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Des directions générales de collège conjuguées au féminin

Depuis plusieurs années, on assiste dans le réseau collégial à la croissance d’un leadership féminin. Dans son infolettre de mars et en lien avec la journée internationale des femmes le 8 de ce mois, le Portail du réseau collégial s’est intéressé au phénomène. À ce jour, elles sont 16 à la tête d’un cégep du Québec ce qui représente quelque 33 % de l’effectif en poste.

Qui sont ces femmes? Quelles sont leurs aspirations et leurs ambitions à titre de gestionnaire principale d’un établissement collégial? Quelle a été l’évolution de la direction féminine de 1967 à ce jour ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré trois d’entre elles, mesdames Monique Laurin, Marie-France Bélanger, et Chantal Denis. Elles connaissent bien la culture organisationnelle des cégeps. Elles y ont évolué à titre d’enseignantes, d’adjointes à la direction, de directrices des études pour ensuite accéder à la direction générale. Leur engagement est marqué par la détermination et le courage. Elles en parlent ouvertement.

Madame Monique Laurin, directrice générale du Collège Lionel-Groulx.

Le Collège Lionel-Groulx se distingue dans le réseau collégial. Quatre femmes ont tour à tour occupé le poste de directrice générale depuis sa création. Mesdames Nicole Brodeur de 1978 à 1981. Suivirent mesdames Hélène Desrosiers et Francine Sénécal. Nous avons demandé à madame Laurin en poste depuis 10 ans de nous parler de ses aspirations et de ses motivations.

«Mon plus grand succès, c’est d’avoir responsabilisé chacun de mes cadres de direction.»

«Le collège s’est transformé en 10 ans. À mon arrivée, il avait la réputation d’être un collège difficile où il existait une culture organisationnelle teintée de confrontations entre les groupes syndicaux et la direction. J’ai réalisé que ma première tâche était de doter le collège d’un premier plan stratégique et d’un projet éducatif. Nous partions de loin et il était important de travailler à l’harmonisation des relations de travail. Il m’apparaissait essentiel de redonner aux administrateurs de services la capacité de gérer leur personnel. Pour ce faire, j’ai encouragé les gestionnaires du service de la direction des ressources humaines à donner du support aux responsables de services dans la gestion du personnel. Il fallait rétablir l’ordre des choses, mettre en quelque sorte de l’ordre dans la maison. Il fallait revoir les façons de faire et réorganiser des services.»

«Mon plus grand succès, c’est d’avoir responsabilisé chacun de mes cadres de direction, de leur avoir donné beaucoup d’autonomie insistant sur l’importance de me faire des suivis sur les dossiers qu’ils menaient et les objectifs qu’ils poursuivaient. Ma porte est ouverte. Je suis au courant de ce qui se passe. J’encourage le travail en équipe. Il est important que l’on parle d’une seule voix. Au collège, les décisions sont prises solidairement. À la fin de mon mandat, je veux laisser un cégep en santé financière, un cégep où les cadres sont heureux, connaissent leurs responsabilités et leurs limites et que personne ne travaille en silo. Incruster cela dans une philosophie de gestion, c’est long. Mais arriver à une cohésion d’équipe, c’est très important.»

«Les directrices générales au sein du Forum des directions à la Fédération sont des femmes fortes, elles tiennent des propos articulés, intéressants et ont un regard différent sur les problématiques.»

À la question : peut-on penser en arriver un jour à la parité hommes /femmes à la direction générale des collèges? Monique Laurin répond : «Je pense que d’être arrivé à 33 %, c’est déjà remarquable. Je ne pense pas qu’il y ait nécessairement de corrélation entre le nombre de directions des études féminines et la perspective d’une augmentation de femmes à la direction générale». Par contre, Monique Laurin a le sentiment que les femmes qui accèdent à ce poste y demeurent plus longtemps. Les femmes adoptent leur organisation et font tout pour la faire progresser. Dans le cadre du forum des directeurs généraux de la Fédération des cégeps, elle a pris l’initiative d’organiser des «Soupers de filles». «L’idée était de mieux se connaître, de consolider nos liens, de renforcer notre capacité d’intervention et de créer un corpus féminin de soutien. Les directrices générales au sein du Forum des DG sont des femmes fortes, elles tiennent des propos articulés, intéressants et ont un regard différent sur les problèmes. La solution aux problématiques est toujours rattachée à la communauté. Avoir des relations harmonieuses dans leur organisation est un souci constant et elles prennent ça en compte quand elles émettent un point de vue ou prennent une décision dans le collège».

Madame Marie-France Bélanger directrice générale du Cégep de Sherbrooke.

Marie-France Bélanger a hérité à son arrivée à la direction générale du Cégep de Sherbrooke d’une culture de direction féminine bien établie. Elle explique : «Effectivement, j’ai été précédée par madame Micheline Roy qui fut une grande directrice générale, elle est demeurée en poste pendant 7 ans après avoir assuré la direction des études pendant 10 ans. On sent d’ailleurs sa présence dans notre établissement et c’est un bel héritage.»

«Il m’importe de connaître les gens. J’ai le souci de créer un milieu humain par une présence attentive»

La direction de madame Bélanger est marquée par le souci de développer des relations harmonieuses avec les membres de la communauté collégiale. Une de ses premières actions a été de «recréer les ponts» avec les syndicats. L’élaboration du nouveau plan stratégique a été déterminante dans ce sens et la démarche choisie pour y arriver appréciée par le milieu. «En compagnie du directeur des études, nous sommes allés à la rencontre de tous les départements et de tous les services afin de dégager des valeurs qui fassent un large consensus. Il m’importe de connaître les gens. J’ai le souci de créer un milieu humain par une présence attentive. Nos valeurs sont teintées d’humanisme et marquent nos relations avec les étudiants, avec les étudiantes et avec le personnel et avec nos partenaires externes». Pour enraciner ce partage des valeurs, nous utilisons l’acronyme CORI pour Considération, Ouverture, Reconnaissance, Intégrité. Ce sont des valeurs qui émergent d’un consensus large et qui teintent plusieurs des démarches de gestion en cours.»

«À mon avis, le premier critère d’accès à un poste de cette nature demeure celui de la compétence»

Sur la question d’une éventuelle parité de gestion homme/femme dans un avenir rapproché, madame Bélanger pense que les femmes prendront certainement de plus en plus de place sans pour autant être convaincue qu’il faut prendre des mesures particulières pour y arriver. «À mon avis, le premier critère d’accès à un poste de cette nature demeure celui de la compétence. Actuellement, la parité est déjà acquise au niveau des directions des études. Est-ce qu’on la dépassera? Je ne sais pas et ne suis pas convaincue que c’est nécessairement une bonne chose. Je crois qu’une mixité homme femme est intéressante et dynamique»

Madame Chantal Denis, directrice générale du Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu

Chantal Denis est la première femme à assumer la direction générale dans l’histoire du Collège. Mais pour elle, la distinction entre gestion au féminin ou au masculin n’est pas signifiante : «Je n’aime pas réellement faire la nuance entre une gestion au féminin ou une gestion au masculin. Je préfère aborder la chose sous le biais des styles de gestion qui diffèrent d’une personne à l’autre. En ce qui me concerne, j’étais au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu avant d’en assumer la direction générale. J’adhérais à sa culture organisationnelle de collaboration, de communication transparente, imprégnée de respect et qui avait toujours bien servi le Collège. J’ai fait le choix de poursuivre dans la même direction».

Quand je suis arrivée à la direction générale, le plan stratégique venait tout juste d’être adopté. Je suis allée avec ce plan que je connaissais bien pour y avoir travaillé à titre de directrice des études. Cette année cependant on termine l’élaboration du nouveau plan stratégique auquel j’ai pu donner mes couleurs en lien avec les nouvelles responsabilités auxquelles nous allons faire face dans un avenir prochain».

«Si je ne suis pas assez à l’interne le milieu s’en ressent et demande à ce que la direction générale soit là, à l’écoute et à l'affût de ses besoins.»

On a tendance à penser que dans les établissements la direction des études est plus tournée vers l’interne alors que la direction générale l’est vers l’externe. Nous avons demandé à madame Denis comment cela se conjuguait pour elle.

«Il faut certainement atteindre l’équilibre entre ces deux types d’interventions. Je mène par exemple des activités de représentation et siège à certains comités dans les régions de Saint-Jean-sur-Richelieu et de la Montérégie, à la Fédération des cégeps et au niveau des collèges canadiens. Cependant, si je ne suis pas assez à l’interne le milieu s’en ressent et demande à ce que la direction générale soit là, à l’écoute et à l'affût de ses besoins. C’est également très important et je dois indéniablement prendre les moyens pour être présente à l'interne, sans pour autant négliger l’externe et je tiens à assurer cet équilibre de gestion. Comment y arriver ? En pouvant compter sur une équipe de direction solide et en étant au courant, des attentes du milieu et des besoins de ses partenaires.»

«Il faut inciter les femmes à postuler à ce genre de poste»

Chantal Denis croit que nous assisterons à une croissance continue de la participation des femmes à la gestion générale des collèges. «Il faut cependant faire connaître la fonction de travail. Il faut inciter les femmes à postuler à ce genre de poste. Ce sont des responsabilités intéressantes et d’influence qui méritent d’être démystifiées. Le bassin de recrutement est important à l’intérieur des collèges. Tous nos enseignants et enseignantes on minimalement un premier cycle de formation universitaire. Il existe d’ailleurs des séminaires pour les intervenants qui veulent accéder à des postes de direction. Ce sont des formations intéressantes qui jouent un rôle de démystification. Ces formations sont données entres autres par le Centre collégial des services regroupés (CCSR) et L’association des collèges communautaires du Canada (ACCC). Cette dernière offre particulièrement le programme Nelly que j’ai d’ailleurs suivi et qui s’adresse aux directions des études qui veulent postuler à des postes de direction générale. Nous étions 15 inscrits et sur le nombre, six ou sept ont accédé à un tel poste.»

L’actuelle situation de grève étudiante gérée sous le mode de la responsabilisation

Au moment des entrevues, les trois directrices générales avaient à gérer la grève des étudiants contre la hausse des frais de scolarité universitaires. Ces trois directrices générales privilégient une approche de communication respectueuse et de responsabilisation avec les associations étudiantes. Des ententes ont été signées entre le collège et les représentants des étudiants de façon à s’assurer que leurs droits puissent s’exercer de façon ordonnée et responsable dans une perspective éducative. Chantal Denis résume bien l’attitude que l’on retrouve aussi chez ses collègues : «Nous communiquons beaucoup avec les représentants étudiants. Il n’y a pas eu à ce jour d’écart quant au respect des ententes. C’est une valeur à leur inculquer et jusqu’à maintenant, ça se déroule bien. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que les gens à l’interne soient informés, et ce même si la responsabilité incombe plus particulièrement au secteur de la vie étudiante. Chacun est partie prenante de la situation (communications, ressources humaines. ressources matérielles).On se rencontre régulièrement, on se tient à jour et on suit les choses de près.»

La présence de femmes dans les responsabilités de direction générale a connu une croissance significative dans les cégeps au cours des 30 dernières années.

Ce constat est aussi valable pour l’ensemble des cadres. L’effectif-cadre féminin est passé de 15% en 1985-1986 à 43% en 2005-2006. En 2011, on comptait 50.1% de femmes dans les postes de direction, coordination et de gérance. Mais, l’indicateur le plus révélateur demeure celui au niveau des femmes au poste de direction des études : elles sont actuellement 28 sur 49, soit 57%. En considérant que le poste de direction des études est une des voies vers la direction générale, il y a lieu de croire que la direction des collèges de demain pourrait se conjuguer de plus en plus au féminin.

Entrevues réalisées par Marie Lacoursière en collaboration avec Alain Lallier
mars 2012
 






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