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Les étudiants en situation de handicap stigmatisés au cégep ?
Par Élise Prioleau
Crédit : Marcus Aurélius
22,6 % des cégépiens se considèrent comme étant en situation de handicap, selon le Centre d’étude des conditions de vie et des besoins de la population (ÉCOBES). Malgré l’augmentation constante de ces étudiants aux caractéristiques singulières, leur réalité est encore souvent méconnue des enseignants. Résultat : les étudiants en situation de handicap vivent encore aujourd’hui de la stigmatisation au cégep.
Ils ont reçu le titre d’étudiants en situation de handicap. Ce terme générique laisse bien mal entrevoir ce que signifie réellement être un étudiant qui reçoit un accommodement afin d’atteindre son plein potentiel au même titre que tous les autres étudiants. En réalité, ces étudiants ont un handicap temporaire ou permanent, qui peut être de nature intellectuelle, sensorielle, physique, psychique ou sociale.
« Il n’est pas nécessaire d’être infirme pour se retrouver en situation de handicap. Tout le monde, à un moment ou un autre de la vie, peut se retrouver dans une situation de handicap », comme le rappelle le Centre de recherche pour l'inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH) sur son site internet.
«Il n’est pas rare de les voir graduer par la suite avec des bacs et des maîtrises», souligne Marie-Hélène Rondeau, orthopédagogue, conseillère en services adaptés au collège de Maisonneuve.
Les Services adaptés ont le mandat d’offrir un soutien aux étudiants en situation de handicap afin d’assurer leur inclusion au cégep. Leurs méthodes ont fait leurs preuves. « Quand on arrive à créer les aménagements adéquats et qu’on les aide à bâtir de bonnes compétences d'apprenants, la grande majorité des étudiants à besoins particuliers réussissent très bien. Il n’est pas rare de les voir graduer par la suite avec des bacs et des maîtrises, puis devenir des professionnels accomplis », souligne Marie-Hélène Rondeau, orthopédagogue, conseillère en services adaptés au collège de Maisonneuve.
Mieux informer, pour mieux inclure
Il ne fait aucun doute que la société gagnerait à être plus inclusive et à mieux intégrer les personnes en situation de handicap, dont la créativité, la persévérance et l’empathie sont fort appréciées dans une équipe de travail. Le premier rempart à leur inclusion, toutefois, est le manque d’information.
Nathalie Lavigne, conseillère en services adaptés au cégep de Victoriaville, plaide en faveur d'une communication accrue entre les Services adaptés et les enseignants
Nathalie Lavigne, conseillère en services adaptés au cégep de Victoriaville, a commencé dans les dernières années à faire davantage connaître aux enseignants les limitations de leurs étudiants en situation de handicap, lorsque ceux-ci étaient à l’aise avec la démarche. Autrement, le détail du handicap demeure inconnu par les enseignants, car il s’agit de données confidentielles. « Quand j’ai commencé à informer les enseignants, certains sont venus me voir. Ils étaient extrêmement touchés. Il y a eu un respect qui s’est établi entre les enseignants et leurs étudiants. Soudainement, le prof comprenait tout ce que son étudiant devait maîtriser pour être assis dans sa classe », relate Nathalie Lavigne.
S’ouvrir aux défis des personnes en situation de handicap, c’est aussi comprendre l’injustice qu’ils peuvent vivre au cours de leur cheminement. « Quand on a un diagnostic de trouble de langage à quatre ans, c’est permanent. Ça va rester tout le temps. Ça va se traduire d’une autre manière à l’âge adulte, mais ce ne sera pas plus simple. Il faut qu’ils apprennent à vivre avec. C’est déjà beaucoup. Si la seule chose qui leur permet d’arriver à performer au même titre que tout le monde et de développer leur plein potentiel c’est d’avoir un peu de temps supplémentaire, je ne vois vraiment pas où est l’enjeu. Je ne vois vraiment pas pourquoi on stigmatise ces réussites-là », regrette Marie-Hélène Rondeau.
Nathalie Lavigne considère que la sensibilisation du personnel enseignant est un excellent moyen de minimiser les sources d’incompréhension et l’exclusion. Malheureusement, le temps manque pour réaliser des campagnes de sensibilisation. « On aimerait faire des journées de sensibilisation sur le trouble de l’attention (TDA), sur le trouble du spectre de l’autisme (TSA), la dysphasie, la dyslexie et la santé mentale. Malheureusement, on manque de temps. Les problématiques de nos élèves sont de plus en plus lourdes », reconnaît-elle.
Autonomiser les étudiants en situation de handicap
« L’information, c’est le levier numéro un pour vaincre la stigmatisation. Quand on connaît mieux la situation des étudiants en situation de handicap, on se rend compte que finalement, ça ne demande pas tant que ça », renchérit Évelyne Pitre, professeure au département de français du cégep du Vieux-Montréal et chercheuse au CRISPESH.
« L’information, c’est le levier numéro un pour vaincre la stigmatisation », affirme Évelyne Pitre, professeure au département de français du cégep du Vieux-Montréal et chercheuse au CRISPESH.
Toutefois, le manque d’information est un phénomène qui touche également les étudiants en situation de handicap eux-mêmes. « Il faut aussi sensibiliser l’étudiant lui-même, pour qu’il ait de moins en moins honte de son handicap, et qu’il puisse être son propre porte-parole. J’ai vu des étudiants en situation de handicap qui assument leur handicap, et je ne vous dis pas que c’est facile, mais c’est sûr que ça va avoir une influence sur la façon dont il va être perçu », explique Évelyne Pitre.
Les intervenantes en services adaptés soulignent l’importance d’encourager les étudiants qui les consultent à apprendre à identifier leurs besoins et à en parler eux-mêmes autour d’eux, sans honte. « Je vois de nombreux étudiants qui arrivent du secondaire et qui ne savent pas pourquoi ils ont un plan d’intervention. Ils ne comprennent pas à quoi servent leurs mesures d’accommodement. Certains vont apprendre dans mon bureau ce que ça veut dire avoir un trouble de l’attention ou un autre trouble d’apprentissage », admet Nathalie Lavigne.
Pour pallier le fossé qui sépare encore les pratiques éducatives du secondaire et du collégial, le ministère de l’Éducation a créé un site sur lequel figurent les contenus en orientation scolaire et professionnelle (COSP) qui permettront notamment de mieux préparer les élèves à la transition d’un ordre d’enseignement à l’autre.
Un enjeu de société
La situation des étudiants en situation de handicap dépasse le cadre scolaire. C’est un enjeu de société. « Le handicap n’est pas inhérent à la personne, il est lié à ce qu’on lui demande d’être dans la société. Si on ne demandait pas à un étudiant TDAH de rester assis dans une classe pendant huit heures, et qu’il était dehors sur une ferme, il ne serait pas en situation de handicap », fait valoir Évelyne Pitre. Selon la chercheuse, il revient à l’ensemble de la société d’assurer l’équité pour tous et toutes, de l’école au marché du travail, en passant par le système de santé.
Actuellement, l’un des plus grands freins à l’inclusion des personnes en situation de handicap est l’accès au diagnostic. Selon une étude récente menée par le centre de recherche ÉCOBES, environ la moitié des étudiants qui se considèrent en situation de handicap n’a pas reçu de diagnostic établi par un professionnel de la santé. Sans diagnostic, toutefois, les étudiants n’ont pas accès aux Services adaptés du réseau collégial.
« Les diagnostics ne sont pas couverts par le système public, donc il y a un coût qui représente parfois quelques milliers de dollars. Déjà, faire accepter à un étudiant et à sa famille qu’il a peut-être un diagnostic, ça représente une démarche énorme. Ce sont des étudiants à qui on donne l’espoir de recevoir une précieuse aide, mais à qui la société refuse cette aide dont il a besoin », se désole Évelyne Pitre.
Puis, vient le marché du travail. Ceux et celles qui compléteront leurs études se heurteront parfois à un employeur peu informé, et donc peu compréhensif. « Dans les dernières années, la recherche s’est penchée sur la question de l'intégration des étudiants en situation de handicap aux stages et au marché du travail. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour les intégrer au marché du travail. C’est pour ça qu’il faut en parler ouvertement dans différents médias », conclut la chercheuse.