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Le Cégep de Victoriaville : la formation en agriculture au service de la population andine de Tomina en Bolivie

Article et entrevue réalisés par madame Evelyne Foy.

Au Cégep de Victoriaville, l’agriculture et l’agriculture biologique sont des domaines d’excellence et d’expertise tant par les programmes d’étude qui y sont offerts que par les recherches appliquées menées par les centres de transfert technologique, le CETAB+ et le Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA). L’extension de cette expertise sur la scène internationale s’avère un atout pour le cégep à l’heure où l’agriculture biologique prend de plus en plus d’ampleur à travers le monde et s’avère une réponse concrète aux défis environnementaux.

L'agriculture comme champ d'expertise internationale pour le cégep

Alors que les domaines de la transformation du bois et du meuble avaient surtout été mis de l’avant au plan international, notamment par d’importants projets réalisés en Tunisie, en Colombie, au Chili, au Brésil et au Honduras, le cégep souhaite maintenant élargir son champ d’action international en y ajoutant l’agriculture. Au cours des dernières années, différentes activités ont été menées en ce sens : un enseignant spécialisé en agriculture biologique du cégep, monsieur Denis Lafrance a organisé de nombreux voyages d’études à l’étranger, dont en Chine et au Brésil, avec des producteurs agricoles de la région ; des délégations internationales sont venues de Flandres et du Brésil pour découvrir sur place les installations et les projets de recherche et d’expérimentation en cours au cégep.

Un projet retenu par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du développement du Canada (MAECD)

À l’été 2014, à la suite d’un appel de propositions en Bolivie lancé par Collèges et Instituts Canada (CIC), le cégep a décidé de soumettre une proposition et s’est distingué.  Le projet en cours depuis décembre 2014 a pour but d’appuyer l’Institut technologique José Martí de Tomina, village des Andes boliviennes, dans l’implantation d’un programme en agriculture. D’une durée de 2 ans, et financé à hauteur de 380 000 $ par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du développement du Canada (MAECD), le projet comprend la conception d’un programme en agriculture selon l’approche par compétences, et la formation du personnel enseignant. De manière plus spécifique, il prévoit aussi le perfectionnement du personnel enseignant dans les domaines de la production de fruits et de céréales biologiques, de l’irrigation et de la mécanique des sols. Le cégep devra également conseiller l’Institut en matière d’équipement des salles de classe, d’un laboratoire et d’un atelier spécialisé en agriculture avec de la machinerie et des outils à la fine pointe de la technologie. Enfin, la dimension entrepreneuriale sera prise en compte par la formation de formateurs en entrepreneuriat et en élaboration de plans d’affaires afin d’inclure des compétences en gestion dans le programme d’études.

Pour la mise en œuvre de ce projet en Bolivie, le département d’agriculture, le service de la formation continue et le centre de transfert technologique en agriculture biologique, le CETAB+, unissent leurs efforts. Le CÉTAB a pour mission de développer l’agriculture biologique et de contribuer à la prospérité des entreprises du secteur tout en favorisant les systèmes agroalimentaires de proximité bénéfiques pour les entreprises et la société. Le CETAB+ offre aux entreprises agricoles, aux intervenants de même qu’aux organisations différents services : information et veille technologique ; recherche appliquée; services-conseils; transfert technologique ; formation continue; études, analyses et développement d’outils.

Entretien avec monsieur André Tremblay

Nous avons réalisé un entretien avec Monsieur André Tremblay, conseiller pédagogique au Service de formation continue du cégep et coordonnateur du projet, quelques jours avant son départ pour une troisième mission en Bolivie dans le cadre de ce projet. Son enthousiasme était bien palpable tout au long de l’entrevue, tout autant que l’urgence et l’importance de régler tout ce qui doit l’être avant de laisser de côté pendant deux semaines ses nombreuses tâches régulières. M. Tremblay est à l’emploi du cégep depuis 2009, venant du milieu coopératif dans les domaines de la forêt et de l’habitation, ce qui l’a mené du Saguenay sa région natale, à la Gaspésie avant de se poser à Victoriaville.

André Tremblay et Yves Auger devant l'église de Tomina.


Nombreux défis et apprentissage constant

Il raconte: «Lors de mon entrevue de sélection, j’ai senti que mes expériences internationales avec la Société coopérative de développement international (SOCODEVI) avaient retenu l’attention ; le cégep ayant tout juste été sollicité par cette organisation pour collaborer dans le cadre d’un projet en transformation du bois au Honduras auquel j’ai collaboré de 2010 jusqu’en 2014. Nous agissions comme conseillers avec nos collègues de l’École du Meuble et du bois ouvré et son Centre de transfert technologique (EQMBO), auprès de neuf coopératives de travailleurs forestiers désireuses de développer le secteur de la fabrication de meubles et produits finis. À l’été 2015 lorsque l’appel de propositions pour la région de Tomina est arrivé, comme je m’étais déjà rendu dans cette région avec Socodevi, avec l’appui de la direction du cégep, j’ai pu recommander d’aller de l’avant. Avec SOCODEVI, j’avais participé à des projets en Argentine, en Uruguay, au Honduras et en Bolivie. Pour moi c’est une passion d’intervenir au plan international, cela amène de la variété et de la diversité dans mes tâches de conseiller pédagogique et m’oblige à me perfectionner à chaque mission sur le terrain ; j’interviens cette fois avec  des enseignants du département d’agriculture, chaque mission apporte de nouveaux défis et une plus grande motivation. J’apprends énormément.

» Les interventions du Cégep de Victoriaville, jusqu’à maintenant, se situaient presqu’exclusivement dans le domaine de la transformation du bois; on a maintenant comme objectif de faire rayonner notre expertise en agriculture. »

"Il faut accepter de vivre simplement en renonçant temporairement à notre confort nord-américain, mais c’est très gratifiant et stimulant pour nous"

Chaque mission en Bolivie est réalisée par André Tremblay accompagné d’un enseignant en agriculture, spécialiste dans l’un des volets du projet : « Une partie de la formation offerte aux enseignants pendant la mission porte sur l’approche par compétences et l’autre partie consiste à les assister pour le développement du programme. C’est ma troisième mission dans le cadre de ce projet. On arrive à La Paz ou Santa Cruz, on prend ensuite un court vol intérieur vers Sucre, l’ancienne capitale, et ensuite on fait trois heures de bus, on a la chance que la route soit asphaltée, et on arrive au village de Tomina. On y reste tout le temps de la mission, généralement d’une durée de deux semaines. On est chaleureusement accueillis par les responsables de l’Institut, on est logé dans le seul petit hôtel du village. Les gens sont très chaleureux. Il faut accepter de vivre simplement en renonçant temporairement à notre confort nord-américain, mais c’est très gratifiant et stimulant pour nous. »

André Tremblay qui connaît plusieurs pays d’Amérique du Sud, affirme que la Bolivie est son pays coup de cœur « à cause de la beauté des paysages et de la culture ; c’est le pays le moins américanisé et qui a la plus forte proportion de population indigène. C’est aussi l’un des plus riches en termes de ressources bien qu’avec l’une des populations les plus pauvres, quelle contradiction ! »

L'Institut technologique José Marti

" L’Institut technologique José Marti a ouvert ses portes il y a cinq ans et accueille déjà une centaine d’étudiants dans les deux programmes offerts (agriculture et construction).  Il s’agit d’un établissement public qui fait partie d’un réseau d’instituts technologiques en implantation dans le pays et qui accueille des jeunes de tout le département de Chuquisaca. En agriculture, on compte actuellement 58 étudiants inscrits, 54 hommes et 4 femmes. Ses installations sont en construction et l’aménagement y est prévu à la fin de l’année ; actuellement les cours sont offerts dans des maisons et locaux loués. Il y a des défis considérables à relever, il n’y a pas d’équipements, pas de meubles ni de matériel appropriés. C’est aussi un défi de loger et nourrir ces jeunes qui ne sont pas issus de familles riches. Les femmes graduées ont du mal à trouver du travail, ce sera une dimension à considérer dans le cadre du projet, entre autres, du côté entrepreneurial. "

ISTA José Marti compte 15 employés et deux programmes sont offerts : agriculture et construction. L'Institut fonctionne depuis ses débuts avec des locaux loués, des terrains prêtés et le minimum d'équipements et d'outils.

Agriculture biologique adaptée aux conditions andines

La dimension biologique de l’agriculture a été introduite dans le projet par le cégep:  « Dans tous les projets financés par la coopération canadienne, on retrouve ce qu’on appelle les dimensions transversales : égalité homme femme, bonne gouvernance et respect de l’environnement dont on doit tenir compte. Notre proposition a misé sur l’agriculture biologique comme moyen de renforcer l’aspect environnemental, nous sommes  allés au-delà de ce qui était prévu dans les termes de référence, c’est peut-être ce qui nous a favorisés. D’autant plus que l’Institut de Tomina souhaitait développer ses connaissances et son expertise en agriculture biologique. La dimension biologique s’applique à la culture des fruits et des céréales, on touche aussi l’irrigation et la connaissance des sols.  L’agriculture traditionnelle en Bolivie était «naturelle», biologique si on utilise les termes actuels, les méthodes chimiques sont arrivées là-bas beaucoup plus tard qu’ici. Il y a un intérêt de la part de notre partenaire à revenir aux méthodes anciennes qui respectent davantage l’environnement. »

L’expertise du cégep se peut-elle s'appliquer aux conditions climatiques boliviennes?

À la question de savoir si l’expertise du cégep se transpose facilement aux conditions climatiques boliviennes. M. Tremblay précise : « Pour la culture des fruits, il n’y a pas de problèmes, on est à 2 150 mètres d’altitude, le climat est froid et on cultive déjà des pommes. Je réalise justement la prochaine mission avec un spécialiste en culture biologique des fruits, Yves Auger. Pour la culture des céréales, même s’ils ne cultivent pas les mêmes variétés que nous, nos méthodes culturales s’appliquent au niveau des sols et du contrôle des mauvaises herbes. Par ailleurs dans le cours du projet, pour assurer le perfectionnement des enseignants de Tomina, nous irons puiser à même l’expertise sud-américaine et nous déplacer avec eux en Bolivie et ailleurs en Amérique du Sud.  Au cours de la prochaine mission, par exemple, nous irons dans le sud du pays à Camargo et Tarija visiter des serres et explorer les systèmes d’irrigation mis en place. Plus tard, nous irons au Chili et en Argentine, nous appuyant ainsi sur une expertise adaptée à leur réalité. En Argentine, nous visiterons des régions où l’on cultive différentes variétés de fruits et aussi la vigne. Les enseignants de Tomina veulent essayer de réintroduire la culture de la vigne et s’inspirer des Chiliens et des Argentins. Le projet est riche et emballant autant pour nous que pour eux.»

Le volet entrepreneurial

En ce qui concerne le volet entrepreneurial du projet, André Tremblay fait remarquer : « les six enseignants avec qui on travaille sont formés en agronomie, mais n’ont pas de notions en matière de développement et gestion d’entreprises agricoles ; c’est leur souhait d’avoir une formation axée sur la gestion, incluant la préparation d’un plan d’affaires, pour ensuite inclure ces volets dans le programme d’enseignement. On espère qu’au terme du projet il y aura un plan d’entreprise qui aura été développé avec les enseignants qui associeront les étudiants à sa mise en œuvre. »

La maîtrise de l'espagnol par les intervenants du cégep: un atout

M. Tremblay et ses collègues spécialistes en agriculture séjourneront en Bolivie à nouveau en septembre et décembre 2015. Le projet se terminera en janvier 2017, « c’est peu de temps pour tout ce qu’on doit réaliser. Jusqu’à maintenant, tous les enseignants qui interviennent parlent espagnol, un avantage indéniable pour l’avancement du projet. De six à dix enseignants et conseillers pédagogiques interviendront. Le matériel pédagogique pour la formation est produit soit directement en espagnol par le personnel du cégep et révisé, ou écrit en français et traduit par une personne hispanophone au cégep, une ancienne stagiaire au CETAB. »

Projets internationaux et austérité

Nous avons voulu savoir si dans une période de coupures dans les établissements, il est facile de mener des projets internationaux : « Il faut une volonté politique de la part de la direction, ça prend une vision qui intègre le rayonnement international de notre expertise ; notre contribution est davantage dans le travail que l’on investit, ce qui évidemment n’est pas toujours facile en période de restrictions. Il faut convaincre nos collègues et superviseurs qu’un projet en attire un autre et que nous allons consolider notre expertise internationale en agriculture, un domaine recherché. Nos projets ne génèrent pas de profits en argent, mais ont des retombées en terme de notoriété et enrichissent la carte de visite du cégep. »