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Avant la mort de David Dorais, un récit profondément touchant

Par Élise Prioleau

David Dorais est auteur et professeur de littérature au Cégep de Sorel-Tracy. Cet automne a paru son plus récent livre, Avant la mort. Un récit de vie dans lequel il livre avec une grande authenticité l’histoire de l’accompagnement de son amie de cœur au seuil de la mort. Un récit où s’entremêlent des réflexions philosophiques et personnelles qui permettent d’approcher doucement et humainement le « non-sens » qu’est la disparition d’un être aimé.

Il est rare que l’on parle de la mort que l’on a vécue personnellement, de près, avec un proche. C’est de cette mort intime et bouleversante dont David Dorais esquisse un portrait très personnel dans son livre. Avec générosité, il nous raconte son histoire, celle de sa rencontre avec Anne-Marie, une jeune femme condamnée par le cancer.

L’histoire commence en 2018, lorsque David et Anne-Marie font connaissance sur un site de rencontre. Au premier échange, elle lui apprend qu’elle a le cancer du sein, un cancer incurable. Il lui reste peut-être quelques années à vivre, tout au plus. On apprendra plus tard qu’il ne lui restera que six mois de vie. Intéressé par cette fille intelligente, belle et créative, David aura l’élan de poursuivre ce lien malgré tout, jusqu’au seuil de la mort. Au fil des pages, David revisite chronologiquement cette courte relation, de ses débuts heureux jusqu’aux traitements à l’hôpital, les hospitalisations, et le déclin d’Anne-Marie.

La mort au « tu »
Au fil du récit, David Dorais alimente son récit de réflexions personnelles et de celles de grands penseurs et littéraires. « C’est sûr qu’un événement intense et dramatique comme celui-là, ça soulève des questions existentielles : l’amour, les relations humaines, notre parcours de vie, notre vision de nous-mêmes, la dépression, la maladie, la souffrance, les traitements médicaux, etc. Ça me permettait d’aborder ces sujets là, mais d’une manière libre à travers une réflexion personnelle », évoque-t-il, lors d’une rencontre sur Teams.

C’est le philosophe Jankélévitch qui lui permet, au début de l’histoire, de mettre en relief tout le sérieux, le tragique, de la mort au « tu ».

« Jankélévitch fait une distinction entre la mort au « je », au « tu » et au « il ». La mort au « il », c’est la mort de gens lointains, qu’on ne connaît pas. On ne vit pas cette mort abstraite. La mort au « tu », c’est quelqu’un qu’on connaît, qui nous est familier. J’ai été en contact avec la mort à la deuxième personne. Ici, il reste quand même une petite distance entre soi et la mort. L’accompagnement d’un proche dans la mort, c’est quelque chose de particulier, mais ce n’est pas encore l’étape où j’apprends que je vais mourir »,explique David Dorais.

« La mort commence à s’exprimer à la deuxième personne. Quand « tu » meurs, cela devient autrement sérieux » , écrit-il. La mort au « tu », avec son cortège d’impuissance face à la disparition d’un proche. Une rencontre intime avec la mort dont la plus grande difficulté est la souffrance de perdre tout futur possible avec l’autre, comme en témoigne David Dorais au cours du récit.

« Pourtant, quand tu es en train de mourir, la perte ne s’est pas encore produite. Mais l’avenir est déjà bouché», écrit David Dorais. « Le deuil nous ampute de l’avenir, c’est en cela qu’il fait si mal. »

« Certaines personnes se sont reconnues dans mon récit. Souvent, c’est à travers nos histoires très personnelles qu’on trouve un écho chez les autres. »
- David Dorais

Un lieu de rencontre
David Dorais a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles. Avant la mort est son premier récit de vie. « D’habitude j’écris de la fiction, et même de la fiction fantastique. En vivant une expérience de vie intense, ça m’a amené à vouloir en parler, et adopter un genre différent. » La lecture d’Avant la mort, nous amène certes au cœur de l’univers intime de l’auteur. Elle a l’effet, par ailleurs, de nous ramener en tant que lecteur vers notre propre intériorité, nos propres expériences, nos questionnements intimes.

En ceci, Avant la mort apparaît comme un lieu de rencontre avec ce qu’on a de plus authentique comme humains. Un lieu d’ouverture où la frontière entre soi et l’autre semble adoucie, où se révèle l’humain dépouillé, si semblable en chacun. Une histoire personnelle qui s’offre au monde avec beaucoup de générosité, et qui touche.

« Certaines personnes se sont reconnues dans mon récit. Il y a des gens qui m’ont confié se sentir rassurés de ne pas être les seuls à avoir eu certaines réflexions. Souvent, c’est à travers nos histoires très personnelles qu’on trouve un écho chez les autres », évoque David Dorais.

« J’ai voulu raconter cette expérience-là d’abord pour la partager avec le public. C’était aussi pour moi, pour m’aider à décanter cette expérience prenante. Quand je l’ai vécu, ça a été tellement intense que je n’ai pas eu le temps de prendre le temps d’y réfléchir. L’écriture m’a permis de prendre une distance avec mon vécu. »

« Si la mort d’un être cher est un moment médusant, parfois traumatique, qui provoque un tétanos existentiel, le récit a la puissance d’attendrir cette crispation, de la détendre, au final de fluidifier le caillot pour que le temps humain recommence à couler » , écrit David Dorais vers la fin de son récit.

« Ce livre-là est l’illustration de l’idée selon laquelle les grandes questions philosophiques se jouent au quotidien dans nos vies. »
- David Dorais

Le temps de l’écriture
L’histoire que nous raconte David Dorais se produit à une époque où il entreprend des études en psychologie. Son récit est fortement influencé par l’approche humaniste-existentielle, qui fait aujourd’hui l’objet de sa spécialisation.

« C’est une approche où l’on se penche sur les grandes questions de l’existence : le rapport à la mort, au corps, à la solitude, à l’absurdité de la vie, etc. Dans l’approche humaniste-existentielle, on considère que ce sont ces thèmes-là qui se jouent dans les problèmes de santé mentale et dans la thérapie. Ça a beaucoup teinté mon récit. Ce livre-là est l’illustration de l’idée selon laquelle les grandes questions philosophiques se jouent au quotidien dans nos vies », constate David Dorais.

Une profondeur existentielle toujours disponible ici et maintenant, mais qui a pourtant besoin d’un temps d’arrêt pour se révéler, se concrétiser à travers un récit. « C’est bon de rappeler que les livres prennent du temps à créer », mentionne l’auteur, juste avant la fin de notre entretien.

« L’écriture impose une autre temporalité. C’est comme accompagner une personne dans la mort. La maladie oblige à ralentir. Tout est plus long, plus compliqué, les déplacements sont difficiles. Ça nous oblige à rentrer dans une temporalité autre où on a plus le luxe d’être pressé. L’art a cela en commun avec la maladie et la mort. »