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Mylène Beaufort, enseignante en soins infirmiers

Au-delà des techniques

Mylène Beaufort a entrepris de changer la donne en Soins infirmiers. Elle mise sur le développement du jugement clinique des personnes étudiantes. Cette professeure du Cégep de Sorel-Tracy a le bagage pour mener à bien ce projet d’encadrement pédagogique. En juin 2023, son engagement lui a mérité une Mention d’honneur de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC).

Thérèse Lafleur, Portail du réseau collégial

« Je suis motivée par l’idée de changer la perspective. La profession infirmière, c’est bien plus qu’une vocation ! », affirme-t-elle d’emblée. « Il y a une science derrière cela. Les infirmières ont des compétences et un jugement clinique. Leur rôle est important au sein d’une équipe professionnelle. Il faut amener les étudiantes à percevoir différemment ce rôle. Des infirmières qui ne se contentent pas d’être des techniciennes, mais qui ont une approche plus globale. Des infirmières qui voient leurs patients comme des alliés et les responsabilisent face à leur santé. »

Détentrice d’un baccalauréat en Soins infirmiers, Mylène Beaufort enseigne au Cégep de Sorel-Tracy depuis 2010. Diplômée de Sorel-Tracy en 2005, ses professeures d’alors sont aujourd’hui devenues des collègues. Dès 2011, elle a intégré l’Ordre régional des infirmières et des infirmiers de la Montérégie (ORIIM). « Mon implication à l’ORIIM m’a aussi sensibilisée aux enjeux politiques de la profession infirmière. Tout ce qui touche l’enseignement, la relève et la formation m’intéresse », dit-elle.

Cégep Sorel-Tracy

Et quand elle décide de s’engager, elle s’engage. Vice-présidente de l’ORIIM, elle s’implique dans la vie départementale et dans divers projets en lien avec la formation en Soins infirmiers. Récemment, elle a obtenu un diplôme de 2e cycle en pédagogie de l’enseignement supérieur au collégial. Elle collabore avec d’autres cégeps pour mettre en place un encadrement pédagogique visant à développer le jugement clinique des étudiantes.

« Je présente le rôle de l’infirmière comme une fonction qui va au-delà de l’application de techniques. »

« Tout en enseignant, j’ai approfondi mon approche pédagogique », explique-t-elle. Pendant mon DESS à Performa, j’ai décortiqué la profession infirmière. Donc je l’intègre encore mieux, encore plus. Pour mobiliser mes étudiantes, je présente le rôle de l’infirmière comme une fonction qui va au-delà de l’application de techniques. Je fais valoir l’importance du partenariat avec le patient pour promouvoir la santé, la prévention de la maladie et la réadaptation après les soins. L’analyse de la profession m’a permis d’en connaître vraiment les assises, les perspectives infirmières et les compétences essentielles. Des notions à jumeler avec mon enseignement. Ce qui fait en sorte que j’ai une vision différente du rôle de l’infirmière et aussi du rôle de l’enseignante. »

Le quotidien

Au quotidien, Mme Beaufort fait ressortir des angles inhabituels pour les étudiantes. « Elles ont abordé beaucoup de techniques, la biologie et la pathologie. De mon côté, j’interpelle leur jugement clinique. Je leur explique que leur patient va retourner à la maison face à une nouvelle réalité de santé. Que vit-il au quotidien ? A-t-il du soutien de son entourage ? J’essaie d’ajouter de l’humain à la technique. Mon approche peut paraître trop théorique, mais je crois qu’il faut redéfinir le rôle de l’infirmière. Et exploiter ce rôle à 100 % permettra de se démarquer des auxiliaires infirmières dont la formation a beaucoup évolué. En se confinant aux techniques, les infirmières et les auxiliaires se retrouvent trop souvent à faire les mêmes tâches. C’est un phénomène que je constate en supervisant les stages. »

« Je leur explique que leur patient va retourner à la maison face à une nouvelle réalité de santé. Que vit-il au quotidien ? »

Mylène insiste sur l’importance d’avoir une perspective holistique du patient. Une manière pour l’infirmière d’exercer pleinement son rôle et de susciter l’engagement du patient envers sa santé. Elle rappelle que la formation en Soins infirmiers l’y prépare bien en intégrant des disciplines contributives comme la sociologie, la psychogenèse, la philosophie, la psychologie pour l’être humain.

« L’infirmière peut mettre à contribution son jugement clinique. Par exemple, si l’objectif de soins est de diminuer l’utilisation de l’oxygène, elle peut proposer un plan d’intervention. Étudier les possibilités et collaborer avec les professionnels, ce pourrait être cela le rôle de l’infirmière. Son rôle est plus large et ne se limite pas à l’application de techniques. En prenant connaissance du dossier du patient, l’infirmière devient la coordonnatrice des soins. C’est à cela que mène le développement du jugement clinique. D’abord de faire des évaluations avec ses connaissances. Ensuite de mettre en place des stratégies pour améliorer la santé du patient — son partenaire. »

Avec l’Ordre et les réseaux de santé

« Quand j’aborde la pensée réflexive, j’explique à mes étudiantes que leur rôle ne se limite pas à la routine de la prise de tous les signes vitaux. Je demande à l’étudiante de savoir pourquoi elle prend les signes vitaux et quels signes vitaux elle prend. L’étudiante doit être en mesure de m’expliquer sa réflexion et pourquoi elle priorise un ou l’autre des signes vitaux. C’est cette démarche réflexive qu’il faut instaurer au collégial. La transmission de cette vision du rôle de l’infirmière s’appuie sur mes acquis pédagogiques. Cela amène un discours différent chez une professeure formée en pédagogie versus une infirmière, dotée d’une solide expérience, qui vient enseigner. »

« Il y a des discussions à avoir entre les maisons d’enseignement et l’OIIQ pour préciser les attentes. »

Elle est d’avis que la formation collégiale peut être rehaussée. « En collaborant pour réviser la formation collégiale et aussi universitaire en Soins infirmiers, nous pourrions mieux cerner les rôles. Tracer ensemble le portrait de l’étudiante du collégial et comment il se complétera si elle poursuit à l’université. Et ce sera en continuation et non pas une révision de ce qui a été vu au collégial. Avec l’Ordre et les réseaux de santé, il faudrait aussi se pencher sur le contexte de travail des infirmières. Par exemple, une étudiante qui travaille le dimanche comme candidate à la profession infirmière. Le lundi, elle ne peut pas être laissée seule sur une unité de soins seulement parce qu’elle vient de recevoir son résultat à l’examen de l’Ordre. Non pas parce qu’elle n’a pas la formation. Mais parce qu’elle n’a pas encore acquis l’expérience ou l’expertise pour être laissée à elle-même. »

En abordant le fort taux d’échecs à l’examen de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ), elle se questionne. « Est-ce à cause de leur formation que les étudiantes ne performent pas ? Il y a des discussions à avoir entre les maisons d’enseignement et l’OIIQ pour préciser les attentes. J’ai tenté sans succès de connaître les attentes de l’Ordre pour que le collégial et l’universitaire puissent se situer face à l’examen. Parce que d’une institution à l’autre, d’un programme de Soins infirmiers à l’autre, les étudiantes n’ont pas nécessairement vu la même chose. L’Ordre prêche depuis longtemps l’exigence d’un diplôme universitaire pour la profession infirmière. Rappelons-nous pourtant que les cégeps ont été créés pour rendre accessible l’enseignement supérieur partout au Québec. »

Philippe Nasr, président de l’AQPC, Mylène Beaufort et Samuel Bernard, directeur général de l’AQPC, au dernier colloque, à Rivière-du-Loup. Association québécoise de pédagogie collégiale

Mylène Beaufort se positionne à l’avant-garde de l’enseignement en Soins infirmiers au collégial. En proposant sa candidature pour le prix de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC), ses collègues ont insisté sur « son souci d’offrir un encadrement de qualité aux stagiaires qu’elle accompagne en les amenant à développer leur pensée réflexive. Son approche auprès des personnes étudiantes témoigne de sa posture pédagogique bienveillante, orientée vers la progression de leurs apprentissages ainsi que leur réussite. »