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Triche numérique et autres fraudes

La carotte et le bâton

Les questions de fraudes intellectuelles reviennent régulièrement dans les manchettes, depuis novembre encore avec la parution du générateur de textes ChatGPT. Comment le réseau collégial traite-t-il ces questions ?

Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

Tout le monde il est gentil il est ouvert. La culture du Web 2.0 à notre époque, une culture de partage, de collaborativité et de gratuité, peut en donner l’impression. Plusieurs se demandent quel est le problème à piger à droite et à gauche des idées et des phrases sans les référencer.

Dans une vaste étude de l’Université de Lyon, dont 80% des étudiants-es avouaient copier-coller des informations d’Internet sans référence aux sources, la grande majorité disaient le faire « par facilité » ou « par manque de temps ». Problème.

Décentralisé

L’approche concernant la triche est très différente selon les collèges, très variable.

« L’élaboration des programmes étant locale, dans certains collèges, c’est plus explicite ; dans d’autres, c’est plus implicite », nous dit Nathalie Bastien, du REPTIC. Le Réseau des répondantes et répondants TIC (REPTIC), affilié à la Fédération des cégeps, est une communauté de pratique qui regroupe volontairement les conseillers-ères pédagogiques du réseau. « Ce sont des choix locaux. Les collèges décident où ils placent l‘enseignement du ‘’métier d’étudiant’’, de la méthodologie du travail intellectuel et donc, par conséquent, de la prévention du plagiat. Dans les cours où ils le souhaitent. »

« Dans le secteur technique, on retrouve habituellement une compétence intitulée ‘’analyser la fonction de travail’’, établie dans le devis ministériel », ajoute Mme Bastien. Là encore, cela peut être intégré différemment d’un collège à l’autre. « Au secteur préuniversitaire, le sujet peut être vu dans plusieurs cours. Certains collèges peuvent aussi choisir de l’intégrer dans la formation générale. Les étudiants du secteur technique qui suivent leurs cours de formation générale avec d’autres étudiants verraient la matière deux fois… mais c’est le genre de contenu qu’on peut voir plusieurs fois : ça prend beaucoup de temps et de pratique à intégrer ! »

C’est en Sciences humaines que l’on trouve le plus de rédaction et de recherche documentaire à faire. Dans le nouveau programme, un énoncé de compétences demande d’« appliquer des méthodes de travail intellectuel en sciences humaines », avec le « respect de l’éthique du travail intellectuel ». Mais quand, dans la grille horaire ?

Ces questions de méthodologie intellectuelle peuvent être vues dans un cours, à travers plusieurs cours, ou... pas du tout.

« Et on ne parle pas encore de formation continue, où les étudiants adultes peuvent arriver avec des bagages très variés », ajoute Nathalie Bastien.

Détection et sanctions

Des outils très puissants existent qui font de la « détection de similitudes ». Compilatio pour les enseignants et Studium pour les étudiants sont utilisés dans le réseau universitaire francophone (davantage Turnitin dans le réseau anglophone) ; quelques cégeps se sont procuré Compilatio pour le mettre à la disposition de leurs enseignants-es. Tous ne l’utilisent pas.

La Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages (PIÉA), dans plusieurs collèges, prévoit à peu près la même escalade de sanctions en cas de plagiat. L’étudiant a trois prises : la note 0 pour l’activité en question (examen ou travail), 0 pour le cours au complet s’il y a récidive, et possibilité de renvoi ou de mesure disciplinaire en cas de troisième faute.

Ces sanctions sont souvent appliquées telles quelles.

Ignorer la loi

En pratique, plagiat et fraude sont nombreux. Pas toujours conscients, toutefois.

Les bibliothécaires aussi, nous dit Lucie Delhomme du Regroupement des bibliothèques collégiales du Québec (REBICQ), touchent au référencement correct des informations trouvées, dans des formations plus ou moins obligatoires, le plus souvent sur demande d’enseignants-es. Outre le REPTIC, on trouve dans le réseau collégial ce REBICQ, une communauté de pratique du personnel des bibliothèques collégiales participantes. Les deux travaillent conjointement sur les problèmes d’intégrité intellectuelle étudiante.

« C’est surtout par méconnaissance que les étudiants plagient », affirme Nathalie Bastien. Elle et Lucie Delhomme considèrent toutes deux qu’il y a davantage de plagiat involontaire que volontaire, inconscient plutôt que conscient. Ce qui demanderait davantage de sensibilisation…

« Depuis leur plus jeune âge, les enfants incluent des images dans leurs travaux, font du copier-coller ; pour eux, c’est normal. Il n’y a pas eu de sensibilisation à ce que c’est la propriété intellectuelle. Est-ce qu’on peut sanctionner quelqu’un qui aurait fait une erreur de bonne foi ? », demande Mme Bastien.

L’accommodement : un phénomène

C’est habituellement à l’enseignant qu’incombe la responsabilité de démontrer qu’il y a une situation de plagiat et d’entamer une procédure. En pratique, les enseignants vont souvent moduler une sanction moins sévère, ce que Nathalie Bastien appelle des « ententes clandestines ». La première offense ne se retrouve pas nécessairement à la Direction des études.

D’où viendrait cette application mitigée par les enseignants-es? Bénéfice du doute ? Sentiment d’injustice ? Évitement d’un processus administratif compliqué ? On ne le sait pas. Peut-être pourrait-on les sonder (anonymement) pour en savoir plus et éviter les pratiques divergentes dans un établissement ?

En l’absence de signalements systématiques, des étudiants pourraient devenir des « tricheurs professionnels, qui ne se feront jamais prendre », admet Nathalie Bastien.

C’est l’effet pervers de sanctions peut-être inadaptées et de ces « ententes clandestines » : l’arbitraire domine, le problème est moins documenté, les étudiants moins suivis, le délit moins compris...

PIÉA adaptées ?

Les Politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages (PIÉA) prévoient surtout les sanctions à appliquer, pas l’accompagnement qui peut être fait auprès des étudiants-es, ce que souhaiterait Nathalie Bastien.

Il reste toutes les tentatives de triche consciente ; est-ce que les sanctions ne sont pas nécessaires pour envoyer un signal fort à tout le monde ? « C’est une question de point de vue », dit la responsable du REPTIC. « Le débat pourrait être tenu dans un collège qui refonde sa PIÉA, par exemple. Mais dans l’établissement, le consensus est important. »

« Dans l’établissement, le consensus est important. » Nathalie Bastien

Une politique ne peut pourtant pas prévoir tous les cas d’espèce avec leurs circonstances atténuantes ou aggravantes.

Nathalie Bastien réplique : « La définition du ‘’plagiat’’ devrait au moins prendre en compte le fait que l’étudiant pourrait ne pas avoir fait exprès. »

Une approche intégrée

Ce qui semble faire consensus actuellement, c’est l’utilité d’une approche intégrée, la carotte ET le bâton, l’éducation ET la punition.

« Il faut aussi être CAPABLE de ne PAS tricher. » Lucie Delhomme

De l’aspect intégré de la lutte pour l’intégrité intellectuelle étudiante, Lucie Delhomme dit « On a besoin des deux… mais les volets sensibilisation et formation sont ceux qui méritent le plus d’être développés actuellement. » Elle précise : « avec les compétences informationnelles, chercher et trouver l’information dont on a besoin, si on est capable de ça, on est moins enclin à tricher. Bien sûr, il faut être convaincu que c’est une mauvaise chose de tricher, mais il faut aussi être CAPABLE de ne PAS tricher. » 

Les deux s’entendent pour souhaiter que les collèges accordent plus d’importance à l’intégrité intellectuelle. « Mais pas nécessairement pour sanctionner les étudiants », précise Nathalie Bastien, « plutôt pour faire ce qu’une maison d’enseignement est sensée faire, c’est-à-dire former les étudiants, avec une formation systématique à la citation des sources ».

« Fais-toi une tête »

Le Cégep de Baie-Comeau est proactif depuis longtemps sur la question de la sensibilisation au plagiat.

Un comité sur l’intégrité intellectuelle réunit encore des enseignants-es, des conseillères pédagogiques, et deux étudiants-es s’ajoutent certaines années.

Dans au moins un cours par programme, l’intégrité intellectuelle est au plan de cours.

La sensibilisation va bon train, mais le roulement étudiant au collégial est continu : « d’année en année, c’est toujours à refaire », dit Mme Coll.

Dans l’accueil du début d’année, une formation en ligne, non obligatoire, est fournie aux étudiants-es. Le taux de participation est d’environ un tiers. Et les résultats, en cas d’offense, serviront dans le dossier étudiant à évaluer éventuellement le problème. Car comme directrice adjointe des études, Stéphanie Coll, ancienne conseillère pédagogique, fait partie du « comité d’appel », si l’étudiant-e conteste une sanction.

La sensibilisation va bon train, mais le roulement étudiant au collégial est continu : « d’année en année, c’est toujours à refaire », dit Mme Coll.

Stéphanie Coll a coordonné, juste avant la pandémie, une campagne de sensibilisation appelée Zéro Plagiat ou Fais-toi une tête. Avec des affiches colorées rappellant aux étudiants-es, sans leur faire la morale, le principe de base de l’intégrité intellectuelle. « Ce que l’on veut, c’est ta vision des choses; pas celle des autres! »

Un comité conjoint, à la Fédération des cégeps, s’est entendu avec Baie-Comeau pour rendre accessible cette campagne à travers le Québec aux collèges qui voudraient l’utiliser.

De la même équipe sortira plus tard ce printemps un Guide d’évaluation des apprentissages avec le numérique, sur la plateforme Eductive. Une présentation est aussi prévue au colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) en juin.

Un nouveau défi

Certaines évaluations ne pourront plus se faire de la même façon. Les médias ont fait grand bruit récemment d’une application qui use de l’intelligence artificielle pour générer des réponses sensées à des questions. Les linguistes vous diront que ChatGPT était à prévoir. Après des analyses informatiques de contenu de plus en plus poussées. Déjà, des répliques sont arrivées, sous forme de détecteurs, mais les générateurs de textes resteront un défi pour assurer l’équité et l’intégrité intellectuelle chez les étudiants-es.

Comme le REPTIC et le REBICQ, le ministère de l’Enseignement supérieur, qui veut se coordonner avec celui de l’Éducation, nous dit suivre la situation dont l’analyse est commencée et se poursuit.

Des logiciels comme Compilatio s’en tiennent à un vaste balayage d’Internet et des travaux étudiants déjà soumis. L’intelligence artificielle permet maintenant une autre espèce de fraude. Et il serait surprenant que les robots réclament des droits d’auteur...