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Repenser l’avenir avec les femmes

Par Thérèse Lafleur

Parce que rien n’est encore acquis une fois pour toutes, l’émission Conjuguer l’avenir au féminin diffusée par Perspective EN DIRECT regorge de propos inspirants qui appellent à l’action. Cinq femmes, œuvrant dans des univers bien distincts, y abordent les réalités au sein desquelles évoluent les femmes, la société.

 


 

Oser la parité

« Au Québec, il y a presque la parité au niveau des directions générales des collèges. Au Canada, nous en sommes à 39 %. » indique Denise Amyot, présidente et directrice générale de Collèges et Instituts Canada (CICAN).

Selon madame Amyot il serait faux de prétendre qu’atteindre la parité est difficile, par exemple dans les conseils d’administration. « Il y en a des femmes, et des femmes racisées, qui aimeraient accéder à de hautes fonctions. Par ailleurs, je constate que dans les Instituts de leadership de CICAN, plus d’hommes que de femmes se présentent quand il s’agit d’accéder aux plus hauts niveaux de la pyramide. »

Madame Amyot encourage donc les organisations à « oser » la parité en adhérant au Défi 50-30 , soit de tendre à la présence de 50 % femmes et 30 % de minorités au sein de leur comité de gestion ou de leur conseil d’administration.

Promouvoir ou normaliser ?

« Même en 2022, seulement 4 % de femmes sont PDG dans les 500 plus importantes entreprises au Canada. Donc chaque fois qu’une femme est nommée à la tête de l’une de ces entreprises phares, il faut amplifier la nouvelle afin qu’elle serve de modèle. » affirme Caroline Codsi, présidente fondatrice de la Gouvernance au féminin, un organisme qui offre une Certification parité aux entreprises canadiennes.

Oeuvrant dans le domaine depuis quinze ans, madame Codsi mentionne qu’au Canada ou aux États-Unis, nous sommes encore loin de la coupe aux lèvres en matière de parité.

Cependant, il y a une conversation intéressante à avoir entre la normalité et la promotion soulève Émilie Nicolas, chroniqueuse et consultante en droit de la personne et en équité.

« Dans les années 80-90, la perspective était d’ouvrir les portes en se demandant si c’était possible pour une femme d’accéder aux rôles traditionnels des hommes tout en étant l’idéal de la superwomen. Actuellement la question se pose autrement. Plutôt que de se demander comment se rendre en haut de la pyramide, les générations montantes se demandent plutôt si elles veulent encore avoir une société organisée de façon pyramidale. Il y a tellement d’inégalité et de richesse qui créent de problèmes de société. En fait, je constate que la nouvelle génération de féministes se demande si conjuguer l’avenir au féminin ne signifierait pas de repenser quel idéal les femmes veulent atteindre plutôt que de se battre pour avoir une place autour de la table. Est-ce qu’on ne veut pas aussi se battre pour changer de table ? Repenser le modèle, c’est peut-être ça aussi construire l’avenir au féminin. »

Prendre sa place, partout, tout le temps

La voie n’est pas tracée d’avance pour les femmes. Il faut concilier le travail et la famille, parfois les études, tout en gardant son équilibre. La mairesse de la Ville de Gatineau, France Bélisle en témoigne : « La politique fait peur parce que c’est un travail très exigeant sur différents plans : le temps par exemple parce que je suis toujours la politicienne même en faisant mon épicerie. Il faut être capable d’assumer cela. Cependant le plus grand défi demeure la question des horaires. Bien sûr, la maman ou le papa se partagent le soin des enfants. Parfois, ils s’occupent en plus de leurs parents vieillissants. Mais être en politique c’est aussi faire le sacrifice du temps à offrir aux proches et cela demande un immense soutien des amis et de la famille pour être capable de maintenir un certain équilibre. Les femmes qui se lancent en politique doivent absolument être capables de demander de l’aide, au quotidien. »

Madame Codsi identifie aussi certains obstacles que les femmes ont tendance à s’imposer elles-mêmes notamment le syndrome de l’imposteur ou plutôt de l’impostrice. Un manque de confiance en elles souvent infondé, mais hérité. C’est pourquoi la Gouvernance au féminin encourage les femmes à faire preuve d’audace, à sortir de leur zone de confort, à surmonter leurs peurs, à demander ou à accepter des postes ambitieux qui les amènent à se développer.

Elle insiste sur le rôle que les organisations ont aussi à jouer en matière de parité, d’équité et de diversité. Il faut qu’elles examinent leurs pratiques pour identifier les écarts. Ce qui les amènera nécessairement à modifier certaines politiques, à changer la culture, à implanter des initiatives très délibérées pour, par exemple, sensibiliser sur les préjugés, les biais inconscients.

Faire autrement ensemble

Pour France Bélisle, mairesse de la Ville de Gatineau : « Il faut arrêter de se surprendre de la présence des femmes comme je l’ai constaté pendant la course à la mairie. » Madame Bélisle est convaincue que dans les organisations tout comme au sein des conseils d’administration, c’est la diversité des points de vue qui enrichit la discussion et mène aux meilleures décisions.

Madame Bélisle soulève un élément qu’elle croit typiquement féminin et qui l’interpelle, le bonheur au travail. Avec son équipe, elle souhaite augmenter l’indice de bonheur des employés de la Ville de Gatineau. Elle constate que la participation des femmes au processus de prise de décisions amène une plus grande collégialité et surtout un désir de consensus. « De plus, je suis convaincue qu’il faut aspirer à ressembler à la communauté dans laquelle nous évoluons. Que la composition de notre collectivité soit représentée tant dans les instances décisionnelles que fonctionnelles. »

Des défis mouvants

Madame Cotsi souhaite mettre en garde tant les organisations que les femmes relativement au télétravail imposé par la pandémie. Elle explique qu’au départ, ce télétravail obligé pouvait être perçu comme un avantage offrant plus de flexibilité. Maintenant, il y a lieu de se demander si cette espèce d’invisibilité virtuelle n’ajoute pas une couche au plafond de verre. En effet, alors que les hommes seront possiblement beaucoup plus souvent au bureau et que les femmes décideront peut-être de bénéficier des avantages du télétravail, qu’en sera-t-il quand les ordinateurs se fermeront ?

Madame Nicolas constate elle aussi que les réalités ont changé depuis la pandémie avec la question du télétravail. Les femmes avaient déjà un désavantage sur le marché du travail par exemple lorsqu’il était question du réseautage informel. « Surtout comme jeune femme et surtout dans les années qui ont précédé le mouvement #MoiAussi, mais encore aujourd’hui, ce n’était pas évident de faire la différence entre les enjeux de réseautage informel et les situations où elles s’exposent à du harcèlement sexuel par exemple. »

Émilie Nicolas attire l’attention sur l’équilibre travail famille/études qui suscite des changements de vie. « Sans juger les gens qui décident de rééquilibrer leur vie ou leurs objectifs de vie, il faut plutôt comprendre ce qui les pousse à faire ces choix. Par exemple, si les services de garde sont inaccessibles ou hors de prix, cela a un impact. »

Ajoutons les difficultés particulières auxquelles les femmes racisées sont confrontées pour accéder aux lieux de pouvoir. Comme le souligne madame Nicolas, quand il y a des biais implicites négatifs de type sexiste combinés à des biais implicites négatifs de type raciste, cela devient très difficile de s’affirmer.

Enfin, madame Nicolas tient à aborder l’organisation de la société. « Je pense qu’il est important de comprendre que si nous que si nous voulons donner une valeur égale à toutes les femmes, il faut travailler pour que toutes les femmes puissent avoir un revenu décent et vivre dignement. »

La volonté de changer les choses

La directrice générale du Cégep de Saint-Jérôme, Nadine Le Gal, rappelle que le milieu des collèges et des instituts est un milieu propice à vouloir changer le monde, à poser un regard critique.

« C’est notre rôle comme collège, tant d’un point de vue pédagogique que d’un point de vue socioculturel, d’encourager nos jeunes femmes à s’impliquer dans des comités, des associations étudiantes, des groupes interculturels et également en entrepreneuriat. Un cégep a un rôle essentiel à jouer comme modèle, tant sur le plan professionnel qu’institutionnel, pour préparer l’ensemble de nos étudiants à la vie citoyenne. »

Chargée de cours universitaires et conférencière invitée fréquemment dans les collèges et les universités, Émilie Nicolas constate que les jeunes sont ailleurs non seulement sur l’équité homme femme, mais aussi sur les normes de genre en général, c’est de l’acquis pour eux.

Les répercussions de la pandémie

Pour plusieurs femmes, dont les femmes racisées et les femmes en situation de handicap, la COVID-19 a eu des incidences défavorables. Des effets qui se répercuteront pendant plusieurs années. Une recherche de la firme McKensiei révèle que ces défis ont touché les femmes de façon disproportionnée et retardé les progrès des entreprises vers la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI).

McKensie faisait aussi remarquer qu’avant la pandémie aucune de leurs recherches ne donnait signe que les femmes se retiraient du marché de l’emploi à un rythme qui était différent de celui des hommes. Malheureusement, depuis le début de la pandémie, leurs travaux ont révélé certaines tendances très fortes à cet égard pour trois sous-groupes de femmes en particulier soit les mères sur le marché de l’emploi, les femmes occupant un poste de cadre supérieur et les femmes noires.

Sommes-nous sur la bonne voie ?

Le chemin est tracé, mais il est encore rempli d’embûches pour que la complémentarité de talents et de gens qui ont des perspectives différentes soit pleinement mise à profit. La pandémie a prouvé que les progrès en matière de parité ou diversité pouvaient être ralentis.

Cependant il y a des initiatives qui portent fruit comme La loi sur la gouvernance des sociétés d’étatii adoptée il y a 15 ans au Québec. Une loi qui exige 50 % de femmes à la gouvernance et qui a réussi, en moins de cinq ans, à augmenter la participation des femmes de 21 % à 51 % a rappelé madame Cotsi.

Tout en honorant les femmes exemplaires, celles qui percent en politique ou dans les organisations, Émilie Nicolas invite à pousser plus loin la réflexion : « L’égalité entre les hommes et les femmes dans les lieux de pouvoir est importante. Parallèlement, il faut se demander si les lieux de pouvoir sont désirables ? Et que, conjuguer l’avenir au féminin, signifie peut-être aussi repenser ces lieux de pouvoir plutôt que de nommer des femmes à des postes-cadres. ».


iLa diversité du travail au Canada consulté le 25 mars 2022.
iiLoi sur la gouvernance des sociétés d’état consulté le 25 mars 2022.