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Les coûts familiaux des programmes sports-études

Des besoins particuliers

Logement, équipement, inscription, alimentation, stages curriculaires… Dans une perspective d’égalité des chances dans notre réseau, est-ce qu’il y a des obstacles financiers à l’accessibilité au sport collégial ?

Olivier Veilleux-Spénard, Portail du réseau collégial

Quand il est parti pour aller au camp de l’Orange de Syracuse, en 2018, Matthew Bergeron voyait l’aventure davantage comme un « road trip ». Il ne savait même pas ce que signifiait une bourse d’études pour athlètes ; ce que ça impliquait. Car dans le réseau collégial québécois, les étudiants-athlètes ne sont admissibles qu’aux programmes de prêts et bourses traditionnels.

Photo : Thomas Baker, Noun Project

Il partait du Cégep de Thetford. Matthew Bergeron est très lucide par rapport à ce que le football collégial requiert. « Beaucoup de mes coéquipiers devaient travailler, j’ai beaucoup d’admiration pour eux. Je me sens vraiment privilégié d’avoir pu bénéficier d’un “scholarship” (une bourse d’études) à l’université », dit-il aux hôtes du balado Falcons in Focus, diffusé sur la page des Falcons d’Atlanta.

« On ne peut pas attirer les étudiants-athlètes avec des bourses et des gratuités. C’est interdit par le RSEQ pour éviter le maraudage. Le plus offrant aurait les meilleurs talents, et personne ne veut ça », nous dit Anne-Marie Rousseau, directrice adjointe des affaires étudiantes internationales et sportives au Cégep de Thetford.

Anne-Marie Rousseau

L’article 11 des règlements RSEQ du secteur collégial interdit de fournir aux étudiants-athlètes une aide ou un avantage financier direct ou indirect. Il fut adopté par l’ensemble des cégeps, et l’idée c’est « d’atténuer les inégalités entre le privé et le public », nous dit Gustave Roel, président-directeur général du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ). « Une bourse doit être universelle au cégep, mais si elle est attribuée seulement sur le plan sportif, ça devient déloyal par rapport aux autres étudiants. »

Gustave Roel

Double projet

L’offre du collégial dans la réalisation du double projet sports-études, Anthony Croteau-Leblanc y croit. Il est coordonnateur des programmes sportifs des Filons de Thetford.

Anthony Croteau-Leblanc

Si les services périphériques sont difficilement comparables d’une institution à l’autre, selon lui, le rapport qualité-prix ne se compare pas avec l’offre sportive au civil, c’est-à-dire les réseaux hors école. Il note l’encadrement pédagogique, psychologique, et social. « C’est beau de voir des étudiants s’accrocher à un projet d’étude par le biais d’une passion. »

« Nos tarifs à Thetford sont compétitifs. On croit être en dessous du marché », dit Anthony. « L’adhésion va de 400 $ à 3500 $. » Il précise que ce sont les sports provinciaux, soit le hockey, le football et le basketball, qui demandent davantage d’encadrement de la part des établissements en termes d’équipements, de ressources humaines et d’infrastructure. Et le hockey demeure le sport le plus dispendieux.

Pour les sports avec une portée provinciale, M. Roel explique que les principales dépenses sont engendrées par l’arbitrage qui représente 75 % du coût. « Lorsqu’on passe du secondaire au collégial, les frais d’arbitrage sont plus élevés, car le niveau de jeu est différent. »

Le hockey demeure le sport le plus dispendieux.

Les frais de transport sont assurés par les établissements et comment la facture est refilée à l’étudiant est très variable d’un cégep à l’autre. Le RSEQ ne gère pas ce volet.

Pour le basketball, le coût annuel de cette année pour les frais de ligue et arbitrage coûte environ 500 $ par étudiant pour une douzaine de matchs, donc entre 50 et 60 $ par match dans les ligues de divisions 1 et 2. Lorsqu’il se rajoute des tournois, c’est aux frais des cégeps. 

Les frais d’inscription ne semblent pas un frein à l’accessibilité. M. Roel nous indique qu’au dernier recensement, 12 000 élèves du secondaire participaient à des sports régis provincialement à même le réseau scolaire et que ce nombre se reflète au collégial. 

Se loger, se nourrir…

Les logements abordables sont un besoin comme ailleurs au Québec, indique Anne-Marie Rousseau. À Thetford, le cégep a fait l’acquisition d’une ancienne résidence pour personnes âgées pour la reconvertir en résidence étudiante. « Il y en a des condos, mais ce n’est pas ce dont nous avons besoin. »

Les étudiants qui proviennent d’ailleurs, surtout les étudiants internationaux, arrivent souvent sans permis de conduire ou sans auto. Les loger à proximité et de façon abordable est un défi de taille. Anthony dit qu’à Thetford, les étudiants-athlètes qui proviennent de l’international représentent environ 10 % des participants aux équipes des Filons. 17 au football, 9 au basketball. 4 en soccer, et 2 en cheerleading. « Faire partie d’une équipe sportive est tellement une façon efficace d’intégrer un milieu », dit Anne-Marie.

Les frais liés à l’alimentation font mal. 

Les frais liés à l’alimentation font mal. Anne-Marie nous fait part d’une opinion qu’elle précise être bien personnelle : « Je vois les étudiants-athlètes comme des étudiants à besoins particuliers. Ils sont dans un contexte particulier, avec des exigences particulières, mais elle n’existe pas l’aide particulière aux athlètes pour les aider à pousser. » Elle partage ce qu’elle et Anthony voient au quotidien : « Pour des athlètes élites, une grosse poutine par jour, ce n’est pas assez. Même si on leur donne des formations culinaires, nos athlètes n’ont pas le temps de cuisiner.

« Au hockey, les familles sont souvent plus présentes, pour le lavage, les petits plats… » Au basketball, constatent-ils, les parents sont moins présents (on y trouve plus d’étudiants internationaux) et les difficultés financières plus apparentes. Une aide qui ne provient pas des cégeps, une aide pour tous, afin d’éviter les inégalités, pourrait grandement aider.

Dans une enquête d’ÉCOBES portant sur les étudiants-es prévoyant prendre part à un sport compétitif, on note que 83 % des répondants résideront chez leurs parents ou tuteurs, 82 % ne déménageront pas, 89 % n’ont pas d’inquiétudes financières, car 73 % ont un soutien financier de ces mêmes parents ou tuteurs, et 67 % n’auront donc pas besoin de prêts et bourses.

Travailler ?

Anne-Marie et Anthony nous font part de la mentalité Filons : « On met beaucoup d’énergie et on demande à nos étudiants le même engagement. Pratiques, matchs, événements, récupération, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour travailler. » Pas du tout, même.

Anthony est réaliste. Il sait son organisation très agile pour aller chercher des partenaires, mais ajoute qu’elle ne peut pas inventer de l’argent. Un appui de l’état serait bénéfique. Pour eux, le sport au cégep, ce n’est pas un loisir, c’est un axe de développement et de surpassement. Anthony conçoit que « l’entreprise » des Filons n’est pas là pour faire de l’argent, mais vise autant que possible à « offrir à l’étudiant-athlète une expérience sportive haut de gamme, qui s’inspire de standards extrêmement élevés. »

Si LDT avait été infirmier…

 

Dans nos cégeps, plusieurs athlètes au statut amateur croient encore aux grandes universités et aux ligues professionnelles. Et ce ne sont pas que des toquades, le niveau de jeu de notre réseau collégial peut effectivement y mener.

Si le diplôme au collège est la priorité numéro un d’un double projet sport-études, parfois, une exception confirme la règle. Par exemples les Matthew Bergeron, Laurent Duvernay-Tardif, Chris Boucher… Le programme de basketball des Filons de Thetford rayonne. L’an dernier fut historique : ils ont atteint les championnats canadiens. Outre l’étoile montante Quency Guerrier, qui a fait la couverture du March Madness, le Cégep de Thetford est fier de Raymi Couëta, 1re joueuse des Filons à être repêché dans la NCAA (Université Duquesne).

Lorsqu’on parle à des responsables de la vie étudiante dans nos cégeps, l’expression « on n’a pas une cenne » revient souvent. Pas une cenne pour le transport d’équipes à des matchs à l’extérieur ; certains-es joueurs-ses se voyageant eux-mêmes, car ils y tiennent. Ça, c’est lorsqu’il y en a une équipe, car pas d’entraîneur, pas d’équipe. Et « coacher » au collégial, même en Division 1, ça paie des peanuts. Dans un article publié en juillet dernier sur le Bulletin sportif, Philippe Malo exemplifie le fait que « le niveau collégial demeure un enfant pauvre » en ce qui concerne les salaires offerts aux postes d’entraîneurs.

L’accessibilité aux sports collégiaux est également confrontée aux exigences de certains programmes techniques, comme le plus important du réseau : Soins infirmiers. Anthony Croteau-Leblanc en sait quelque chose : « Quand viennent les stages en milieu hospitalier, par exemple, le double projet devient impossible. Les étudiantes doivent faire des choix. »

M. Roel en est conscient. « La RSEQ ne décide pas des règles. Notre rôle, c’est de les appliquer. » Pour lui, c’est à la Fédération des cégeps de voir au besoin d’une souplesse en ce qui concerne les aides financières pour les étudiants athlètes.

Diplômer ?

M. Roel croit qu’un état de la situation pour l’ensemble de la province permettrait à la fédération d’avoir une réflexion sur ses politiques.

À ce sujet, Anne-Marie nous dit que le nouveau centre de recherche Athletica Innovation mènera des projets de recherche entourant entre autres « les bienfaits de la pratique sportive, l’encadrement des athlètes et la santé mentale des personnes en relation avec le sport, et ce, peu importe leur âge. »

« Nous ne sommes pas une académie, mais bien un cégep », nous dit Anne-Marie Rousseau. L’idée d’un programme sport-études au collégial « n’est pas d’aller chercher les meilleurs talents possibles, mais bien de développer nos jeunes sur les deux fronts. »

Gustave Roel explique la philosophie derrière les ligues sportives à l’éducation supérieure : « le sport est un levier de motivation à l’obtention d’un diplôme. » Et non l’inverse, contrairement à des « réseaux américains généralement davantage centrés sur la performance. »

M. Roel parle de l’importance de la diplomation dans le réseau. « Prenez l’exemple du football : les meilleurs joueurs aspirent à jouer dans la ligue canadienne de football, pour en moyenne 3 ou 4 saisons durant lesquelles ils occuperont un autre emploi pour y arriver. De là l’importance d’avoir un diplôme. »