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La culture générale, vue côté profs… et côté étudiants

Louis-Ferdinand-Céline-Dion

Quelle est la différence, entre enseignants-es et étudiants-es des collèges, dans leur conception du concept de culture générale ? Félix-Antoine Désilets-Rousseau et Daniel Landry du Collège Laflèche ont mené la recherche.

Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

Sur son tee-shirt noir, en quatre lignes de caractères blancs, Louis-Ferdinand-Céline-Dion.  C’est avec cet habillement approprié au thème que Félix-Antoine Désilets-Rousseau est arrivé, avec son collègue Daniel Landry, au colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) en juin.

D’entrée de jeu, ils ont de bons mots pour le Plaidoyer pour la culture générale au cégep, du regretté Florian Péloquin. C’est le livre qui leur a inspiré une discussion puis un projet de recherche sur le sujet. Le regretté Florian Péloquin s’est intéressé toute sa vie à la philosophie et la sociologie de l’éducation. Pour son livre, il avait étudié quelles conceptions se faisaient les professeurs de cégep de cette culture générale. Quelques années suivant cette parution, les deux professeurs du collège Laflèche, à Trois-Rivières, ont étudié la même chose… du côté étudiant, et comparé.

Daniel Landry, de Louiseville, enseigne la sociologie depuis 19 ans. Félix-Antoine Désilets-Rousseau, de Saint-Grégoire sur la rive sud, enseigne la littérature depuis 7 ans après avoir enseigné le français au niveau secondaire. Officiellement, Daniel servait de mentor à Félix pour les questions de méthodologie en sciences sociales, bien différentes de celles en littérature. En fait, les deux amis ont concurremment travaillé fort sur ce projet.

Pour éviter le biais possible des classes du privé, l’échantillonnage comprenait des étudiants-es du Collège Laflèche, mais aussi du Cégep de Trois-Rivières et du Cégep de Shawinigan. Un questionnaire a été adressé à 403 personnes, soit 102 professeurs-es et 301 étudiants-es. 15 entretiens personnels ont aussi eu lieu.

Pour le financement de la recherche en pédagogie, l’équivalent du Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA) des cégeps est pour les collèges privés le Programme de recherche et d’expérimentation pédagogique (PREP). Ces projets sont d’une durée maximale d’un an. Pour cette recherche exploratoire, les deux enseignants ont présenté une demande qui a été acceptée.


Félix-Antoine explique leur motivation. « On étaient préoccupés par la perte de vitesse de la culture générale dans les cours en dehors de la formation générale. On s’est dit qu’il faudrait peut-être tirer la sonnette d’alarme. D’ailleurs, le Conseil supérieur de l’éducation est allé dans le même sens que nous dans son rapport. Il faut ramener un enseignement plus humaniste».

Vous dites ?

Qu’est-ce que la culture générale ? Ce n’est pas la question la plus facile à répondre. Les jeunes ont-ils réussi à donner une définition du concept ? Plus ou moins, évidemment. Pour l’expliquer, les deux professeurs évoquent Fernand Dumont et ses concepts de « migration » vers une « culture seconde ». Les jeunes n’ont peut-être pas encore la culture générale nécessaire pour définir la culture générale !

D’autres penseurs ont nourri leur réflexion, « dont Rivard, Steiner, Hannah Arendt, qui expliquaient c’est quoi la relation pédagogique, toujours un souhait de voir l’étudiant s’élever et entrer en contact avec quelque chose de plus grand que lui… la culture, en fait », explique Félix-Antoine. « Selon Rivard, c’est de faire se rencontrer des mondes qui ne devaient pas au départ se rencontrer. C’est l’école qui permet ça... Nous voulions examiner c’est quoi la PERCEPTION d’une culture générale, qu’est-ce que c’est la culture générale pour l’étudiant, puis en quoi cette perception s’éloigne ou non de celle de ses profs. Voir le fossé qui va apparaitre entre les deux groupes. Il y en a un, et c’est normal, c’est le propre de l’école d’en avoir un! ».

L’amélioration de la culture générale chez les jeunes, de l’arrivée du cégep à son départ, est fulgurante.

Les définitions récoltées sont très variées, autant chez les profs que chez leurs étudiants-es. Les fonctions aussi. Deux catégories se dégagent toutefois, selon Daniel : une visée utilitaire (« servir à ») et une visée plus émancipatrice, « pas tant à avoir un coffre à outils que soi-même être capable de se dépasser ».

Comment ? Les jeunes font un lien fort entre la lecture et l’acquisition d’une bonne culture générale. C’est nommé. Ils ont enregistré le message, « la lecture c’est important », mais ne mettent pas pour autant plus de temps à lire, dit Félix. « Ce serait quelque chose à investiguer », précise-t-il. « Quand est-ce que ça se perd, dans la chaîne de valorisation de la lecture, le temps consacré à la lecture. »

Point encourageant : ils le confirment, mais c’était déjà rapporté par Péloquin, l’amélioration de la culture générale chez les jeunes, de l’arrivée du cégep à son départ, est fulgurante. C’est ce que les professeurs-es consultés-es évoquent unanimement (ce qui n’empêche pas certaines déceptions). En deux ans, il y a une manifeste « maturation intellectuelle », perceptible dans les méthodes de travail adoptées, dans les idées exprimées, dans les connaissances, etc. Encore faut-il que ces jeunes aient persisté…

Notre conversation déborde. Même si cela dépasse la portée de leur projet, les deux enseignants constatent par ailleurs que pour la culture, la mondialisation rime avec hégémonie états-unienne. Daniel Landry : « La mondialisation correspond à ce qu’on pensait être une ouverture, une ouverture à d’autres cultures, à une plus grande diversité. Ça a mené peut-être davantage à une homogénéisation de la culture. »

Au suivant

Dans la conclusion de leur rapport, les auteurs souhaitent la poursuite de leur réflexion. « Il serait particulièrement intéressant de produire des travaux qui permettraient de définir avec plus de précisions le concept même de culture générale dans le contexte du Québec du XXIe siècle, et plus particulièrement dans celui du réseau collégial. »

Florian Péloquin avait lui-même écrit son livre à partir d’une recherche de doctorat. Il est décédé le 1er janvier 2022. Il aurait sûrement aimé voir ce nouveau travail.