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Prévenir les violences à caractère sexuel

Par Élise Prioleau

Cet été, une vague de dénonciation sur les réseaux sociaux rappellerait une fois de plus l’existence de violences à caractère sexuel sur les campus. De nombreux collèges en ont profité pour encourager les étudiants et étudiantes à utiliser les nouvelles ressources d’accompagnement et de signalement mises en place depuis un an.

En décembre 2017, la loi 151 sommait les établissements d’enseignement supérieur à se doter d’une politique formelle pour combattre les violences à caractère sexuel. Un code de conduite, un processus de plainte, d’intervention et de sanction devaient notamment figurer dans ces politiques. La date butoir des établissements pour mettre en œuvre leur politique était fixée au mois de septembre 2019, comme le relate Geneviève Reed, coordonnatrice aux affaires étudiantes à Fédération des cégeps.

« À l’époque, les cégeps étaient invités à réaliser une politique en consultant les étudiants, les syndicats, les membres de la direction et les acteurs-clés de leurs milieux. Une fois une première version de la politique rédigée, ils devaient consulter différentes parties prenantes de la communauté collégiale pour s’assurer d’entamer un dialogue sur cette question-là. »

Geneviève Reed, coordonnatrice aux affaires étudiantes à Fédération des cégeps.

La Fédération des cégeps a soutenu les collèges dans l’écriture de leur politique. La L'institution provinciale a également fourni aux collèges des formations sur le thème des violences à caractère sexuel. « Nous avons adapté pour le réseau collégial une formation développée par l’Université Concordia. Nous avons créé deux formations, l’une destinée aux étudiants et l’autre aux employés. Ces formations ont été transmises aux 47 membres de la Fédération des cégeps en janvier 2020. Elles seront offertes aux étudiants et aux employés une fois par année », explique Geneviève Reed.

Le guichet unique, porte d’entrée principale
La mesure phare mise en place par les collèges est le guichet unique. Il s’agit d’un bureau d’intervention facilement accessible aux étudiants et au personnel. « Tous les cégeps ont maintenant un processus de dévoilement et de traitement des plaintes. Pour dévoiler une situation problématique ou poser une question, les individus doivent contacter le bureau d’intervention de leur cégep soit par courriel, par téléphone ou en personne », explique Geneviève Reed. Certains établissements ont également mis en place un formulaire en ligne.

Depuis un an, des travailleurs sociaux, sexologues ou autres professionnels psychosociaux ont été engagés pour accompagner les étudiants victimes de harcèlement sexuel ou psychologique.

Véronique Lareau est travailleuse sociale attitrée au dossier des violences à caractère sexuel au Collège de Rosemont. Elle accompagne et soutien les étudiants qui souhaitent faire un signalement. « Nous informons l’étudiant des recours qu’il a au niveau administratif; une enquête peut être menée par le collège, une rencontre peut être faite avec la personne qui a posé le geste, il peut y avoir un réaménagement de son horaire ou des mesures d’accommodement. Notre priorité d’informer la personne qui s’adresse à nous pour lui permettre de prendre la décision qui lui convient. »

Faire connaître les ressources
Dans la dernière année, les intervenants des bureaux d’intervention ont multiplié les activités de sensibilisation dans les collèges. « L’un de nos défis est de faire connaître le bureau d’intervention et de prévention (BIP) auprès des étudiants et du personnel », évoque Jean-Christophe Durand, conseiller en prévention, discrimination, harcèlement et violence au Collège Ahuntsic.

Jean-Christophe Durand, conseiller en prévention, discrimination, harcèlement et violence au Collège Ahuntsic.

Cette année, le BIP du Collège Ahuntsic prévoit mettre en place un réseau d’éclaireurs. Il s’agit d’une liste d’employés et d’étudiants qui auront comme mandat d’informer leurs pairs sur les détails de la politique du collège en matière de violence à caractère sexuel. Au cours de leur mandat d’un an, ces éclaireurs référeront en cas de besoin les étudiants et le personnel au bureau d’intervention. « Notre défi est de gagner la confiance des gens pour qu’ils se sentent à l’aise de s’adresser au guichet unique », souligne Jean-Christophe Durand. 

Véronique Lareau abonde dans le même sens. « Bien plus que d’informer les étudiants sur les recours auxquels ils ont droit, notre travail consiste à créer un lien humain avec eux », insiste la travailleuse sociale. « Certains étudiants ont peur de s’adresser au collège, qui leur apparaît parfois comme une structure administrative imposante et froide. Nous sommes là pour l’étudiant, pour ce qu’il est et pour ce qu’il a vécu. Nous voulons que l’étudiant sache qu’il est en sécurité lorsqu’il s’adresse à nous. Nous travaillons à faire passer ce message-là. »

Varier les stratégies pour sensibiliser
Différentes stratégies ont été testées dans les collèges pour sensibiliser la communauté collégiale aux violences à caractère sexuel. Conférences animées, discussions, panel d’invités, projection de documentaires, ateliers dans la cafétéria, dans les classes de francisation ainsi que dans les cours réguliers en font partie. L’an dernier, le Collège de Rosemont a reçu l’exposition itinérante Que portais-tu? sur le viol. « Des vêtements sont affichés. Ils représentent ce que portait la victime. L’objectif est de défaire le mythe selon lequel les victimes pourraient avoir suscité une agression du fait du vêtement qu’elles portaient. Il n’y a rien qui justifie la violence sexuelle », décrit Véronique Lareau. L’objectif est d’amener un changement de culture dans les maisons d’enseignement.

Du côté du Collège Ahuntsic, on prévoit lancer cette année une campagne publicitaire à grand déploiement. Une campagne pour faire connaître les services du collège, mais aussi pour éduquer la communauté à reconnaître la violence à caractère sexuel et savoir comment y réagir. Outre le thème incontournable du consentement, la notion de témoin actif risque fort bien d’apparaître dans la campagne, selon Jean-Christophe Durand.

Un témoin actif est une personne qui est témoin d’un comportement inapproprié en lien avec le harcèlement psychologique, sexuel et les violences à caractère sexuel. « Trois approches actives s’offrent à ce témoin. D’abord, l’approche directe, c’est-à-dire demander verbalement que la violence cesse. Ensuite, l’approche de distraction, par exemple en utilisant l’humour pour faire savoir son désaccord. Enfin, la délégation, c’est-à-dire aller chercher de l’aide », explique le responsable du bureau d’intervention. « Je souhaite contribuer à outiller les gens à devenir de bons témoins actifs. Je suis convaincu que la diffusion de ces connaissances-là va susciter de grands changements dans les comportements. »

Briser le silence
Les intervenants qui œuvrent désormais dans les collèges pour faire cesser la violence à caractère sexuelle coordonnent leurs stratégies et leurs réflexions.C’est la fonction de la Table intersectorielle sur les violences à caractère sexuel en milieu collégial (TIVCSC). Plus de 50 intervenants participent à ces rencontres, relate Jean-Christophe Durand. « On vit un sentiment d’entraide dans le réseau collégial. Ce qui m’a le plus impressionné dans mon travail, c’est la générosité, le partage, la collaboration des intervenants entre eux. »

« Les intervenants partagent des intentions similaires autour de la Table », ajoute Véronique Lareau, coordonnatrice de la Table intersectorielle. « Nous voulons briser le silence autour des violences à caractère sexuel. Notre stratégie principale est d’ouvrir le dialogue avec les étudiants. Nous voulons qu’ils soient à l’aise de s’exprimer et de poser des questions, même lorsqu’ils ne sont pas certains de faire face à un geste abusif. »

Apprendre à respecter ses propres limites et celles d’autrui est au cœur de l’enseignement qu’ils souhaitent léguer aux étudiants. Un apprentissage indispensable à l’émancipation de soi, selon Véronique Lareau.« Je souhaite encourager les étudiants à avoir confiance en eux. Je leur propose d’apprendre à s’écouter. Je pense que les jeunes ont besoin de se faire dire qu’ils ont le droit de nommer leur désaccord quand ils reçoivent un commentaire, une photo ou un geste déplacé. L’éducation au respect de soi fait aussi partie du rôle d’une maison d’enseignement », conclut la travailleuse sociale.