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Un projet « Fou Raide »

Quand l’intelligence artificielle vient au secours des espèces menacées

Depuis de nombreuses années, nous entendons parler du déclin des oiseaux marins, et ce, au niveau mondial. Ces colonies sont souvent inaccessibles puisqu’elles nichent sur des îles, ce qui rend difficile l’analyse de leur environnement et de leur comportement. C’est à ce niveau que les nouvelles technologies peuvent soutenir la recherche, en offrant de nouvelles possibilités aux chercheurs.

Josiane Beaudoin, Portail du réseau collégial, en partenariat avec le réseau des CCTT

Le Centre de développement et de recherche en intelligence numérique, CDRIN, CCTT rattaché au Cégep de Matane et membre du Réseau des CCTT - Synchronex, travaille depuis déjà plusieurs années sur le projet de la « Mer numérique », ce dernier œuvrant sur l’étude du fleuve Saint-Laurent à l’aide des nouvelles technologies. Le CDRIN étant à proximité de la plus grande colonie de fous de Bassan accessibles au monde, soit celle de l’Île-Bonaventure, a saisi l’opportunité et a développé le projet « Fou Raide ».

L’envol

David Pelletier

David Pelletier, chercheur et enseignant en biologie au Cégep de Rimouski, nous explique que dans un projet précédent, l’intelligence artificielle avait été utilisée afin d’aider à identifier les poissons consommés par les fous de Bassan. Ceci a donc inspiré les chercheurs à innover et à utiliser cette technologie dans la reconnaissance du comportement des oiseaux. En plus, de la réalisation d’une infrastructure numérique permettant le suivi des espèces, le projet a intégré un volet nouveau, soit la science participative. Comment? Simplement en permettant aux visiteurs de trois grands parcs touristiques de la Gaspésie, le Bioparc, Exploramer et le parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé, de classifier les données reçues directement sur les bornes interactives mises à leur disposition.

D’abord, des caméras de surveillance ont été disposées sur le territoire afin d’amasser des données et des images sur la reproduction des oiseaux marins. Ces données recueillies doivent ensuite être annotées. C’est à cette étape de catégorisation que les citoyens viennent jouer un rôle important. Chaque image est divisée en carreau et dans chacun d’eux le citoyen doit catégoriser ce qu’il y observe. De manière ludique, ils doivent classer les fous de Bassan en fonction de l’âge soit de l’œuf à l’adulte. Ils ont aussi comme mission de repérer et d’identifier les prédateurs : le renard, le goéland, le pygargue, le corvidé. Chaque image est annotée cinq fois afin d’assurer la cohérence des réponses. Par la suite viendront les phases d’entraînement et de test où des vérifications seront faites pour assurer la validité du processus.

Vol groupé

Mylène Côté

Un des aspects intéressants de ce projet est la mixité des compétences des personnes impliquées dans sa réalisation. Évidemment, on retrouve des chercheurs, mais à ceux-ci s’ajoute des étudiants et des experts dans les domaines suivants :programmation informatique, génie mécanique, intégration multimédia et en informatique.De plus, une entreprise privée, Cube Noir Innovation, s’est jointe à l’aventure afin d’ajouter son expertise concrète au développement du projet. Et ce, sans oublier les visiteurs des parcs qui ont eux aussi ont mis l’épaule à la roue. Plus de 30 personnes ont participé au projet, ce qui est en soi une magnifique réussite. Le CDRIN dans cette réalisation a, entre autres, eu le rôle de « faciliter la gestion des besoins reliés aux ressources, aussi diversifiés soient-ils pour permettre le déploiement du projet » nous explique Mylaine Côté, codirectrice du CDRIN.

« Plus précisément, le CDRIN a planifié et développé l'infrastructure qui a permis à la fois aux experts et au grand public de participer à l'annotation de la grande quantité d'images capturées par les caméras. « Nous avons réussi à emmagasiner de cette façon un volume d'information suffisante pour entraîner un modèle d'intelligence artificielle capable de localiser oiseaux et prédateurs ainsi que, pour les fous de Bassan, d'identifier leur stade de développement (leur âge). Nous avons intégré ce modèle dans une application conviviale livrée aux biologistes, qui peuvent l'utiliser pour traiter automatiquement des centaines d'heures de vidéo et produire des statistiques détaillées sur l'évolution et la santé de la colonie», précise M. Olivier Leclerc, chercheurs au sein du CDRIN.

Voler vers l’avenir

Le projet jouit de belles retombées et est reconnu par les différentes organisations nationales pour son impact bénéfique dans la recherche sur les oiseaux marins. D’ailleurs, des présentations des résultats ont été faites lors de congrès dont celui du Réseau Québec-Maritimes ainsi que celui d’ornithologie regroupant des experts et des passionnés.

Et maintenant? L’objectif ultime de la démarche selon M. Pelletier serait « d’offrir un système autonome pour des îles inaccessibles. » Maintenant que les technologies ont été développées, il sera plus facile d’y intégrer de nouvelles espèces à catégoriser. « Ce projet a permis d’arriver une conjoncture favorable où il est possible d’augmenter la connaissance des oiseaux marins et leurs écosystèmes. Il serait donc vraiment important d’utiliser comme tremplin tout le travail exécuté afin d’explorer de nouveaux horizons », explique M. Pelletier.

Qui aurait pu dire qu’un jour l’intelligence artificielle permettrait d’avoir un impact réel sur la sauvegarde des espèces menacées? Nous y sommes enfin et le projet « Fou Raide » est un précurseur dans ce monde où les changements climatiques, la surpêche, la pollution et les épidémies ont des répercussions majeures, entre autres, sur la survie des oiseaux marins.