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Projet phare dans le domaine de la création numérique
L’Îlot Balmoral : un carrefour unique en son genre
La création numérique est un secteur d’activité important au Québec. Pour répondre aux besoins évolutifs de cette industrie dynamique, un projet ambitieux visant à regrouper sous un même toit les milieux professionnel, de la recherche et de l’enseignement a récemment vu le jour.
Par Ann-Marie Gélinas, rédactrice
Une initiative nécessaire
L’idée de l’Îlot Balmoral a émergé en 2017 lors d’une rencontre entre des acteurs de l’industrie de la création numérique, notamment des spécialistes des jeux vidéo, des effets visuels, de l’animation 2D et 3D et des productions immersives, et la ministre de l’Enseignement supérieur d’alors, Hélène David. La directrice générale de SYNTHÈSE — Pôle Image Québec, Brigitte Monneau, explique que cette réflexion a été motivée par la rapidité d’évolution du secteur et les besoins croissants en main-d’œuvre qualifiée : « C’est une industrie qui bouge vite, et les entreprises constatent souvent que les jeunes ne sont pas prêts pour le marché du travail. L’idée d’un pôle de concertation entre le milieu de l’enseignement postsecondaire et le milieu des affaires a donc germé pour regrouper physiquement tous les joueurs dans un lieu emblématique, l’Îlot Balmoral. »
Le projet a mis du temps à éclore, notamment en raison de la pandémie. Le directeur de la formation continue et aux entreprises du Cégep du Vieux Montréal, Éric April, souligne que la persévérance et la mobilisation des équipes ont été cruciales pour faire avancer le dossier. La directrice de la formation continue du Cégep de Matane, Christine Dugas, insiste pour sa part sur les efforts de lobbying de l’équipe de Brigitte Monneau, qui n’a jamais cessé de remettre ce projet à l’ordre du jour.
Un maillage pour l’innovation
SYNTHÈSE — Pôle Image Québec a joué un rôle déterminant dans ce projet en facilitant la collaboration entre les différents acteurs de l’écosystème numérique. Ce pôle vise à intégrer les avancées technologiques dans les programmes en enseignement supérieur, à développer des projets de recherche en collaboration avec les entreprises et à maintenir une position de leadership dans le domaine de la création numérique.
Le but est d’offrir constamment des programmes à la fine pointe pour répondre aux besoins changeants et émergents de l’industrie. Bien que le Ministère révise les contenus de ses diplômes d’études collégiales (DEC), il ne le fait pas tous les ans, ni même aux deux ans, soit la fréquence à laquelle les programmes en création numérique auraient besoin de révision. Or, il en est tout autre concernant les programmes de formation continue élaborés par les cégeps.
« Les cégeps jouissent d’une grande agilité pour réviser eux-mêmes leurs programmes; ils peuvent concevoir de nouvelles attestations d’études collégiales (AEC) pour ajouter une spécialisation post-DEC, par exemple. Il s’agit d’une plus-value de la formation continue, cette capacité de développer rapidement des projets pour offrir de la formation là où les besoins sont les plus criants en créativité numérique », nuance Christine Dugas.
Et où sont-ils les plus criants, ces besoins ?
« En ce moment, il manque beaucoup de professionnels capables de se servir de l’intelligence artificielle comme outil de travail. C’est un incontournable, les entreprises adoptent rapidement ces technologies et elles ont besoin de gens compétents pour en tirer le meilleur parti », précise Brigitte Monneau.
Une mutualisation des infrastructures
Les formations offertes à l’Îlot Balmoral sont donc conçues pour répondre aux besoins de formation de la main-d’œuvre. Elles ciblent une clientèle adulte avec des programmes de formation continue en animation 3D, en modélisation, en jeux vidéo et en effets visuels qui varient de 500 à 2 000 heures, en plus des formations plus courtes et spécialisées, parfois même sur mesure.
La clientèle de ces programmes aura désormais la chance de se perfectionner dans un environnement unique au monde. Le choix de l’emplacement n’est d’ailleurs pas anodin : situé au cœur du Quartier des spectacles de Montréal, l’Îlot Balmoral incarne toute la créativité du Québec, à commencer par son rez-de-chaussée, qui abrite les bureaux de l’Office national du film. Il se trouve aussi dans un rayon de deux kilomètres d’entreprises, d’établissements d’enseignement et de lieux emblématiques du milieu de la création numérique de la province.
À l’intérieur, ses installations à la fine pointe de la technologie comprennent des laboratoires, un dôme immersif, un studio de capture des mouvements, ainsi que des studios de production virtuelle et 3D. Ces équipements, souvent inaccessibles pour chaque établissement individuellement, sont mutualisés pour optimiser les ressources et offrir des occasions uniques de formation et de recherche.
Synergie, fluidité et décloisonnement
Éric April met de l’avant une autre caractéristique unique et innovante du projet : l’aspect interordre. Cette particularité permet non seulement la mutualisation des équipements, mais aussi celle des ressources et de l’expertise entre les cégeps et les universités. Il explique : « Le fait d’avoir une offre concertée permet de commencer une formation dans un cégep et de poursuivre avec un programme complémentaire dans un autre établissement sans qu’il y ait de compétition. Tout se fait en complémentarité. » Il en résulte des passerelles plus fluides entre les programmes collégiaux et universitaires.
Cette synergie entre les ordres et les programmes est le fruit d’un regroupement judicieux. « Le choix initial des établissements — soit le Collège de Bois-de-Boulogne, le Collège Dawson, le Cégep de Matane, le Cégep Limoilou, le Cégep du Vieux Montréal, l’Université du Québec à Chicoutimi et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue — visait à assurer une belle représentativité des disciplines et des régions tout en incluant l’enseignement de langue anglaise », explique Christine Dugas.
Le codirecteur général du Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN) affilié au Cégep de Matane, Julien Coll, évoque un autre avantage important découlant de cette alliance inédite : « Nous avons discuté avec le ministère de l’Enseignement supérieur de la volonté de décloisonner la recherche entre les cégeps. La concertation pourra favoriser une collaboration accrue dans l’ensemble du cycle, de la recherche fondamentale en passant par la recherche appliquée jusqu’à la mise en œuvre chez les partenaires industriels. »
Une offre concertée, une vitrine internationale
L’aval au projet n’a été donné qu’en février dernier et déjà les intervenants rêvent à toutes les retombées qu’il permettra de générer. « Pour l’instant, les cinq cégeps ont chacun leurs méthodes respectives, mais dans cinq ans, nous aurons réellement une offre de formation concertée. Les maillages seront faits », s’enthousiasme Christine Dugas.
« Sur le plan de la recherche, on s’attend à voir un élargissement de l’accès aux études plus poussées. Le domaine du multimédia doit optimiser ses processus pour augmenter sa productivité, et on compte pour ce faire sur les étudiants au doctorat. Il se trouve que les étudiants des AEC sont des partenaires de choix pour les doctorants, car ils détiennent des connaissances plus techniques. C’est grâce aux études doctorales qu’on pourra pérenniser notre expertise et éviter de devenir juste “des bras”. Parce que des bras, ça se déplace, alors qu’on souhaite conserver notre talent et notre innovation ici », fait valoir Julien Coll.
Brigitte Monneau renchérit : « L’industrie de la création numérique est jeune. Elle a besoin d’innovation et de recherche. C’est en ce sens qu’il faut inciter les étudiants à poursuivre en recherche pour avoir accès à un grand bassin de doctorants. Car plus il y en a, plus le niveau augmente et plus l’attrait devient grand; c’est un cercle vertueux. »
Éric April prédit de son côté une reconnaissance à l’échelle mondiale pour ce projet prometteur : « Toute cette synergie contribuera à instaurer ce carrefour où vont se développer une expertise, des compétences en innovation et un modèle. Montréal possède déjà une notoriété enviable dans le domaine des arts et de la création numérique. Le Québec est admiré par la France et présente un grand attrait pour cette clientèle étrangère. On souhaite tirer parti de cette carte de visite, de cette expertise exportable, pour séduire d’autres clientèles, dont celle du Japon. »
Avec ses infrastructures de pointe, son soutien financier substantiel et sa vision d’intégration et de mutualisation des ressources, l’Îlot Balmoral est destiné à devenir un centre névralgique pour l’innovation, la formation et la recherche dans le domaine numérique, non seulement au Québec, mais également sur la scène internationale.