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Le Devoir - Normand Baillargeon
«La formation générale au cégep menacée»
Un coup de tonnerre vient de retentir en éducation, plus précisément en enseignement collégial.
Au point de départ, la demande faite par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) de revoir cette formation générale (version 1993) que doivent suivre tous les étudiantes et étudiantes qui fréquentent cet établissement. Elle comprend des cours obligatoires de philosophie, de littérature, de langue seconde et d’éducation physique.
Selon la FECQ, qui se base pour l’affirmer sur un sondage, cette formation serait jugée « inintéressante » voire « plate » par 53 % de ceux qui la suivent. Ce n’est pas rien ! Il faudrait bien entendu regarder de près ce sondage, mais le son de cloche est a priori troublant.
La FECQ demande, d’une part, qu’on repense la formation générale pour tenir compte de ce qu’a de nouveau et d’inédit le monde dans lequel nous vivons en ce moment, qui est certes bien différent de celui de 1993 ; d’autre part, qu’on permette, sur le modèle de ce qui se fait avec les humanities dans les collèges anglophones, que les étudiants puissent, parmi une grande variété de cours, choisir ce qui leur plaît, plutôt que d’être assignés à un modèle unique.
Les réactions n’ont pas tardé. Plus de 800 personnes du milieu de l’enseignement ont entre autres vertement critiqué le clientélisme de cette proposition et surtout rappelé que cette formation générale, ancrée dans l’histoire et la tradition, est indispensable pour penser le monde actuel, et d’autant plus que les professeurs qui la donnent se font justement un devoir de permettre aux étudiants de le penser avec elle.
Que penser de tout cela ?
J’ai passé ma vie à donner des cours de formation générale — plus précisément des cours de philosophie au cégep, puis des cours de philosophie de l’éducation à l’université.
Je suis profondément convaincu de l’importance de cette formation, et pas seulement en philosophie bien entendu. Elle est essentielle pour permettre aux plus jeunes, à leur tour, de penser le monde et d’y agir : elle a un rôle fondamental à jouer dans la formation des citoyens d’une société démocratique.
Par contre, l’idée d’une formation à la carte, d’une formation au contenu essentiellement décidé par les étudiants, et centrée sur le monde actuel et ses enjeux et déclinée à partir d’elle, me semble une grave erreur.
J’ajouterais un autre argument en faveur de la formation générale que nous avons voulu offrir au cégep (appelons-la classique ou traditionnelle) : elle permet d’avoir accès à des plaisirs, à des bonheurs qui accompagneront ceux et celles qui les goûtent et les aiment pour le reste de leur vie.
Disant tout cela, je sais aussi ce qui menace cet idéal.