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Un parrainage réussi entre les Cégeps et l'Institut supérieur d’enseignement professionnel (ISEP) de Thiès au Sénégal

Entretien réalisé par Madame Évelyne Foy, ex directrice générale de Cégep International

Lors du congrès de l’AQPC en juin dernier, nous avons rencontré M. Fadel Niang, directeur de l’Institut supérieur d’enseignement professionnel (ISEP) de Thiès et coordonnateur du réseau des ISEP au Sénégal. Nous l’avons ensuite revu lors du congrès de la Fédération des cégeps en octobre, mettant ainsi à jour quelques données. Cégep international accompagne la création de l’ISEP de Thiès depuis mars 2013 au terme d’un processus d’appel d’offres international de la Banque mondiale. L’équipe d’experts qui intervient dans le cadre de ce projet est majoritairement issue des cégeps et l’ensemble du réseau est sollicité à différentes étapes.

En quoi l’ISEP de Thiès représente-t-il une innovation en enseignement supérieur?

Fadel Niang : L’Institut Supérieur d’Enseignement Professionnel (ISEP) de Thiès, est rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur. Son objectif est de former des techniciens supérieurs de niveau bac et ainsi de mettre sur le marché du travail des techniciens supérieurs formés selon la pédagogie active et l’approche par compétences. Nous formons en fonction du monde professionnel et sommes axés sur les compétences. En cela nous sommes différents du modèle universitaire, système classique centré davantage sur les connaissances théoriques.

Il s’agit d’une première au niveau de l’enseignement supérieur au Sénégal où les lycées techniques appartiennent au niveau secondaire. Il est prévu que les ISEPs, dont le premier est situé à Thiès, constituent un réseau national de quatorze établissements, soit un ISEP par région, adapté aux réalités sociales et économiques du milieu.

Comment se déroule le parrainage par les cégeps?

Fadel Niang : « Ça se passe très bien ! Faisons un peu d’histoire, Cégep international a été sélectionné à partir d’une compétition internationale qui a duré 18 mois et où il y avait six candidatures. C’était compétitif ! Depuis que Cégep international a commencé son mandat (plus de 18 mois), beaucoup d’activités ont été déployées et ça se passe très bien.

Entente de THIES

Il y a plusieurs volets dans ce partenariat : appui-conseil en pédagogie et approche par compétences, en gouvernance et ressources humaines, formation et renforcement des capacités, formation des formateurs en partenariat avec la Faculté des Sciences de l’éducation de l’Université Laval. Il y a aussi des séjours d’étude, des missions au Québec de l’équipe dirigeante de l’ISEP. Notre présence à l’AQPC, par exemple, nous permet de prendre connaissance des innovations pédagogiques et de les adapter à notre contexte. Dans l’ensemble, chacune des activités prévues au calendrier d’implantation se déroule selon l’échéancier prévu et nous en sommes entièrement satisfaits. »

Est-ce que le modèle des cégeps vous convient?

Fadel Niang : « Nous visitons des cégeps pour voir ce qui se fait, sans reprendre automatiquement ce que nous voyons, nous adaptons au contexte national. Il serait illusoire de penser que nous pourrons reproduire des laboratoires de même niveau de technicité. Il faut voir un partenariat entre le Québec et le Sénégal, entre les cégeps et l’ ISEP et l’Université Laval afin de nous appuyer sur les bonnes pratiques et de les adapter aux moyens nationaux. »

Où en est L’ISEP de Thiès?

Fadel Niang : «Nous recevons déjà des étudiants dans 5 filières : exploitation agricole; tourisme / loisirs / restauration / hôtellerie; réseaux informatiques qui incluent aussi audiovisuel et multimédia; métiers ferroviaires (logistique, maintenance des voies, maintenance du matériel mobile et roulant). Nous accueillons notre deuxième promotion cet automne  et nos premiers diplômés sont déjà sollicités sur le marché du travail.

Nous accueillons actuellement 200 apprenants, c’est ainsi que nous les appelons, en attendant que le site définitif soit construit sous financement de la Banque mondiale. Nous avons démarré sur un site que l’État du Sénégal nous a accordé et que nous avons réhabilité. Le site définitif aura une capacité de 3000 apprenants et nous ouvrirons progressivement de nouvelles filières, guidées par le marché de l’emploi. C’est nouveau, ce lien fort avec le monde professionnel. »

Comment entendez-vous changer la donne des universitaires chômeurs?

Fadel Niang : Nous voulons former des techniciens qui trouveront du travail. Partout où il y a du chômage, on voit qu’il y a des postes disponibles vacants, ça nous dit qu’il n’y a pas d’adéquation formation/emploi dans certains domaines. Ces étudiants qui ont des masters ou des doctorats ont souvent cheminé dans des formations qui ne correspondaient pas aux besoins réels du marché. Nous, dès le départ, nous avons voulu que nos filières soient basées sur des métiers existants et réels, sur des compétences sollicitées par des milieux professionnels et sur des effectifs en lien avec les besoins futurs. Ainsi nous croyons arriver à réduire le problème du chômage. Nous mettons aussi l’accent sur l’auto-emploi ; l’emploi salarié ne peut pas seul régler le problème du chômage, il nous faut une nouvelle génération de diplômés entrepreneurs qui vont régler leur propre problème de chômage et même embaucher d’autres personnes.

Aussi, nous intégrons des modules «gérer son entreprise», «créer son entreprise», développés depuis longtemps au Canada… et que nous adaptons à notre dispositif de formation, le tout complété par un contact direct avec le milieu professionnel.

Comment L’approche par compétences s’applique-t-elle dans le contexte africain?

Fadel Niang : « L’adaptation se fait bien parce que nous sommes au démarrage, ce qui est plus facile que de réformer des programmes existants. Nous avons l’avantage de partir avec cette approche et ce dispositif de gestion que nous mettons en place. Les enseignants sont recrutés en fonction de ce critère de qualifications et de cette méthode; et s’il le faut, nous complétons leur formation dès leur embauche. Nos enseignants sont recrutés selon un autre mode de répartition: 25% des enseignants permanents, 25% des contractuels, et au moins 50% de professionnels. »

Les filles sont-elles présentes dans les ISEP? 

« Nous visons 50% de présence de filles dans notre plan stratégique, mais sans aucun effort ni discrimination positive, nous en sommes à 45%. Dans les universités et leurs filières techniques, c’est 15%. On va continuer la progression pour atteindre notre objectif. »

Quels sont les liens avec les cégeps?

« Les experts recrutés par Cégep international (chef de projet, expert en pédagogie, en gouvernance, en équipements, en intégration des TIC) sont des personnes très expérimentées qui ont exercé diverses fonctions dans les cégeps, soit à la direction des études ou dans des CCTT. Nous visitons des cégeps lors de nos missions ici, eux qui ont signifié leur accord pour être partenaires — environ 14 à l’heure actuelle — qui offrent des formations semblables aux nôtres. Nous profitons ainsi de l’expertise du réseau.

Le partenariat est fructueux. Le processus a été long, mais ça valait la peine de persévérer ! »

Quelles sont les conditions d’un partenariat réussi?

« Ne pas vouloir imposer une vision. Cégep international (1) nous accompagne dans notre vision à nous de l’enseignement professionnel. Il n’y a pas de volonté d’hégémonie, de dire voilà comment on fait, appliquez cela et ça va marcher ! On est dans l’adaptation à notre réalité. »

(1) Note: Cégep international est devenu la Direction des affaires internationales de la Fédération des cégeps.