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Cégep de Joliette - Mémoire des lieux: les défis du patrimoine bâti

Un texte de Natalie Battershill et Josée Morrissette
Enseignantes en Histoire et responsables du Laboratoire sur le patrimoine au Cégep régional de Lanaudière à Joliette

En demandant aux gens de se souvenir des 50 ans du cégep de Joliette, nous ne fûmes pas étonnées qu’une des composantes de cette mémoire allait aussi nous permettre de réexplorer les lieux. Après tout, le patrimoine bâti a cette capacité d’amener les individus à développer un sentiment d’appartenance, de les rattacher à une identité collective.

La façade du Cégep régional de Lanaudière à Joliette.
Photographie Louis Lavoie

Le cégep de Joliette s’est installé en septembre 1968 dans une institution d’enseignement déjà centenaire. Fondé en 1846, l’ancien Collège Joliette, devenu Séminaire de Joliette, a subi depuis maintes transformations. Résultats de reconstructions suite à des incendies ou des agrandissements, elles correspondent aux nécessités logistiques liées à une institution d’enseignement.

M. Sylvain Pedneault, régisseur au Cégep régionalde Lanaudière à Joliette
Photographie Laboratoire sur le patrimoine

Aujourd’hui, son apparence extérieure est une juxtaposition harmonieuse de constructions d'époques différentes, mais son intérieur est un perpétuel changement où le patrimoine se reconstruit avec les années. Dans notre souci de tracer une partie de l’histoire de notre institution, nous avons fait notamment appel au régisseur général de notre établissement, Monsieur Sylvain Pedneault qui dans son travail, doit relever les défis qu’appelle ce genre d’édifice historique. Pour lui, le bâtiment est un objet de curiosité historique dont il découvre dans son quotidien la complexité. Il ne se passe pas un mois sans qu'une «surprise» le force à repenser la planification des travaux ou les priorités.

Transformer dans les limites des murs
Les changements liés à des considérants pédagogiques, les modifications à la carte des programmes ou aux programmes, ou encore l’implantation d’un nouveau programme, amènent des transformations aux bâtiments, surtout dans un collège comme le nôtre qui compte 23 programmes d’études. La taille des classes peut changer, de nouveaux besoins en classes hybrides ou de laboratoires spécialisés peuvent émerger. Il faut donc rediviser l’espace et à mesure que les programmes évoluent, et «reconstruire par en dedans». Sans compter que l’ajout de services aux étudiantes et étudiants restructure aussi les espaces.

Le développement des parcs de micro-ordinateurs dans la seconde moitié des années ‘80, l’arrivée de l’informatique dans la pédagogie, ainsi que celle des dispositifs numériques a entrainé l’installation d’infrastructures de câblage. Ce fut «l’ère des faux plafonds». Ces structures fermées camouflent «les services» et en facilitent la mise en place. Le développement de la technologie sans fil viendra alléger les contraintes liées à l’utilisation de ces équipements. Or, dans un édifice ancestral comme l’aile des professeurs, cette solution est bienvenue, certains fils électriques datant encore de l’installation du réseau ! Les panneaux électriques principaux et les panneaux d’étage ont été remplacés. Les faux plafonds serviront à passer le câblage électrique et l’installation de colonnettes qui pourront être déplacées au besoin, rendent les espaces plus flexibles, plus faciles à modifier.

Aile des maîtres
Photographie Archives des Clercs de Saint-Viateur

Aile A -Cégep de Joliette
Photographie Laboratoire sur le patrimoine

Cette plus vieille partie du cégep d’inspiration Second Empire fut restaurée en 1908 par Alphonse Durand qui transforme le bâtiment en respectant l’esprit du style originel. Aujourd’hui, sous sa toiture «à la Mansart», les deux premiers niveaux sont dédiés aux bureaux de l’administration, au service pédagogique et à l’organisation scolaire. Les trois niveaux supérieurs accueillent quatre classes, et les bureaux des enseignantes et enseignants. Les larges couloirs de l’aile A (ou l'aile des professeurs comme on l’a longtemps appelé) et les portes majestueuses de chêne rappellent l’époque du Séminaire. Sur les deux premiers étages encore y croisons-nous des lambris d’époque et empruntons tous les jours de magnifiques escaliers de bois. Les premiers enseignants du cégep en 1968 ont vu les lits escamotables, les garde-robes et les lavabos dans leur propre bureau, ceux-ci servant autrefois de chambres aux religieux qui enseignaient au collège. Certains bureaux témoignent encore de la présence de «suites»: la chambre communiquait par une porte mitoyenne à un espace bureau avec une bibliothèque vitrée fixée au mur. Il ne reste aujourd’hui que de rares vestiges de ces portes mitoyennes et de ces
bibliothèques qui ont pour la plupart disparu suite à une série de travaux majeurs.

Ces transformations ne furent pas sans complication. S’il avait été possible de reconstruire ces bureaux, les corridors, suivant les normes actuelles, ne seraient probablement pas aussi larges, et chaque enseignante ou enseignant pourrait ainsi avoir son propre bureau. Ce n’est pas le cas actuellement, puisque deux, trois, voire quatre personnes partagent le même bureau faute de pouvoir tout ouvrir l’espace et reconstruire à neuf. En effet, du sous-sol au 3e étage, si les murs des couloirs étaient déshabillés, ceux-ci révèleraient un mur structurel en brique.

Un autre détail qui compliqua les transformations du bâtiment d’origine fut l’utilisation de l'amiante lors de la construction. C’était à l’époque une fibre qualifiée d’extraordinaire parce qu'elle permettait de rendre le plâtre plus malléable. Il n’est donc pas rare de retrouver de l'amiante dans le plâtre des murs et des plafonds. Résultat : le chantier est alors «considéré en amiante». Il faut alors faire venir une compagnie spécialisée pour la décontamination, avant de procéder aux travaux. Les coûts de décontamination ajoutent ainsi au chantier et sont assez importants. Quelquefois aussi, du plomb se retrouve dans la peinture, ce qui exige la prise de quelques précautions. Les problématiques liées à l’entretien de bâtiments patrimoniaux engendrent ainsi fréquemment un problème budgétaire, les coûts associés étant toujours plus élevés que les coûts standards de construction ou de rénovations. Dans ce contexte, être régisseur est un défi de tous les instants. Ces dernières années, les travaux de restauration ont plutôt été de l’ordre des «urgences» structurelles. C’est d’ailleurs le lot des régisseurs et des directions de devoir faire des choix, de prioriser les urgences. Invisibles, ces travaux sont essentiels pour sauvegarder les structures des bâtiments.

Dans l’aile du Centenaire qui date de 1925, des travaux, réalisés il y a 25 ans pour régler un affaissement partiel du plancher, n’avaient pas été faits sur toute la surface de l’édifice. Récemment, des soucis de plomberie révélèrent un problème majeur : l’affaissement de l’aile avait continué et s’étendait plus qu’on ne l’avait pensé. Heureusement, tout le bâtiment avait gardé son intégrité puisqu’il repose sur des pieux qui atteignent le roc à 80 pieds de profondeur et que les planchers de ciment font dix pouces d’épaisseur auxquels s’ajoutent trois à quatre pouces de terrazzo reposant sur un lit de terracotta. Travaux et budget «d’urgence»: la reconstruction de la base de l’édifice se fit en différentes phases, en installant des poutres comme s’il s’agissait d’un étage, sur lequel fut déposé un plancher autoportant.

Des priorités en fonction des budgets
Les plus grands problèmes du patrimoine bâti et de sa conservation sont financiers. Tout ce qui touche le patrimoine coûte toujours plus cher en raison des problématiques que peuvent avoir les édifices patrimoniaux. Qui plus est, trop longtemps le patrimoine a été négligé, les priorités étant mises ailleurs. Maintenant qu’il faut préserver, la tâche est beaucoup plus ardue. Car dans l’effort de sauvegarder, tout devient urgent. Parfois même, il faut réfléchir à la valeur du patrimoine lui-même. Y a -t-il du bon et du moins bon patrimoine ? Du petit ou du grand ? De l’important ou du moins important ?

À toutes les époques, les différentes administrations du collège ont eu à faire des choix. L’une d’entre elles décida ainsi de peinturer les portes de chêne des bureaux du bâtiment de façade. Aurait-il pu y avoir une réfection de celles-ci ? Peut-être certaines étaient très abimées ? Ne cherchons pas trop loin, c’était probablement à l’époque un choix budgétaire qui privilégia ce recouvrement. On ne peut que s’étonner et regretter que quelquefois tout n’ait pas été fait selon les règles de l’art. Car la nature du patrimoine oblige souvent à de lourds investissements ne serait-ce que pour «entretenir» ou vouloir garder le cachet. En général, les régisseurs gardent en réserve quelques portes, des cadres, des moulures de chêne au sous-sol. Or, conserver ces éléments qu’on doit défaire, entreposer, pour éventuellement les replacer ailleurs demande du temps et de l’espace.

Escalier -Aile A

Escalier - Aile A
Photographie Laboratoire sur le patrimoine

Parfois aussi, par souci d’uniformité à l’apparence du bâtiment, il est toujours possible de refaire à l’identique. Récemment, lors des travaux au poste d’accueil du gardien de sécurité à l’entrée du collège, le bois qui le composait était tellement sec qu’il éclatait malgré les précautions prises pour le conserver. Il fut donc décidé de
reproduire en partie la structure avec des matériaux modernes et les agencer avec les anciens de sorte qu’on ne puisse distinguer l’original du nouveau. Envisager la restauration et la conservation de vieux bâtiments, écarter l’option de démolir, suppose travailler « autour et avec » et démonter petit à petit plutôt que détruire entièrement. Or le temps représente jusqu’à parfois 50% des budgets des projets.

Citons également le toit en tôle de l’aile principale qui a été remplacée par un toit de vinyle. L’illusion de la tôle est parfaite, on respecte l’aspect, la durée de vie est semblable, mais les travaux et matériaux s'avèrent moins onéreux. Et que dire de l’entretien des escaliers de bois. Même s’ils ont 100 ans d’âge, il faut les protéger en les revernissant environ aux trois ans pour éviter d’user prématurément le bois. Comme nous n'avons pas encore trouvé de façon d’encapsuler les marches pour leur assurer une meilleure longévité, cette «maintenance» génère des coûts exorbitants dans le budget de fonctionnement.
 

Aire ouverte sur l’escalier central de l’aile Beaudry
Photographie Archives des Clercs de Saint-Viateur

 

La mise aux normes
Les changements aux normes du Code du bâtiment exige souvent de procéder à des travaux qui déparent l'harmonie, ou dénaturent l'environnement et les espaces, nous donnant l’impression déchirante d’avoir à «sacrifier» le patrimoine.

Suite à l’incendie d’une vieille aile de brique qui amènera le démantèlement de sa réputée chapelle gothique en 1957, l’architecte Gérard Notebaert, fait entrer le collège dans le modernisme des années 1960 en construisant l’aile Beaudry. Son utilisation du béton coulé et armé amène l’édifice à défier l’espace. Bien qu’en apparence, elle contraste avec le reste du
complexe collégial, elle s’y harmonise totalement. En son centre, la chapelle et l’escalier central s’élancent vers le haut comme suspendu entre ciel et terre. Dans les années 1990, des travaux cloisonneront l’aile Beaudry pour réduire les dangers de propagation d’un incendie. L’escalier central se retrouve alors «enfermé» dans une cage vitrée, et pour se conformer aux nouvelles règlementations de construction des bâtiments (comme tout escalier doit aboutir à l’extérieur), on lui aménage une sortie à côté d’une sortie.

Dans l’aile des professeurs, les arches s’ouvrant sur les vieux escaliers en bois sont fermées et les étages sont pourvus de portes qui se referment automatiquement en cas d'alerte incendie.  Par ailleurs, une élégante  main courante métallique sera ajoutée à celle de bois pour rehausser le garde-corps à la hauteur réglementaire : une touche de style pour se faire «pardonner».

Escalier central de l’aile Beaudry
Photographie Archives des Clercs de Saint-Viateur

Escalier central Aile B-Cégep de Joliette
Photographie Laboratoire sur la patrimoine

La conscience patrimoniale
Cité comme patrimoine par la ville de Joliette, le cégep à Joliette voit toute modification à l'aspect physique extérieur du bâtiment sujet à l’approbation de celle-ci via son conseil local du patrimoine, afin de ne pas modifier l'harmonie du bâtiment. En ses murs, au rez-de-chaussée, brille encore aujourd’hui l’un des joyaux, son ancienne salle académique à l’italienne de style Louis XV construite en 1927. Cette salle achetée en 1979 par la corporation du Centre culturel de Joliette fut restaurée et rénovée en 1997 et porte le nom d’un ancien professeur de musique, le père Rolland Brunelle.

Comme bien des anciennes institutions scolaires ayant appartenu aux communautés religieuses, le cégep conserve des « artéfacts » du passage de l’histoire : par exemple d’anciennes lampes murales, un gros coffre-fort encastré. Quelques vieilles chaises de bois et de vieux bureaux déclarés non
ergonomiques, remisés au sous-sol qui reviennent pour une deuxième vie sur les étages dans des espaces communs utilisés comme salles de travail. Nous en sommes à préserver et harmoniser le passé et le présent.

Fenêtres sur le passé - Couloir de l’aile C Photographie Laboratoire sur le patrimoine

Parfois, c’est une redécouverte qui nous interpelle, cachée par un plafond suspendu, comme cette œuvre de Maximilien Boucher traversée par des tuyaux de gicleurs d’incendie qui ne demande qu’à être sortie de l’oubli et de nouveau mise en valeur. D’autres au détour d’une aile de raccord entre deux bâtiments s’affichent sous une apparence modernisée défiant le temps comme des fenêtres sur le passé.

Le dôme de style Empire
Photographie Archives des Clercs de Saint-Viateur

 

Parmi les projets d’avenir, la volonté de remettre à l’état d’origine la partie centrale au haut de la façade du collège, qui a été recouverte de tôle cachant l’ancien dôme de style Empire.


De nos jours, la conservation du patrimoine n’est plus simplement une question de restauration. Elle est aujourd’hui synonyme d’une mise en valeur qui passe par du recyclage et la réhabilitation de certains espaces, deux actions désormais incontournables. Il s'agit d'intervenir avec discernement sur l'existant dans une perspective de développement durable. C’est une question de volonté de sauvegarder notre patrimoine. La direction de Joliette ainsi que son régisseur y sont sensibles. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la protection du patrimoine n’est pas de faire de notre patrimoine bâti et des objets qu’il contient un musée. Le préserver nécessite de lui permettre d'évoluer.






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