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Le cégep « selon » les 15 à 24 ans
Par Thérèse Lafleur
Qu’ils étudient au collégial ou pas, de jeunes Québécoises et Québécois ont récemment partagé leur opinion sur les cégeps. Bien que la majorité des 7 267 répondants en aient une perception positive, il y a lieu de s’alarmer qu’un jeune répondant sur cinq porte un regard sombre sur l’institution collégiale.
Mandatée par la Fédération des cégeps, la firme Léger a réalisé en octobre 2021 un sondage en ligne pour mieux cerner la vision du collégial des 15 à 24 ans. À la suite de cette collecte de données, le conférencier Christian Bourque, vice-président exécutif et associé principal chez Léger, a présenté le portrait esquissé par ces jeunes lors du Congrès de la Fédération des cégeps, le 11 novembre 2021.
« De mon époque à aujourd’hui, les rêves des jeunes sont les mêmes, mais le contexte pour les réaliser a beaucoup changé. Les jeunes accordent beaucoup de valeur à l’éducation encore maintenant.Par ailleurs, il semble que la langue française représente un enjeu moins important pour eux. » a-t-il rapporté d’entrée de jeu.
Christian Bourque, vice-président exécutif et associé principal, Léger
Il a poursuivi en mentionnant que « Le sondage révèle que les 15 à 24 ans sont en quête de sens. Qu’ils vivent en accéléré une période charnière de leur vie avec tout le lot de tensions que cela suppose. Pour eux, les cégeps ont des assises très solides, mais le collégial a besoin de rénovations pour être au goût du jour ! »
« Ces jeunes cherchent quelle est leur place dans la société tout en se questionnant sur l’avenir même de cette société. Leur opinion générale des cégeps est en grandement favorable. Il reste quand même un jeune sur cinq à convaincre pour qu’il s’y retrouve, c’est préoccupant. Et si la majorité des répondants disent que leur programme leur convient, il y a lieu de savoir qui on échappe et pour quelles raisons. » a résumé monsieur Bourque en terminant sa conférence.
Une étude révélatrice et adaptée au contexte
Ce sondage auprès des 15 à 24 ans est une première pour la Fédération des cégeps. Habituellement, deux fois l’an, la Fédération réalise une étude populationnelle pour savoir dans quelle mesure les Québécois sont en faveur des cégeps. Au fil du temps, la Fédération a vu la pyramide des résultats s’inverser. Auparavant, les jeunes étaient favorables aux cégeps et les gens plus âgés s’avéraient plus critiques. Depuis trois ou quatre ans, il se produit l’inverse à savoir que les plus âgés sont favorables et les 18 à 24 ans plus critiques.
Judith Laurier, directrice des communications, Fédération des cégeps
PHOTO : Amélie Cassulo
La directrice des communications de la Fédération des cégeps, Judith Laurier, explique que : « À la lumière de ces résultats, nous avons décidé d’aller plus loin afin de comprendre pourquoi les jeunes choisissent d’aller au cégep. Initialement prévu au printemps 2020, le sondage aurait dû se dérouler sous forme de groupes de discussion dans les 48 cégeps. L’exercice prévu visait à nous renseigner sur les motivations des 18 à 24 ans à s’inscrire dans un DEC. La pandémie a fait en sorte que nous adaptions la formule de collecte de données en considérant la situation sanitaire. Le sondage a donc été élargi aux 15 à 24 ans, sous format web. Ces jeunes, dont plusieurs fréquentant le collégial, ont été invités à nommer leurs aspirations derrière leur inscription au cégep : leur projet de vie, leur objectif, leurs préoccupations. »
Un sondage dont les résultats sont révélateurs poursuit madame Laurier. « Il y a des choses que l’on soupçonnait et qui ont été confirmées par le sondage. Ce qui nous a d’abord frappés, c’est le 20 % de pessimistes, c’est beaucoup un jeune sur cinq. Pourquoi ce pessimisme alors qu’actuellement un jeune qui a l’espoir d’aller à l’école et d’obtenir un diplôme sait qu’il aura sa place dans la société ? Ce pessimisme est-il l’apanage des étudiants ayant des besoins particuliers ? Est-il lié à une problématique de santé mentale ou aux difficultés que vivent les étudiants ? Faut-il mieux préparer les jeunes à aimer le cégep et qu’ils se sentent préparés en intégrant le collégial ? » questionne-t-elle.
Madame Laurier ajoute que : « L’autre point marquant révélé par le sondage, c’est le 49 % de nos étudiants qui disent ne pas avoir suffisamment de connaissances financières pour prendre des décisions éclairées. Une affirmation inquiétante alors que ces jeunes sont à un carrefour de leur vie, à une période où ils ont beaucoup de décisions à prendre en lien avec leurs études et,en parallèle, un travail qui leur permet de jongler avec leurs besoins de consommation. »
En précisant leurs attentes à travers le sondage, les 15 à 24 ans demandent une pédagogie plus flexible pour répondre à leur style de vie. Cela confronte les approches et les structures traditionnelles selon madame Laurier. « Ils disent vouloir encore des cours en présence, mais la flexibilité qu’offrent les cours à distance est appréciée. La formation tout au long de la vie amène à cela et le marché de l’emploi appelle à cela. »
Les éléments marquants du sondage
Placé sous le thème. ce 13e congrès de la Fédération des cégeps a donné l’opportunité aux participants de prendre connaissance des faits saillants de cette collecte de données tels que présentés par monsieur Bourque.
La pandémie
Sans surprise, l’étude révèle que les bouleversements générés par la pandémie ont changé les plans scolaire, professionnel et financier de la moitié des jeunes. La grande majorité de ceux qui étaient aux études ont poursuivi à temps plein. Cependant, lors du retour à la normale à l’automne 2021, force est de constater qu'un étudiant sur dix a remis son choix en question et poursuivi soit à temps partiel ou a abandonné ses études.
L’image des cégeps
Globalement, les 15 à 24 ans ont une image favorable des cégeps alors qu’un jeune sur cinq a une opinion plutôt défavorable des cégeps. « Les jeunes manquent d’arguments pour expliquer leur préjugé favorable envers les cégeps. Comme si, quand ils arrivent à 15 ans, personne en amont n’a nourri leurs attentes à l’égard du cégep. » a précisé monsieur Bourque. Quant à ceux qui voient le cégep d’un moins bon œil, ils semblent davantage en mesure de le justifier : programmes trop génériques ; cours de base non pertinents ; charge de travail trop élevée ; trop de pression ; trop stressant ; un passage obligé.
Une perception en demi-teintes
Autrement exprimé à travers le sondage, les jeunes considèrent que le cégep est accueillant et décontracté. Pourtant près de la moitié des répondants le fréquentent avant tout pour passer à l’étape suivante. Cette motivation prime sur leur intérêt à accéder à un milieu de vie propice à des rencontres enrichissantes et susceptible de modifier leur façon de concevoir la société dans laquelle ils évoluent.« Les 15 à 24 ans perçoivent le cégep plus complexe que simple, aussi novateur que traditionnel, plus cool qu’ennuyant et moins festif qu’on le prétend. Ils considèrent le cégep comme chaleureux, assez diversifié, assez varié et assez accessible, bref leur perception des cégeps est assez en demi-teintes » a constaté monsieur Bourque. À retenir qu’un jeune sur cinq évalue que le cégep est plutôt fait pour les autres, pas pour lui.
La socialisation
Alors que le cégep est perçu comme lieu de socialisation par la grande majorité, un étudiant sur cinq a répondu « pas tant que ça ». Les résultats montrent que parmi les répondants qui sont au cégep, un peu plus de la moitié entendent souvent des étudiants se plaindre de leur parcours à l’intérieur même du cégep. Et, bien que la moitié des collégiens se sentent proches des étudiants de leur programme, l’autre moitié affirme le contraire. Par ailleurs, l’ensemble des répondants considère que leur cégep joue un rôle important dans sa collectivité. « Toutefois en faisant le croisement entre grande ville ou région, les cégeps de région semblent avoir un rayonnement plus important dans la tête des 15 à 24 ans », a nuancé monsieur Bourque.
L’importance du cégep
L’étude révèle que presque la moitié des collégiens rêvaient d’aller au cégep pendant leur secondaire contrairement à 39 % qui considèrent que le cégep n’offre plus un enseignement qui motive les jeunes.Bien que la majorité croie que le cégep est aussi important qu’avant, reste un jeune sur quatre qui pense que le collégial n’est plus aussi important qu’avant. Quant à la vie au cégep, alors que le quart des répondants profitent des activités, les trois-quarts disent « non pas vraiment ». Pour la majorité c’est un lieu d’apprentissage utile dans leur cheminement de carrière alors qu’une minorité envisage le cégep comme l’endroit idéal pour déterminer ‘qui je veux être’ et ‘ce que je veux faire dans la vie’. Plus de la moitié mentionnent que c’est un lieu trop axé sur les connaissances générales plutôt que sur les besoins spécifiques du marché du travail. Quant à l’importance du cégep dans leur vie ? Si 79 % des collégiens indiquent que le cégep est important pour eux, il en reste un sur cinq qui est d’avis contraire.
Le côté givré du cégep
Les répondants devaient choisir trois éléments positifs parmi l’ensemble proposé. Il en ressort le classement suivant :
1. Contenus de programme ;
2. horaire— pourtant l’horaire arrive aussi comme élément négatif principal ;
3. qualité de l’enseignement — par ailleurs un jeune sur cinq le voit plutôt négatif ;
4. services d’encadrement et d’aide ;
5. activités étudiantes ;
6. installations physiques ou sportives.
Que pensent-ils de leur cégep et de leur programme ?
Les répondants ont fait leur choix soit parce que l’établissement est à proximité, soit en fonction d’aller à l’université ou pour avoir entendu parler positivement de ce cégep. La grande majorité ont une opinion favorable de leur cégep. D’ailleurs, deux jeunes sur trois se disent fiers de leur cégep.
Préparer les jeunes à aimer le cégep
Monsieur Bourque a insisté sur le fait que 16 % des répondants disent que leur opinion s’est détériorée depuis qu’ils fréquentent leur cégep. « Cette proportion de l’échantillonnage est préoccupante dans l’ensemble des résultats. Quand nous demandons à un jeune ‘Souviens-toi de ce que tu pensais du cégep avant d’y arriver et dis-moi si cette perception s’est améliorée ou détériorée depuis que tu y es ?’ Le tiers des collégiens répondent avoir meilleure opinion, la moitié disent que cela n’a pas changé. Cependant presque un sur cinq dit que son opinion s’est détériorée. Ce qui est intéressant à observer, c’est que la proportion de ceux dont la perception du cégep s’est améliorée est beaucoup plus élevée chez ceux qui avaient une opinion favorable avant d’y arriver. Autrement dit, si au secondaire le cégep a été présenté comme extraordinaire et les études collégiales valorisées, l’impact sur la perception du cégep risque d’être meilleur quand les jeunes y seront. Alors, est-ce qu’ils arrivent au cégep dans les meilleures prédispositions pour se dire que, pendant les deux ou trois prochaines années, ça va être le fun ? »