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Paul-Émile Gingras, homme de collège

« … Ces activités professionnelles constituent en soi une reconnaissance de la compétence de M. Gingras. Elles témoignent également de son esprit de service, de sa grande disponibilité, de sa capacité d’engagement. Elles ont fait de lui un homme vraiment enraciné dans notre milieu d’éducation. À sa riche expérience d’enseignant et d’administrateur de collège, il a ajouté celle de responsable d’un organisme œuvrant sur le plan provincial et celle d’un collaborateur actif au sein d’organismes clés de notre système d’enseignement. S’appuyant sur ce qu’il avait lui-même vécu et observé, tirant également parti des travaux des organismes externes dont il était participant, il a pu étayer ses analyses et ses propositions sur une problématique large et solide, en prise directe sur notre réalité à nous. »1

Cette citation est extraite de l’hommage que Jacques Laliberté rendait à Paul-Émile Gingras lorsque l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) lui a remis le tout premier Prix Gérald-Sigouin. Cette distinction vise à signaler l’importance de l’influence des lauréates et lauréats sur le développement pédagogique du réseau collégial, notamment aux plans de l’enseignement, de la recherche, des écrits et de la gestion.

Et Pierre Lucier d’ajouter : « Vous avez nourri une grande idée de l’éducation et de fermes visées d’excellence ; vous avez cru dans l’étude, la réflexion et l’écriture ; vous avez misé sur la lecture et l’information documentée ; vous avez pensé adaptation, innovation et recherche ; vous vous êtes constamment alimenté aux expériences et aux recherches étrangères ; vous avez parlé et discuté avec les gens. Par-dessus tout, vous avez eu le souci d’éduquer et de vous éduquer. Ceux qui vous ont côtoyé ont ainsi beaucoup appris sur les exigences et la joie de grandir. »1

Né le 27 janvier 1917, Paul-Émile Gingras est diplômé de l'Université de Montréal (maîtrise en français). Il est également titulaire d'une licence en philosophie de la Faculté de la Compagnie de Jésus. Sa carrière débute en 1943 au Collège de Saint-Boniface (Manitoba). De 1954 à 1961, il est secrétaire général du Collège Jean-de-Brébeuf (Montréal), puis directeur des services pédagogiques. Il occupe ensuite les postes de vice-recteur puis de recteur du Collège Sainte-Marie. En 1969, il est élu président du Comité de la formation des maîtres du ministère de l'Éducation. De 1971 à 1974, il siège au Conseil supérieur de l'éducation et, entre 1972 et 1980, il fait partie du Comité Nadeau sur l'enseignement collégial et de la Commission de l'enseignement supérieur. Fondateur du Centre d'animation, de développement et de recherche en éducation (CADRE), il a contribué de façon remarquable au développement pédagogique du réseau de l'enseignement collégial du Québec. En 1994, l’Université de Sherbrooke lui décerne un doctorat honoris causa en éducation. Il est décédé le 3 avril 1997.

Il a contribué à transformer le paysage de l’éducation au Québec, particulièrement pour ce qui a trait à l’ordre collégial. Il est intervenu dans un grand nombre de thèmes et de problèmes touchant principalement la recherche, la formation fondamentale, le projet éducatif, l’analyse, l’évaluation et le développement institutionnels. Analyste lucide et passionné de la vie des collèges, il a produit des études synthèses et de nombreux articles sur l’innovation et la pédagogie au collégial.

De 1992 à 1994, il a publié sept articles marquants dans la revue Pédagogie collégiale de l’AQPC. Ces articles sont disponibles gratuitement en ligne au Centre de documentation collégiale (CDC). Nous en présentons, ici, quelques courts extraits qui illustrent bien la contribution de cet analyste lucide et passionné de la vie des collèges.

Les quatre premiers articles présentent des étapes importantes de la création du réseau collégial et de son évolution : connaître le passé des collèges afin de mieux comprendre ce qu'ils sont aujourd'hui et de pouvoir tracer des voies de développement pour l'avenir. Les trois autres rubriques traitent du perfectionnement des enseignants et de la recherche au collégial.

1. Vers la réforme scolaire2 reconstitue le contexte dans lequel se situe la réforme scolaire des années 1960. On y note que pour beaucoup, l’idée de la réforme scolaire naît, durant les années 60, avec la Commission Parent et la création du ministère de l’Éducation. Il n’y a pas de génération spontanée cependant, et ces événements doivent être vus comme l’aboutissement du cheminement de cette idée durant les quinze années précédentes.

La situation exigeait de repenser l’institution scolaire : celle-ci s’avérait incapable de relever les nouveaux défis de la société. Faire face à l’explosion démographique et hausser le taux de scolarisation de la population, démocratiser l’enseignement collégial et universitaire, offrir les services adéquats de formation technique et scientifique : autant d’objectifs que ne pouvait atteindre le système traditionnel… C’est dans la foulée de ces préoccupations que s’inscriront la Commission Parent et la réforme scolaire, que l’on concevra un niveau d’études pré universitaires et professionnelles, que naîtra l’institut ou le cégep.


2. L’euphorie des bâtisseurs3 analyse la conception et la naissance du cégep, 1964 - 1970.

Qui dit « euphorie » entend surexcitation et bien-être. Et à ma souvenance, ce sont bien là les sentiments qui animaient la Commission Parent et le milieu collégial lorsque parut, en novembre 1964, le deuxième tome du Rapport Parent … La Commission situait l’enseignement collégial au point névralgique de la réforme du système scolaire. Allant à l’encontre de la majorité des mémoires reçus, une intuition exceptionnelle et majeure l’amenait à recommander la création d’un cycle autonome d’études préuniversitaires et professionnelles, distinct du secondaire et de l’université : l’institut. Le projet était surexcitant, tant en raison même du concept d’institut que de ses retombées sur les institutions existantes et des défis que poserait son implantation.

En moins de trois ans, 34 cégeps avaient été créés. Près de 50 000 étudiants y étaient inscrits, dont 58 pour cent au secteur général et 42 pour cent au professionnel.

« L’euphorie des bâtisseurs », c’est essentiellement celle d’une société qui se donne un projet. La réforme scolaire et le cégep étaient un projet de société. Le Québec le désirait depuis dix ans, la Commission Parent l’a conçu, le ministère l’a formulé, le milieu l’a assumé et l’a implanté et le contexte de la prospérité économique l’a favorisé. Une société, une institution, un individu sont
vivants et euphoriques lorsqu’ils sont animés par un projet et que les conditions économiques permettent de s’y engager.


3. Les années conflictuelles4 où Paul-Émile Gingras traite des années 1973 à 1978, marquées par la contestation étudiante, les chocs politiques et les luttes syndicales.

Les années conflictuelles nous ont fait comprendre deux choses entre autres. La première est que les étudiants et les professeurs contestaient moins l’école que la société, ce que confirmait la crise politique. La deuxième est que le monde de l’éducation est un lieu privilégié des conflits de valeurs.

Depuis deux cents ans, le Québec vivait de consensus traditionnels, de conceptions stables de la famille, du travail, de la religion, de l’autorité, de l’amour. En quelques années, cette culture éclate : les pratiques de vie et les idéologies témoignent d’un renversement des valeurs, des normes de vie et des priorités.

… les années conflictuelles ont eu un effet démobilisateur. Il faudra attendre les années 1980 avant que ne se rétablisse quelque dialogue entre les partenaires du cégep. Les études du Conseil des collèges et du Conseil supérieur de l’éducation sur la condition enseignante témoignent de cette démobilisation des enseignants. Et ceux-ci la vivraient encore, si l’AQPC et PERFORMA n’en avaient rescapé une vaillante minorité.


4. Les premières évaluations5

Les conflits internes et le débat sur la qualité de l’éducation ont eu des effets particulièrement positifs, qui caractérisent les années 1973 à 1978. Ils ont provoqué les premières évaluations du cégep et ont ouvert, par le fait même, la voie au développement pédagogique et institutionnel des collèges, notamment en faisant éclore les conceptions, spécifiques au collégial, d’analyse institutionnelle, d’approche-programme et de formation fondamentale, de perfectionnement et de recherche.

Conflits et bilans, tel est le souvenir que laisse cette période de l’histoire des cégeps
(NDLR : la première décennie). Ce qui est admirable cependant, c’est qu’à travers les difficultés de communication et de travail, on ait tout de même réussi à analyser, évaluer et renouveler l’enseignement collégial. Mieux encore, et paradoxalement, c’est durant cette crise que se sont développés deux des mouvements les plus significatifs de l’originalité et de la vitalité des cégeps : le perfectionnement des enseignants et la recherche pédagogique.

5. Le perfectionnement des enseignants6 aborde la naissance de PERFORMA, sa pédagogie, son organisation et son développement.

Il fallait créer un nouvel ordre d’enseignement, postsecondaire et préuniversitaire. On devait donc constituer des équipes d’enseignants, issus d’une mosaïque d’établissements de formation technique ou générale et qui, pour 80 pour cent d’entre eux, n’avaient pas de formation pédagogique. On devait aussi accueillir massivement une clientèle hétérogène de jeunes et d’adultes et dispenser de nouveaux programmes d’enseignement général et professionnel, ce qui obligeait à clarifier les objectifs et les contenus essentiels ; à planifier des activités d’apprentissage, des stratégies d’enseignement et des modes d’évaluation ; à repérer, sinon créer, une documentation et un matériel didactique pertinents. Et tout cela, du jour au lendemain, au surplus dans un contexte de contestation étudiante, de conflits syndicaux et politiques.

Jacques Laliberté décrit ainsi le modèle pédagogique de PERFORMA : un perfectionnement pédagogique, sur mesure, ouvert, se déroulant selon un processus type, offert en cours d’emploi et sur les lieux de travail, pris en charge par l’établissement et mettant à contribution les participants.

PERFORMA fête cette année ses vingt ans
(NDLR : en 1993). Il s’agit d’une indéniable et exceptionnelle réussite. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec le témoignage que lui rendait l’AQPC dans son mémoire à la Commission parlementaire sur le collégial : « Il ne fait aucun doute que PERFORMA a été et reste un des facteurs les plus importants dans le développement pédagogique du collégial, permettant aux enseignants et enseignantes non seulement d’acquérir une formation de base mais aussi de développer des outils d’intervention adaptés à leurs élèves, de mieux comprendre ceux-ci, d’approfondir leur réflexion sur leur tâche et l’éducation en général et de suivre les grands courants de la pédagogie ».

6. Le statut de la recherche au collégial7

Dans l’histoire de la recherche au collégial et de la définition de son statut, je distinguerai trois étapes. Durant la première, qui se situe de 1967 à 1978, les professeurs et les directions des collèges s’engagent, sans mandat spécial, dans un ensemble d’activités de recherche : c’est la période de la mission ignorée, mais qui s’impose. Suit alors une deuxième étape, qui va de 1978 à 1985, où la recherche dans les collèges obtient une reconnaissance, notamment dans l’énoncé de la politique québécoise de la recherche scientifique. Vient enfin la troisième étape, durant laquelle, depuis 1985, les programmes de recherche se développent et se diversifient ; cependant, la recherche n’est toujours pas une mission spécifique du collège, mais une activité complémentaire à sa mission de formation.

7. Le domaine et le modèle de la recherche au collégial8

Si l’on examine les activités de recherche, il apparaît que le domaine de la recherche au collégial s’est constitué en deux étapes, celle des années soixante-dix et celle des années quatre-vingt. Dans un premier temps, il y avait un collège à bâtir et une pédagogie à créer : ces besoins essentiels menaient à la recherche pédagogique et à la recherche organisationnelle. En 1982, deux décisions gouvernementales allaient ouvrir aux chercheurs de nouvelles perspectives : l’accès des chercheurs du collégial au fond FCAR et la création des centres spécialisés. Ces deux événements permettraient d’élargir le domaine de la recherche collégiale à la recherche fondamentale, scientifique et technologique.

Dans le même esprit qu’ils ont conçu leur approche du perfectionnement des enseignants, ils (les collèges) ont créé une recherche collégiale : pédagogique, sur mesure, ouverte, selon un processus-type, en cours d’emploi et sur le terrain, prise en charge par le milieu, mettant à contribution les participants et visant à aider à la fois l’enseignant, le collège et le réseau.


 






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