Articles

Balados pédagos en soins infirmiers

Extracurriculum

Un projet de balados éducatifs bâti sans libération et en pleine pandémie par trois enseignantes infirmières du Cégep Édouard-Montpetit. Après écoute, nous tenions à en dire tant la qualité de production que de contenu. On parle trop peu du balado, comme s’il était figé dans la crise, avec d’autres super aventures pédagogiques virtuelles datant du Coronassic. Déconfinons-le.

Olivier Veilleux-Spénard, Portail du réseau collégial

Son titre ne pourrait être plus juste, c’est bien plus qu’un cours de soins. « Quand une docteure en recherche infirmière nous dit que notre balado sert à vulgariser la science infirmière, ça me rend vraiment fière. Faire le pont entre la recherche et le terrain, ce n’était pas notre but, mais c’est ça qu’on est en train de faire, » nous dit Julie Boudreau.

« Bien plus qu’un cours de soins » a commencé à prendre forme dans un cours de pédiatrie. Les enseignantes cherchaient des moyens d’améliorer le cursus covidiennement chamboulé des étudiantes qui n’avaient pas eu l’opportunité de faire un stage. « L’idée était de compenser, en quelque sorte, l’expérience terrain », nous dit Édith Paquette-Lemieux. En voulant demander des travaux sur des sujets d’actualités liés à la profession - on parlait que de ça - elles ont vite réalisé que sur Apple Podcasts ou Spotify, rien ne répondait aux critères du cours. Pourtant, le programme de soins infirmiers est sauf quelques exceptions dans tous les cégeps du Québec. Non, il n’y a pas des balados sur tout, du moins en français. Elles en ont trouvé sur la médecine, sur la santé, mais rien s’adressant à la clientèle étudiante en soins. Peut-être qu’on pourrait en faire, ont-elles pensé.

En période de crise sanitaire, l’idée a germé vitesse grand C, et c’est devenu : « Bien plus qu’un cours de soins, un outil technopédagogique pour contribuer au processus de professionnalisation. »

Leur mission : renforcer l’identité de la profession, promouvoir la culture infirmière et vulgariser des concepts clés bouillant de pertinence et d’actualités. L’audience visée : l’ensemble de la communauté étudiante en soins infirmiers, de la première à la sixième session, en incluant également les étudiantes au baccalauréat initial.  

N’importe quelle heure, n’importe où, même poste

Les premières minutes d’écoute du tout premier épisode dévoilent tout le potentiel de ce balado collégial : enjeux de société majeurs, rigueur scientifique et pertinence pratique. Et c’est entraînant. Rosalie Rostaing-Séguin nous résume mille et un grattages de tête lors de la conception des épisodes : « Notre objectif était de monter des épisodes le plus succincts possible. Mais quand on a plusieurs invités de cette qualité-là, tu ne veux pas manquer de respect et trop couper. » Elle ajoute que sans l’aide du service informatique du Cégep Édouard-Montpetit, elles n’auraient probablement pas pu y arriver.

Si les thématiques transcendent les disciplines, la portée du projet, elle, semble toujours confinée à l’intérieur des murs du Cégep Édouard-Montpetit. « La publicité a été faite principalement auprès des étudiantes du programme, et c’est un peu biaisé, mais je pense que la réponse étudiante est assez bonne », nous dit Édith Paquette-Lemieux.

« Le leadership infirmier est un concept dont on parle énormément dans la profession d’infirmière, c’est un concept clé de la profession, même lorsque tu es étudiant », nous dit Julie. Elle nous rappelle qu’historiquement, au Québec, les infirmières étaient des sœurs au service de l’église. C’était une vocation. Et l’infirmière a longtemps été perçue comme la servante du médecin. « Maintenant, on essaie d’élever la profession au même niveau que les autres professionnels de la santé, et y’a encore beaucoup de travail à faire. »

La deuxième thématique abordée, la sécurisation culturelle, fut un travail de recherche colossal. Elle a été divisée en deux parties, pour ne pas prendre de raccourcis. « On a tellement mis d’heures dans ce sujet… », nous avoue Julie. « On ne voulait vraiment pas faire de faux pas. Personnellement, je ne savais pas vraiment ce que c’était, la sécurisation culturelle. J’ai énormément appris. » Nous aussi. La sécurisation culturelle en santé est encore un concept émergeant en 2023.

On ne se défile pas et replonge dans l’histoire qui a mené au décès de Joyce Echaquan. On le fait avec une assurance impossible sans un effort considérable de recherche et d’humilité. On remet sur la table la Commission Viens. On parle du Principe de Joyce, de Bryan Sinclair. On définit ce que sont les biais d’angle mort (c’est penser que les autres sont plus biaisés que soi). On débusque des mythes qui perdurent, on souligne des différences linguistiques fondamentales entre le français (langue synthétique) et l’inuktitut (langue polysynthétique), on s’enseigne à apprivoiser les silences, qui font parfois partie du langage…

Dans l’épisode suivant : La pratique infirmière auprès des personnes âgées LGBTQ+, on découvre la réalité trop souvent ignorée de gens qui ont vécu leur diversité dans un tout autre contexte historique. On décortique entre autres les concepts d’« hétérosis normativité » et de soins adaptés culturellement avec Samy Taha, doctorant en sciences infirmières.

Les apprentissages virtuels sans écran, il n’y en a plus beaucoup.

Dans le dernier épisode enregistré en 2021 avec Fiona Henley, infirmière, professeure au Collège Dawson et chargée de cours à l’université McGill, on explique pourquoi les infirmières devraient être conscientes des effets des changements climatiques sur la santé humaine lorsqu’elles évaluent un patient.

En toute collégialité

Les trois comparses sont très reconnaissantes de l’ouverture et de la disponibilité de leurs invités et de leur Cégep. « Quand on cogne aux portes de sommités, c’est super facile… Il y a ce désir de contribuer; elle est là la communauté de partage. Il ne faut pas se laisser impressionner pas les titres des gens, » nous dit Édith. « La prof de socio à Édouard-Montpetit nous a énormément aidés, surtout pour l’épisode sur la sécurisation culturelle », ajoute Julie.

Rosalie considère que sans l’aide du service informatique du Cégep Édouard-Montpetit, elles n’auraient probablement pas pu y arriver.

Les enseignements et perspectives infirmières de ces épisodes sont pour toute la population, pas seulement pour le personnel soignant.

La prochaine « série » est déjà disponible (ici sur Spotify) et met l’accent sur la démarche de soins. « On voulait vraiment se rapprocher des travaux plus difficiles que nos étudiantes ont à faire; on approche la démarche de soins autrement, on la vulgarise, mais on va aussi plus loin », nous dit Rosalie. Chacun des quatre épisodes ne dépasse pas les dix minutes.

Julie Boudreau, Édith Paquette-Lemieux et Rosalie Rostaing-Séguin ont d’autres idées pour la suite : clientèles adolescentes, nouveau modèle de soins, éthique, etc. C’est bien plus qu’un cours de soins, c’est multidisciplinaire, rigoureux, important. Et ça continue.

La classe parlée

Comme outil d’enseignement, le balado pédagogique, défini ici sur le Wiki de la Téluq, semble être efficace en tant que microstratégie de classe pour deux principales raisons : premièrement, il impose aux concepteurs peu de contraintes technologiques (lire ici visuelles). Deuxièmement, il offre aux étudiants un apprentissage virtuel sans écran. Et les apprentissages virtuels sans écran, il n’y en a plus beaucoup.

« Le balado en soi a peut-être ses limites avec les personnes avec des déficits d’attention, donc ce n’est peut-être pas aussi inclusif qu’on aimerait, » nous avoue Julie. « Mais on peut l’écouter par petits bouts, en faisant la vaisselle ou un jogging, » nous dit Rosalie. « Il faut quand même être intéressé par le sujet pour se taper un épisode de 45 minutes, ou avoir un très bon cardio! »