins infirmiers. Ce sont donc ces personnes qui élaborent les situations cliniques de l’examen afin de s’assurer que celles-ci reflètent de manière la plus authentique la pratique infirmière établie au Québec. Il importait de conserver cette approche évaluative, tout en sachant que nous avions des défis en termes de ressources et de logistique. »

La validation : un processus rigoureux
Selon Chantal Lemay, l’Ordre a toujours adopté un processus de validation pour la production de l’examen. Cette pratique demeure. « Nous avons fait appel à une expertise de spécialistes en évaluation en ce qui concerne le nouveau format de questions à choix de réponses. Nous avons maintenu tous nos mécanismes de validation déjà en place. Nous avons rajouté un niveau de validation pour nous assurer de la qualité de nos questions, mais aussi afin de fournir une rétroaction aux comités d’élaboration. »

Une opération complexe
La correction de plus de 4500 examens par année représente un indéniable défi : la correction de septembre exige quelque dix jours de travail. « Elle  nécessite la participation de plus de 150 correcteurs, majoritairement des infirmières retraitées, subdivisés en deux groupes. Nous ne faisons pas appel à leur pratique professionnelle au sens propre. Les comités d’élaboration formulent les questions, les corrigés et les lignes directrices s’y rapportant. Le corrigé est par la suite minutieusement utilisé par les correcteurs qui sont supervisés par des chefs-correcteurs, qui sont membres des comités d’élaboration. Ces derniers supervisent une dizaine de personnes en s’assurant de l’application rigoureuse du corrigé. Advenant des décisions à prendre concernant des réponses données par les étudiantes et les étudiants, ce sont les membres du comité qui interviennent et réagissent sous forme de consensus. La démarche est très rigoureuse. La correction se fait question par question. Une décision prise s’applique à l’ensemble des groupes afin d’assurer une correction uniforme de tous les cahiers. »

La mobilisation des ressources
L’ampleur de cette démarche sur dix jours suppose une disponibilité importante de ressources en provenance de différents milieux. « Les chefs-correcteurs sont issus des milieux de soins et du milieu de l’enseignement. Il est actuellement particulièrement difficile de libérer des infirmières cliniciennes et des enseignantes pour une aussi longue période. Nous comprenons que les milieux retiennent leurs ressources dont ils ont un indéniable besoin. Ce n’est pas la seule considération dans notre décision, mais cela fait assurément partie de l’analyse. En tant qu’organisation innovante, il est aussi de notre devoir d’identifier les meilleures méthodes d’évaluation et d’optimiser nos processus, et ce, dans le respect des membres et des candidats », d’expliquer madame Lemay.

Revoir les délais des résultats à l’examen
L’Ordre a aussi pris en compte les délais qui touchent les étudiants. Plus la correction est longue, plus les délais augmentent pour eux. Compte tenu de l’augmentation des cohortes, nous prévoyions ajouter des journées de correction. « D’ici deux ou trois ans, nous en serions à 11, 12 ou 14 jours, avec des impacts sur les étudiantes et les étudiants. C’était une autre de nos préoccupations pour mettre en œuvre ce changement. »

La valeur d’un examen avec questions à choix de réponses
La décision d’élaborer un examen avec choix de réponses a été prise par le conseil d’administration de l’Ordre l’année dernière. « Par la mise en place d’une démarche rigoureuse pour le développement de questions à choix de réponses, nous nous sommes assurés que celles-ci mesurent l’application et l’intégration des connaissances requises pour exercer la profession d’infirmière et assurer la protection du public.  »

Introduction des questions à choix de réponses en septembre dernier
Le 18 septembre dernier, les candidates à la profession infirmière ont été soumises à ce nouvel examen. Un tiers de l’examen comportait des questions à choix de réponses. « Le conseil d’administration de l’Ordre a décidé d’y aller graduellement. Nous voulons évaluer l’impact du changement. On ne s’attend pas à avoir des surprises. Mais, lorsque les résultats seront compilés, nous voulons, avec les experts en évaluation, apprécier le comportement des questions, cerner l’impact de l’ajout afin de prendre une décision éclairée pour la suite des choses. Cette analyse devrait assurer la pertinence de nos décisions. Nous devrions en mars 2018 nous retrouver avec un examen composé aux deux tiers de questions avec choix de réponses. Le conseil d’administration devra alors décider du processus à retenir pour la poursuite des choses. En septembre 2018, nous pourrions ainsi nous retrouver avec des examens composés à 100 % de questions avec choix de réponses. »

La réaction du milieu
L’Ordre a informé les milieux d’enseignement de ce changement à l’automne dernier. « Comme dans tout changement, les enseignantes devaient comprendre les motifs de cette décision. Des rencontres d’information ont été organisées. Le changement a été bien reçu en sachant fort bien que nous étions en période d’ajustements. Les échanges que j’ai eus avec les enseignantes me laissent croire qu’elles ont compris notre démarche et les raisons de notre décision. Elles sont particulièrement sensibles au délai d’attente des étudiants pour les résultats. »

Les bachelières seraient-elles favorisées par ce type d’examen ?
Nous avons demandé à madame Lemay si le type d’examen favoriserait les étudiantes bachelières. Selon elle, rien dans la littérature n’indique que les étudiantes bachelières seraient favorisées par les questions à choix de réponses.

Un questionnaire avec 135 questions et deux cahiers
Le questionnaire de l’examen compte 135 questions avec environ trois ou quatre questions par situation clinique. Elles sont divisées en deux cahiers parce que l’examen est divisé en deux parties. La première se déroule le matin de 9 h à midi et le deuxième cahier est traité en après-midi. Nous parlons ici d’un examen qui se tient sur plus de cinq heures.

Est-ce voulu que l’examen professionnel soit difficile pour les candidats ?
« Qu’est-ce que ça veut dire un examen difficile ? Cela dépend à qui on pose la question et de la définition donnée au terme "difficile". Quand les membres des comités travaillent à la préparation de l’examen, leur cible ou leur guide demeure toujours la protection du public. Les questions portent ainsi sur ce qu’une infirmière doit faire dans une situation donnée pour assurer la protection du public, et ce qu’on attend comme intervention de sa part. À quoi s’attend-on en matière d’évaluation ? À quoi s’attend-on en matière de continuité des soins ? C’est là-dessus que l’on cible la question et la réponse que l’on attend de la candidate ou du candidat », précise madame Lemay.

La note moyenne de réussite à l’examen de l’Ordre varie d’un examen à l’autre. Au cours des dernières années, elle se situe autour de 60 %. « Je vous dirais que depuis 2000 les résultats sont assez constants. Il faut mettre en garde les candidates et les candidats par rapport à une note; elle est le reflet d’un examen et de son contenu. Une note, c’est un chiffre, ça ne dit pas tout. »

Une note de passage à 55 %
La note de passage de l’examen a été fixée à 55 %. « C’est la note exigible minimale pour assurer la protection du public. Nous ne sommes pas dans une évaluation d’enseignant. Nous évaluons et exigeons ce qui est minimalement requis pour exercer la profession de façon sécuritaire. » Une étudiante qui échoue à l’examen peut se présenter trois fois au total. La réussite de l’examen est nécessaire pour l’obtention du permis d’exercer la profession. « Une étudiante qui n’a pas le permis de l’Ordre ne peut pas pratiquer de façon autonome. Toutefois, lorsqu’elle a un son diplôme, elle peut pratiquer à titre de CEPI (candidate à l’exercice de la pratique infirmière), mais elle doit être continuellement encadrée et supervisée par une infirmière ou un infirmier détenant un permis d’exercice. »

Par ailleurs, chaque établissement d’enseignement reçoit une rétroaction par rapport aux résultats de sa cohorte de candidats. « L’objectif est de permettre aux enseignantes de réinvestir cette information dans leur programme de formation et ultimement pour la préparation de leurs candidats à l’examen. »
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Point de vue de madame Nathalie Giguère, directrice des études au Cégep du Vieux Montréal, sur les changements apportés à l’examen professionnel

Selon Nathalie Giguère, ce sont essentiellement des raisons de coût et des échéances de correction qui expliqueraient les changements en vigueur. Elle précise que les enseignantes en sont informées depuis un certain temps, ce qui leur permet d’en tenir compte dans leur préparation. La position de l’Ordre à cet effet : « Les enseignantes ne sont pas là pour préparer les étudiantes et les étudiants à l’examen de l’Ordre, mais pour les préparer à exercer la profession d’infirmière. Normalement, c’est le degré d’intégration des apprentissages qui favorise la réussite à l’examen. »

Est-ce que les enseignantes et les étudiantes sont inquiètes ?
« Ça inquiète tout le monde ! » Auparavant, l’étudiant pouvait faire une réponse à développement court, donc mettre tous les éléments importants. Dans la mesure où la réponse était bonne, il recevait la bonne note. Dans une question à choix de réponses, l’Ordre met des leurres. L’étudiante doit discerner totalement quelle est la bonne situation, étant donné que d’autres choix de réponses pourraient les inciter à répondre quelque chose qui est un peu à côté. Ça se joue alors sur des nuances. On se retrouve alors dans une situation où tu l’as ou tu ne l’as pas. »

Le taux d’échec pourrait-il augmenter ?
Est-ce que, dans un tel contexte, le taux d’échec pourrait augmenter ? « C’est possible. Mais la préparation des étudiantes pourrait être suffisante si les vignettes qui accompagnent les questions sont suffisamment bien faites pour que les étudiantes puissent déceler la bonne réponse. Les professeurs et les directeurs des études croient qu’en matière de mesures évaluatives, un choix de réponses n’est pas nécessairement le meilleur moyen d’évaluation pour un examen professionnel », d’affirmer Nathalie Giguère.

De plus, la rétroaction remise à l’étudiant ou l’étudiante par l’OIIQ après la passation de l’examen pouvait être alimentée par les réponses des étudiantes. Cette rétroaction aura possiblement moins de portée avec des questions à choix de réponses.

Cette information permettait aux étudiants qui échouaient à l’examen de mieux cibler leurs lacunes et ainsi de se préparer à la reprise de l’examen.

Un examen en rupture avec les approches pédagogiques
« Au cours des dernières années, les collèges ont développé des approches en APP (approche par problèmes) où sont utilisés des schémas plus complexes que le seul choix de réponses. Les étudiants sont amenés à développer une réponse et à faire une analyse. Le nouvel examen va ainsi à l’encontre de nos approches pédagogiques et vient dans ce sens bousculer nos façons de faire. »

Il n’y a pas péril en la demeure, mais une certaine insécurité
Nathalie Giguère précise que dans l’approche de communications de l’Ordre, il était clair pour tout le monde que ce changement allait s’implanter. « Nous n’avons pas été pris de court. Les professeurs ont demandé du perfectionnement afin de bien comprendre la nouvelle formule et adapter la préparation des étudiantes. Nous ne pouvons dire qu’il y a péril en la demeure, mais il existe quand même une certaine insécurité dans le milieu. Nous nous demandons quel  sera l’impact sur les étudiantes du collégial. Rien ne nous indique que les bachelières seront favorisées par ce type d’examen. Même au niveau universitaire, ce n’est pas pratique courante dans les examens. »

Tout le monde attend avec expectative les résultats des étudiantes au dernier examen. Ces changements auront-ils un impact sur leur réussite et leur entrée sur le marché du travail ? Un dossier à suivre.


Dossier préparé par Alain Lallier, édimestre et éditeur en chef, Portail du réseau collégial. 

Adressez vos commentaires: collaborer@lescegeps.com






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