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Le changement à l'examen professionnel de l'Ordre des infirmières : quels impacts sur les pratiques pédagogiques dans les collèges ?

Par Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Dans son Infolettre du 6 novembre 2017, le Portail du réseau collégial publiait un dossier décrivant un changement que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) apporte à son examen professionnel[i], remplaçant ses questions à réponses construites par des questions à réponses choisies. On y trouve une entrevue auprès de Madame Chantal Lemay, directrice adjointe à l’OIIQ. Le dossier est complété de commentaires de la directrice des études au Cégep du Vieux Montréal, madame Nathalie Giguère.

En amont de ces entrevues, je préparais mon matériel pédagogique pour créer un cours Performa dédié expressément aux demandes d’enseignantes en soins infirmiers, en lien avec ce changement à l’examen professionnel.  J’avais alors contacté Mme Lemay afin de bien comprendre les intentions et les attentes de l’OIIQ. En marge de mes questions portant sur les caractéristiques du nouvel examen professionnel et sur les dimensions cognitives que l’Ordre y mesure, je me suis préoccupé de la question des impacts de ce nouveau profil d’examen sur les pratiques pédagogiques des enseignantes des cégeps. Lorsqu’une évaluation comporte des enjeux majeurs (high-stakes testing), nous savons tous que ceux-ci peuvent mener à des pratiques pédagogiques dédiées à préparer les étudiants à réussir cette évaluation. Un tel examen à enjeu majeur pourrait, dans certains environnements, constituer une distraction obligée qui peut se traduire en un détournement des objectifs pédagogiques au profit d’une focalisation sur l’examen.

L’OIIQ, consciente de cet enjeu, avait-elle une position quant aux effets de son examen professionnel sur les pratiques des enseignantes en salle de classe? À cette question, Mme Lemay a été très claire. Elle demande aux enseignantes du programme de soins infirmiers, dans les collèges, de ne pas essayer de calquer l’examen professionnel. Elle souhaite que celles-ci continuent, comme toujours, à former des professionnelles capables de résoudre des situations cliniques.

Depuis, j’ai questionné chacun des groupes d’enseignantes inscrites à mon cours Performa sur cette question des impacts. « Selon vous, les changements[ii] de type de questions à l'examen professionnel, d'un examen composé de questions ouvertes (à développement court) vers des questions objectives de type QCM, vont-elles changer (ou risquent-elles de changer) quelque chose dans la pédagogie des soins infirmiers dans votre collège? »

Depuis l’automne 2017, toutes les enseignantes qui ont participé à cette formation Performa sur les QCM ont dit qu’elles vont, effectivement, aider leurs étudiantes à se familiariser aux QCM et à se préparer à répondre  à l’examen de l’OIIQ. Toutefois, toutes ont l’intention de continuer, dans leurs cours, à utiliser les questions à développement court, ancrées sur des mises en situation cliniques. Elles reconnaissent que le mandat de l’Ordre est différent du leur. Alors que les enseignantes des collèges forment les étudiantes à « apprendre le métier », l’OIIQ évalue l’aptitude à exercer la profession dans une perspective de protection du public. Dans les collèges, on évalue l'atteinte des objectifs d’apprentissage alors que l'Ordre évalue la capacité à exercer. L’un et l’autre travaillent en complémentarité. Les enseignantes ne sentent pas l'obligation de tout changer, mais la réflexion que provoque l’OIIQ en aidera plusieurs, disent-elles, à développer davantage l'aspect clé de la pratique qu'est le jugement clinique chez les étudiantes. 

Dans la formation collégiale, les forces des questions à développement court et des QCM

Selon les enseignantes, les questions à développement court restent la meilleure méthode pour bien préparer les étudiantes. Dans un esprit d’évaluation formative, les enseignantes savent l’importance de « voir » la réflexion des étudiantes, d’être « témoin » de leur processus de raisonnement et de solution d’un problème.

Les questions d’évaluation à court développement contribuent à l’apprentissage et permettent à l’enseignante d’observer et de valider le processus de raisonnement et d'analyse.  Elles pensent qu’une bonne réponse à une QCM n'indique nullement que le chemin pour arriver au résultat est le bon. Elles tiennent, par les questions à développement court, à rester en mesure d’observer le processus de réflexion, le cheminement de pensée.

Toutefois, plusieurs sont conscientes des aspects positifs des QCM dont la diminution de réponses qui s’avèrent erronées par manque de précision dans l’expression écrite. Les QCM permettent d’isoler l’apprentissage « nursing » de la capacité à s’exprimer clairement par écrit. Ici aussi, les enseignantes perçoivent l’intérêt d’approches complémentaires.

Les enseignantes disent vouloir aider les étudiantes à développer leur habileté à répondre à des QCM et ce, de façon graduelle. Par exemple, lorsque les règles de rédaction des QCM recommandent de souligner les mots à la négative (ex : « Lequel des choix suivants n’est pas approprié dans cette situation? »), certaines enseignantes suggèrent que ce soulignement soit graduellement abandonné vers la fin de la formation infirmière, en cohérence avec le souci de former à une attitude d’attention et d’observation rigoureuse.

Équilibre et introduction graduelle

Les enseignantes vont introduire graduellement les QCM dans leurs cours, tout en continuant à utiliser les outils habituels de type « questions à développement court », résolution de problèmes, et évaluations en situation authentique (labos et stages). L’introduction des QCM serait donc graduelle, de la première année à la troisième, dans « une proportion raisonnable et évolutive ».

Il n’y aurait donc pas de gros changements dans l’enseignement actuel ou dans le programme de soins infirmiers. « Il faut seulement expliquer à nos élèves comment bien se préparer aux QCM et les y exposer tout au long de leur formation, dans le cadre des évaluations formatives et sommatives ».  Ce que les enseignantes disent, c’est qu’elles vont chercher à trouver l'équilibre entre les deux types de questions d'examen en tenant compte de l’évolution graduelle des niveaux taxonomiques (en référence à la taxonomique de Bloom) des objectifs d’apprentissage.   

L’éducation au jugement professionnel

L’Ordre des infirmières rappelle qu’il est particulièrement attentif, dans cet examen professionnel, à la capacité qu’a l’infirmière débutante à exercer son jugement pour prendre des décisions cliniques et intervenir de façon appropriée dans chacune des situations. Les enseignantes sont conscientes de cela et leur approche pédagogique est orientée vers l’apprentissage de la capacité d'exercer un jugement adéquat pour la prise de décision en situation clinique. Cette pédagogie orientée « jugement clinique » se fait beaucoup en stage et en laboratoire, mais aussi en salle de classe, là où les étudiants sont appelées à réfléchir et à comprendre.

Pour conclure

Dans tous les groupes d’enseignantes, j’ai constaté la même intelligence pédagogique. Elles comprennent les intentions de leur ordre professionnel quant à l’examen qui sera désormais composé de questions à choix multiple. Mais, sans changer leurs approches pédagogiques et sans abandonner les dispositifs d’évaluation qui leur permettent d’être témoin du cheminement de l’apprentissage, les enseignantes vont coopérer à ce que les diplômées des collèges soient préparées à réussir l’examen professionnel de l’OIIQ.

Peut-être qu’un jour, (dans cinq ans, par exemple), quelqu’un proposera de mener une recherche sur les impacts de cet examen professionnel, composé de QCM, sur les pratiques pédagogiques des enseignantes du programme de soins infirmiers. D’ici là, on ne peut que souhaiter que les enseignantes résisteront à une tentation de faire du « teaching to the test ».

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Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca



[ii] Le lecteur externe doit savoir, ici, que les questions à choix multiple comme les questions à développement court sont toujours, sinon habituellement, fondées sur des mises en situation cliniques (parfois appelées vignettes contextuelles). Le changement de type de question ne change pas cet ancrage contextuel nécessaire.  

 






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