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Entrevue avec M. Benoit Bolduc, directeur général de l’AQPC

Après huit ans à la direction générale de l’AQPC, M. Benoit Bolduc quittera ses fonctions en juillet prochain. Il a accepté d’accorder une entrevue au Portail du réseau collégial. Il partage avec nous ses réflexions sur le réseau collégial, son dynamisme pédagogique, la richesse de son fonctionnement en réseau, le rôle stratégique des conseillers pédagogiques, l’originalité de la formation continue en enseignement et sur le mode singulier d’exercice de la profession enseignante au collégial.

Le dynamisme de la culture pédagogique du réseau collégial
M. Benoit Bolduc a eu un premier contact avec le réseau collégial à titre d’enseignant pendant une année et demie. Toutefois, il a surtout travaillé à l’université, d’abord dans un service de développement pédagogique, puis à différentes fonctions de gestion des études, et ce, sur une période de 19 ans. Après avoir quitté le réseau universitaire en 1996, il a rempli différents mandats dans le monde de l’éducation. C’est d’ailleurs dans le cadre d’un mandat d’organisation du concours des prix du ministre de l’Éducation qu’il a redécouvert le réseau collégial. Il nous raconte : « J’ai découvert que la production didactique dans le réseau collégial est vraiment sans équivalent. Les professeurs du réseau collégial conçoivent leurs cours et produisent leur matériel pédagogique, qu’ils partagent par le truchement des organismes du réseau ou en les diffusant avec le concours des maisons d’édition. La production est importante. Le fait que l’on travaille en réseau aide aussi. Les maisons d’édition ne seraient pas aussi présentes dans la publication de volumes ou de manuels sans cette dimension réseau. Le matériel conçu dans un cégep peut être utilisé ailleurs en raison des programmes comparables d’un établissement à un autre. Il y a là un marché qui intéresse les maisons d’édition, et ça aide à ce que des productions locales soient diffusées. »

Selon Benoit Bolduc, une autre raison du dynamisme pédagogique du réseau collégial tient au fait que l’enseignement est le centre de la profession enseignante : « […] à l’université, un professeur a une tâche d’enseignement de six heures par semaine. Dans sa tâche et ses préoccupations, il y a beaucoup d’autres choses, dont la recherche. Et ces six heures n’occupent pas le centre névralgique dans la planification de sa carrière. Au collège, le centre de préoccupation du professeur demeure son action pédagogique, son action d’enseignement. Et cet exercice ne se limite pas à la classe. Elle se poursuit dans la conception des programmes, dans leur adaptation locale, dans leur gestion et dans leur évaluation. Un élément important de l’exercice demeure la dimension collective associée à la façon de travailler des professeurs du collégial. C’est ce qui nourrit leur dynamisme.
« La recherche pédagogique prend aussi une part importante. Évidemment, ce ne sont pas tous les professeurs qui font de la recherche. Mais il y a une activité de recherche pédagogique particulièrement intéressante. Il y a une productivité stimulée entre autres par le programme PAREA, dont on ne retrouve pas d’équivalent dans les autres ordres d’enseignement. Chaque année, des recherches sont réalisées et partagées avec les collègues à travers le réseau de l’Association pour la recherche au collégial (ARC) et dans le cadre de l’AQPC, ce qui contribue à alimenter cette culture. »

Le rôle important des conseillers pédagogiques
En tant que directeur général de l’AQPC, Benoit Bolduc a pu constater le rôle stratégique que jouent les conseillers pédagogiques : « La permanence de la culture pédagogique des collèges est assurée par les conseillers pédagogiques. Sans eux, il serait difficile de canaliser les efforts et d’assurer une permanence dans les innovations pédagogiques. Le danger pour un professeur qui réalise une innovation pédagogique tout seul dans un collège, c’est qu’elle s’éteigne avec lui. Le fait qu’il y ait des conseillers pédagogiques qui encadrent ces développements, qui favorisent leur diffusion, qui encouragent les professeurs dans ces activités, cela constitue un facteur majeur qui valorise et soutient l’innovation. »
Mais Benoit Bolduc s’inquiète du fait que de plus en plus de conseillers pédagogiques soient amenés à remplir des fonctions administratives telle la production de rapports d’évaluation de tous ordres. « Je trouve cela dangereux. Si les conseillers pédagogiques deviennent davantage des adjoints administratifs que des animateurs de la pédagogie, le réseau va y perdre. Je comprends pourquoi les collèges le font. Mis sous pression de produire des politiques de tous genres et des rapports sur l’application de ces politiques, ils font appel aux ressources expertes que sont les conseillers pédagogiques. Il faut cependant faire attention de ne pas les détourner de leur rôle essentiel d’accompagnement des professeurs, qu’il faut inciter à se perfectionner, et d’assistance dans la mise en œuvre de leurs innovations. »

La richesse du fonctionnement en réseau
Il y a de la concertation et des échanges dans tous les réseaux d’enseignement. Mais ils n’ont pas l’ampleur de ceux qui se déploient à l’ordre collégial. Pour Benoit Bolduc, l’APOP, l’ARC et l’AQPC sont les trois regroupements qui, en raison de leur caractère multidisciplinaire et associatif, favorisent le plus le fonctionnement en réseau. À ces associations s’ajoutent des organismes comme Cégep@distance, DECclic, le réseau des REPTIC, le Centre de documentation collégial, ProfWeb, la vitrine Technologie-éducation et le Carrefour de la réussite. « Le nombre des organismes réseau peut occasionner quelques recoupements, mais ce qu’il faut retenir, c’est l’effet multiplicateur des efforts de chacun. Ce que fait le CCDMD est exceptionnel. C’est d’une qualité remarquable. Cet organisme réseau produit du matériel que les organismes commerciaux ne produiraient pas. Il en assure la diffusion et la mise en valeur. Le résultat de l’action de ces organismes, c’est que les gens à la base travaillent ensemble et que les relations intercollégiales se multiplient. Le travail en réseau ne peut se limiter aux rencontres des directions des établissements, il doit être fait par les artisans de la base. »
Le ministère de l’Éducation joue un rôle essentiel dans le soutien de ces organismes réseau, mais Benoit Bolduc est tout de même inquiet : « C’est avec une certaine inquiétude que je vois ce qui se passe au Ministère. Les politiques selon lesquelles on doit remplacer une personne sur deux ont des effets déplorables. Les gens en poste depuis de nombreuses années, on pense à titre d'exemple à François Hardy en recherche, étaient émotivement engagés et ont travaillé sur des dossiers pendant des années. Ils ont quitté leurs fonctions et ont été souvent remplacés par des personnes en prêts de service ou qui ont quitté pour d’autres postes après une année ou deux. Leur rôle est important et il faut assurer la permanence dans les programmes. L’AQPC a bénéficié de l’engagement et de l’expertise des gens du Ministère, qui comprenaient l’importance de ce travail et qui nous ont soutenus. Il faut être vigilant et ne pas regarder avec indifférence l’affaiblissement de cette expertise. »

La formation continue en enseignement dans les collèges
« Nous avons signé récemment un protocole avec l’Université de Sherbrooke pour devenir éditeurs de Performa et publier des volumes qui sont produits par des ressources pédagogiques. Nous avons fait le lancement cet hiver du premier volume de ce qu’on appelle la “Collection Performa”. J’ai écrit en quatrième couverture de cet ouvrage que “Performa était une des plus grandes innovations pédagogiques du réseau collégial”. Son travail est admirable. La présence et la vitalité de Performa dans les collèges envoient un message très clair aux jeunes professeurs : on vous engage comme spécialistes dans une matière, mais on s’engage à faire de vous des professeurs. Devenir un vrai prof ne repose pas uniquement sur les épaules de l’individu, mais également sur l’établissement, qui met en place des conditions qui favorisent le perfectionnement et qui valorisent le perfectionnement en y adjoignant les ressources que cela suppose. Encore ici, il faut rappeler le rôle stratégique des conseillers pédagogiques. Le fait que les profs soient invités et incités à faire du perfectionnement pédagogique, cela constitue un élément majeur dans la culture pédagogique des collèges. Et le fait que ce soit organisé et cogéré avec un établissement universitaire, c’est aussi une innovation remarquable. Nous favorisons ainsi la diffusion de leurs travaux dans le cadre de l’AQPC. Performa reste un pilier de la culture pédagogique des collèges, » affirme avec conviction Benoit Bolduc.
L’AQPC peut compter sur un relais, une personne-ressource que l’on peut contacter dans chaque collège. Dans les 2/3 des cas, ce relais est aussi le répondant local Performa. Il y a un rapport entre l’AQPC et Performa qui n’avait pas été pensé au départ, mais qui, dans les faits, se concrétise par une synergie extraordinaire autour des répondants locaux de Performa.
À ce sujet, voici le message que Benoit Bolduc lance aux directions des collèges : « Avec Performa, vous avez créé quelque chose d’unique et de très efficace. Il faut le protéger, le nourrir et le développer. »

Un mode singulier d’exercice de la profession enseignante
M. Paul Inschauspé disait que le professeur à l’ordre collégial – à la différence de celui de l’ordre secondaire – n’est pas l’applicateur d’un programme conçu par des experts externes. Il bénéficie d’une autonomie plus grande dans la planification de son enseignement, et son champ professionnel est élargi à la gestion des programmes, aux modalités de leur mise en œuvre, à la conception du matériel didactique et au partage collectif de l’action pédagogique. Bien sûr, des collègues universitaires interviennent aussi dans l’organisation des programmes d’études et dans la coordination de l’enseignement. « Mais on ne trouve pas cela au même degré dans les autres réseaux. La dimension collective de l’enseignement ne me semble nulle part ailleurs aussi bien assumée. L’approche programme, les plans-cadres des cours, les pratiques communes d’évaluation des apprentissages et le partage du matériel didactique ont pris, dans le réseau collégial, une ampleur unique, » précise Benoit Bolduc.

Organiser le plus gros colloque en pédagogie de l’enseignement supérieur au Canada
Le colloque de l’AQPC réunit, bon an mal an, entre 1 000 et 1 300 personnes. Dans le domaine de la pédagogie en enseignement supérieur, il s’agit du plus grand colloque au Canada. L’association sœur canadienne, la Société pour l’avancement de la pédagogie à l’enseignement supérieur, réunit les universités et les collèges francophones et anglophones de tout le Canada; elle organise un colloque annuel qui regroupe autour de 500 personnes. Le congrès de l’Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU) qui s’est tenu en mai comptait de 400 à 500 personnes provenant de toutes les universités de la francophonie. Les spécialistes européens et américains de la pédagogie connaissent le colloque de l’AQPC. Les grands noms du domaine, on pense à Philippe Perrenoud de Suisse, Philippe Merieu et Guy LeBoterf de France, Xavier Rogiers et Marc Romainville de Belgique, Ken Bain des États-Unis, ainsi que Christopher Knapper et Gary Poole du Canada ont tous participé au colloque de l’AQPC.
Selon Benoit Bolduc : « Ce colloque a acquis une dimension internationale. Nous voulons faire du colloque et de la Revue Pédagogie collégiale des phares et des reflets de la pédagogie des collèges. Nous voulons faire entrer dans les collèges les idées pédagogiques qui circulent à travers le monde. C’est la raison de la présence de conférenciers qui viennent de l’extérieur. Par exemple, cette année, David V. J. Bell, ex-doyen de la Faculté des sciences de l’environnement à l’Université York en Ontario, et Eva Egron Pollack, secrétaire générale et directrice générale de l’Association internationale des universités, seront parmi nos invités.
« Nous conservons toujours le volet reflet, car il faut que le colloque soit la vitrine de ce qui se fait dans le réseau collégial. Il faut que toutes les innovations du réseau trouvent une place dans le colloque. Cette fonction de reflet se transporte également sur la scène internationale. L’AQPC s’est donnée comme objectif de soutenir la présence de pédagogues du réseau collégial sur les grandes tribunes internationales, de rayonner et de faire parler des réalisations du réseau collégial.
« Cette culture pédagogique unique et ces innovations nombreuses méritent de sortir du Québec. C’est pourquoi l’AQPC a mis sur pied un programme de bourses pour diffusion internationale grâce auquel on attribue des bourses à des personnes qui ont fait des communications de grande qualité au colloque, afin qu’elles puissent présenter leurs travaux dans des colloques internationaux. Grâce à une entente avec le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, cinq bourses ont pu être attribuées en 2008-2009 et 2009-2010. L’année dernière, nous avons alloué deux bourses à même nos budgets. Nous allons récidiver cette année, mais nous sommes à la recherche de commanditaires pour accroître le nombre de bourses. Il faut que le monde de l’enseignement supérieur parle de ce qui se passe dans les collèges. Et les collèges vont arrêter d’être remis en question quand les dirigeants de nos réseaux d’éducation vont entendre parler de nous par nos collègues des autres continents.
« Notre colloque joue un rôle à cet égard, tout comme notre revue et nos publications. Il en est de même pour les actes des colloques qui, cette année, vont changer de forme. Ils seront dorénavant publiés en format électronique et accessibles en tout temps et gratuitement. Et les gens vont pouvoir télécharger gratuitement les documents, qu’ils aient participé au colloque ou non.
« En juin 2012, nous en serons à notre 32e colloque de suite sans interruption, et ce, malgré les grèves…

Et la suite des choses?
Benoit Bolduc finit son mandat au mois de juin. À compter du mois de juillet, il ne sera plus directeur de l’AQPC. Il assumera une certaine transition et continuera probablement à collaborer avec l’AQPC à titre de coordonnateur du colloque : « Je retrouve le statut de travailleur autonome que j’avais avant d’être directeur général de l’AQPC. Je vais travailler sur des mandats spécifiques, notamment sur des projets de rédaction. Je veux m’occuper des projets particuliers et me dégager de l’administration quotidienne. »

Voilà une forme de préretraite bien méritée. Nous lui souhaitons bonne chance pour la suite.

Entrevue réalisée par Alain Lallier, mai 2012.






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