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Le jugement professionnel des enseignants face à la politique partisane et aux notes « gonflées »

Une collaboration de Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Encore récemment, des politiciens ont agité, à saveur de scandale, une pratique administrative qui, semble-t-il, consisterait à « gonfler » les notes de certains étudiants du système scolaire[i]. On peut comprendre que des politiciens fassent de la petite politique partisane en lançant des pelures de bananes au ministre de l’éducation, peut-être pour nous convaincre qu’ils feraient mieux que lui s’ils étaient au pouvoir. Et dans cet exercice, ils utilisent habilement  le mot « gonflé », de façon délibérément tendancieuse, pour faire plus choquant.

Ce faisant, ces sorties partisanes remettent à l’avant-plan la question du professionnalisme des enseignants, leur autonomie, leur compétence dans la décision menant à des verdicts de réussite ou d’échec des étudiants. Il est clair que ces politiciens critiquent le ministre. Mais il se peut, en dommage collatéral, que le public puisse confondre les activités des enseignants en salle de classe avec celles du ministère et des autorités administratives. Clarifions les choses, du point de vue de la gestion des notes par les enseignants.

La marge d’erreur

Tous les enseignants savent que les notes ne peuvent en aucun cas prétendre à la précision, comme si on était en laboratoire de physique. Cette réalité s’explique simplement. Déjà, la documentation professionnelle concernant les tests standardisés et validés rigoureusement reconnaît une probabilité d’erreur de mesure de plus ou moins 3%. Or, les outils et dispositifs d’évaluation que les enseignants de l’enseignement supérieur utilisent pour être témoins des apprentissages des étudiants ne sont pas standardisés. Les enseignants construisent tout eux-mêmes : plans de cours, activités d’apprentissage, outils et stratégies d’évaluation.  La plupart, mais pas nécessairement tous, vont demander à un ou  plusieurs collègues de valider leurs évaluations, sur les critères de clarté et de pertinence.

Les enjeux de la note

On utilise divers moyens ou outils pour collecter des traces des apprentissages. Ces traces ne sont que des échantillons parce qu’on ne peut pas tout évaluer. À partir des traces que nous collectons (par des examens, des tâches, des problèmes à résoudre, etc.), nous ferons une inférence quant aux apprentissages des étudiants. Cette inférence s’exprime par une note.

La note est un symbole qui représente le jugement de l’enseignant sur le degré d’atteinte des objectifs d’apprentissage. En principe, ce symbole, chiffré au collégial et lettré à l’université, correspond au jugement professionnel de l’enseignant et devrait refléter la réalité des apprentissages. Comme un miroir. Mais certains miroirs sont parfois déformants. Personne (sinon ceux qui pensent à la cote R, mais ça c’est une autre histoire) ne s’inquiète vraiment de l’exactitude d’une note de, disons, 76%. C’est une réussite à l’examen et, si c’est la note finale, c’est la réussite au cours. Mais si la note est inférieure à 60%, nous savons tous que c’est l’échec. Il arrive toutefois (et il arrivera toujours, quoiqu’en diront les politiciens) que cette somme arithmétique rende l’enseignant mal à l’aise. Celui-ci pourrait (ça arrive et ça arrivera toujours) penser que cette note ne correspond pas tout à fait à son jugement professionnel. Il arrive qu’un prof, devant une note proche de ce seuil fatidique de 60%, pense qu’elle ne représente pas tout à fait son jugement professionnel quant à cet étudiant. Ce constat, ce malaise, vaut autant pour une note de réussite minimale (60% à 63%, disons) que pour une note d’échec limite (57% à 59% par exemple). Il pourra consulter un ou des collègues du département ou du programme de formation qui, aussi, auront connu l’étudiant concerné et qui pourront aider l’enseignant à préciser son jugement, à la hausse ou à la baisse, quant à une note et à une décision de réussite ou d’échec.

Plusieurs variables peuvent jouer pour déformer la réalité (le score vrai). Il suffirait que certaines questions soient plus difficiles ou plus faciles que prévu, qu’un critère soit ambigu, qu’une consigne soit équivoque pour empêcher l’étudiant compétent de démontrer sa compétence. Les mêmes défauts pourraient aussi permettre à l’étudiant incompétent de masquer son incompétence. Les enseignants savent que plusieurs variables pourraient mener à ce que la note ne reflète pas exactement la réalité des apprentissages. Or, autour de la note de passage, alors que l’enjeu porte sur la réussite ou l’échec, ce phénomène confronte les enseignants dans leur professionnalité, dans leur sens de l’éthique, dans leur responsabilité de prendre une décision équitable et juste. Aucun enseignant ne va aveuglément donner raison à une addition de chiffres et décider de la réussite ou de l’échec sur la seule foi de cette addition. De par leur position privilégiée de proximité, les enseignants connaissent leurs étudiants et sont capables de juger que la note correspond, ou pas, à la réalité des apprentissages de ses étudiants.

Ainsi, la note à une évaluation est toujours indicative. Elle donne un ordre de grandeur au degré d’atteinte des objectifs d’apprentissage. Mais cet ordre de grandeur ne peut pas être d’une précision arithmétique, malgré l’illusion d’un nombre sur une échelle de cent points.

La politique en salle de classe: non!

La note observée au bulletin d’un étudiant se doit de correspondre, au plus près, au jugement professionnel de l’enseignant. C’est d’ailleurs pour cela que les enseignants se forment et se perfectionnent afin de respecter les meilleures pratiques en évaluation des apprentissages. Au besoin, on ajustera une note, on arrondira peut-être, mais on ne gonfle pas.

Si le politique ou l’administratif modifie cette note, celle-ci ne correspond plus au jugement de l’enseignant et devient trompeuse quant à la crédibilité de son message. Quand un politicien veut faire bonne figure en montrant que ses politiques augmentent les taux de diplomation ou réduisent le décrochage scolaire, il s’immisce dans l’acte professionnel des enseignants.

En 1967, Pierre-Elliot Trudeau nous as dit que « L’état n’a rien à faire dans les chambres à coucher ». Le moment est venu de dire aux politiciens qu’ils n’ont rien à faire dans les salles de classe.

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Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca

 

 






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