Articles

Sept-Îles au carrefour du Plan Nord

Une Entrevue avec M. Donald Bhérer, directeur général du Cégep de Sept-Îles

La région de Sept-Îles connaît actuellement un essor économique sans précédent. Le Portail s’est entretenu avec le directeur général du cégep afin de voir comment l’établissement se positionne dans ce contexte.

Des investissements majeurs dans différents domaines.

Pour Donald Bhérer, le boom économique que connaît Sept-Îles se traduit par des investissements majeurs dans différents domaines.  Dans le domaine de la production hydro-électrique, le chantier de la Romaine à l’est de Sept-Îles, le plus gros chantier au Québec, constitue un investissement important de 6,5 milliards. Quelques centaines de kilomètres plus à l’est, parmi les projets de centrales d’Hydro-Québec, figure celui de Petit- Mécatina. Ces projets génèrent des milliers d’emplois dans la période de construction et ouvrent un immense territoire à l’exploitation des ressources naturelles".

« Il y a aussi des investissements majeurs au niveau métallurgique. L’Aluminerie Alouette est la plus grande aluminerie des Amériques. Inaugurée en 1992, elle compte 1000 employés avec une capacité de production annuelle de 600,000 tonnes d’aluminium. L’entreprise a annoncé l’automne dernier la conclusion d’une entente pour un bloc énergétique de 500 mégawatts qui permettra de passer à 900,000 tonnes de production annuelle, ce qui va l’amener dans un club très sélect à l’échelle mondiale de méga-alumineries. On parle ici d’investissements de 2,5 milliards sur une période de cinq ans.

Aluminerie Alouette, la plus grande aluminerie des Amériques

"Il ne faut pas ignorer le boom minier : les annonces se succèdent dans ce domaine principalement dans le domaine du fer. Les grandes compagnies minières déjà établies à Sept-Îles, I.O.C.- Rio Tinto, Cliffs à Port-Cartier, Arcelor-Mittal, ont annoncé des plans de développement avec des investissements à la clé. On parle ici encore de centaines de millions sinon de milliards. À titre d’exemple, Arcelor-Mittal a une production annuelle de 14 millions de tonnes, et une production de 24 millions de tonnes est visée avec un investissement de 2,5 milliards. De 24 millions de tonnes, l’objectif est de passer à 48".

La Compagnie I.O.C-Rio Tinto produit 16 millions de tonnes ; elle a annoncé des investissements qui porteront sa production à 26 millions de tonnes. Une étude de faisabilité est en cours, afin de produire 50 millions de tonnes avec des investissements à la clé. Il s’agit encore là de centaines de millions d’investissements. Enfin, Cliffs planifie porter sa production de 12 à 30 millions de tonnes. Voilà pour les joueurs établis. Plusieurs nouveaux joueurs ont des projets tout aussi ambitieux : New Millenium, Labrador Iron Mines, Adriana, Century, Alderon et également, dans le domaine de l’apatite la norvégienne Yara.

"Ces investissements sont propulsés par le prix du fer. Le prix historique du fer gravitait autour de 50-60 dollars US la tonne. Actuellement, il est grimpé autour de 150 $ à 160 $ et il est même monté à 180 $ à savoir trois fois la valeur historique. Les conditions au niveau du prix sont très avantageuses. D’autre part, il y a des besoins au niveau des grands aciéristes comme Arcelor-Mittal et Tata (projet New millenium). Les Chinois sont aussi de la partie : la Compagnie Wisco va investir dans la mine à ciel ouvert Kami dans la région de Fermont. Ces grands aciéristes veulent sécuriser leur approvisionnement parce que les prix sont dictés par les producteurs australiens et brésiliens. Ils veulent devenir plus intégrés, plus indépendants et plus autosuffisants".

"Nous vivons dans cette ébullition de projets et d’investissements. C’est une fenêtre d’opportunités pour Sept-Îles sur le plan du développement. Naturellement, ça pose des défis énormes. Le logement en est un important. Le taux de vacance est extrêmement bas. Mais, la grande pierre d’achoppement de tous ces projets, c’est principalement le problème des ressources humaines. Au-delà des investissements, comment peut-on s’assurer d’avoir les ressources humaines pour mener à bien ces projets? C’est là où nous avons un rôle à jouer comme établissement. La formation constitue un élément très important des défis en cause. Nous sommes énormément interpellés par cette question. Nous travaillons activement avec les entreprises. Nous le faisons depuis de nombreuses années et nous avons une très bonne histoire de partenariat avec nos entreprises. La preuve en est qu’elles investissent de façon significative dans le développement du Cégep. On a mené à terme un projet d’investissement inauguré en août dernier dans lequel les entreprises avaient investi un million de dollars. Aluminerie Alouette va s’impliquer dans un autre projet à la hauteur de 10 millions dans la construction d’un pavillon universitaire qui va être adjacent aux installations du collège. Ces partenariats témoignent que les entreprises sont conscientes du rôle important que nous devons jouer afin de les aider à résoudre le problème des ressources humaines, auquel elles font face. Si nous voulons rester en phase avec le développement économique de notre région, nous devons absolument augmenter, dans un premier temps, notre capacité physique, et nos capacités en ressources humaines dans un second. Il nous faut agrandir, nous doter de nouveaux bâtiments, de nouveaux équipements et donner accès à des ressources humaines capables d’appuyer ce développement ».

Une clientèle en augmentation

Si le Cégep a connu dans le passé des difficultés au niveau du recrutement des étudiants, les choses ont changé : « Nous sommes passés de 560 étudiants à 800. Nous comptons 200 étudiants à temps plein à la formation continue. Nous hébergeons de plus le Centre universitaire de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) où étudient environ 120 étudiants à temps plein ».

Comment se conjugue le Plan Nord pour Sept-Îles ?

« Le Plan Nord offre un encadrement à tous ces développements principalement au niveau des infrastructures. Le gouvernement est appelé à jouer un rôle important au niveau des infrastructures qui vont venir soutenir ces investissements. On pense aux voies ferrées. Pour les mines, c’est une infrastructure stratégique. Sauf pour le projet de mine d’apatite (phosphates pour fertilisants) à une vingtaine de kilomètres de Sept-Îles, les grands projets sont à 400 kilomètres au Nord et même davantage. Toute la logistique de transport ferroviaire prend dans ce sens une extrême importance. Ce qui nous démarque par rapport à d’autres régions minières comme l’Abitibi. Le gouvernement a un rôle à jouer à cet égard. Nous avons déjà deux lignes ferroviaires qui vont vers le Nord. Une à partir de Port-Cartier, l’autre à partir de Sept-Îles. Ces deux lignes ne pourront suffire avec tous les projets annoncés. Une troisième voie ferroviaire est envisagée qui irait jusqu’à Schefferville et possiblement jusqu’à Kuujjuaq afin de désenclaver un territoire encore plus grand. Le projet d’acheminement du gaz naturel jusqu’à Sept-Îles s’avère également de première importance".

"L’accès au gaz naturel permettrait d’attirer et maintenir les entreprises ici. Ce cadre va permettre que le développement se fasse de façon harmonieuse et dans un contexte de développement durable. En ce sens, le Plan Nord a une contribution significative à apporter. Sept-Îles est appelé à jouer un rôle stratégique dans le développement du Plan Nord, parce que situé à un carrefour de transport. Avant Sept-Îles, c’était le bout de la route; maintenant, c’est en train de devenir le cœur du Québec!... Les installations portuaires de Sept-Îles sont un outil majeur. Situé dans une immense baie, ce port en eaux profondes est en plein développement. Des investissements majeurs des dernières années, 250 millions réalisés et 250 millions à venir, permettent d’accueillir des minéraliers qui ont des tonnages de 240,000 tonnes. Avec les derniers investissements, on va pouvoir accueillir les plus gros minéraliers au monde, les « chinamax » avec des capacités de 360,000 à 400,000 tonnes. Nos installations portuaires sont un facteur d’attraction très important pour les grandes entreprises".

Une gamme de programmes en lien avec les besoins

Pour accompagner tous ces développements, le Cégep de Sept-Îles offre une gamme de programmes en lien avec les compétences en demande : « Nous avons une expertise importante dans tous nos programmes du secteur de l’industrie lourde. Nous offrons trois programmes : Maintenance industrielle, Électronique industrielle et Technologie minérale. Nous avons aussi des programmes apparentés en formation continue tel Traitement de minerai de fer et Chef de train offerts en attestation d’études collégiales (AEC). Dans ce dernier cas, nous utilisons beaucoup des simulateurs. Par ailleurs, nous comptons sur le concours du Centre collégial de transfert de technologie (CCTT) en maintenance industrielle, qui travaille sur plusieurs projets avec des entreprises de la région ».

"Nous sommes maintenant au centre du jeu"

Questionné sur la difficulté que rencontrent habituellement les collèges à recruter des candidats dans les programmes de technologie physique, Donald Bréher répond : « Il y a une notoriété qui se bâtit autour de Sept-Îles avec toutes les annonces d’investissement. La perception d’une ville aux frontières du Québec est en train de se modifier. Nous devenons un pôle important de développement pour le Québec. Nous sommes maintenant au centre du jeu. De plus en plus d’étudiants d'ailleurs veulent venir étudier ici. Les perspectives d’emploi extrêmement intéressantes y sont pour beaucoup. Nous avons le défi d’assurer leur hébergement dans un contexte serré à Sept-Îles. Un projet de résidences sera mené à terme dans les prochaines semaines, 36 unités de cinq pièces et demie qui vont nous permettre d’améliorer nos conditions d’accueil ».

"Il faut aussi être attentif aux besoins émergents dans le domaine social"

Un tel développement commande aussi des ressources dans d’autres domaines que les techniques physiques, « les besoins en soins infirmiers et en éducation à l’enfance sont énormes. Il faut aussi être attentif aux besoins émergents dans le domaine social. Tout le secteur des services est interpellé par ces développements. Il faut promouvoir un développement intelligent. En ce moment, les entreprises de services vivent des difficultés à recruter de la main-d’œuvre à cause de la montée des prix dans le logement. Ça nous amène à rechercher des solutions nouvelles en matière de la main d’œuvre. De plus en plus, nous faisons appel à l’immigration. Ce n’est pas nouveau pour Sept-Îles. Dans les années 60, l’immigration a constitué une solution à nos besoins de main-d’œuvre. À l’époque, les entreprises ont beaucoup recruté du côté du Portugal. C’est naturel pour Sept-Îles. Le peuplement s’est beaucoup fait de l’extérieur. Il n’y a pas de résistance de ce côté-là ».

Les partenariats avec les communautés des Premières Nations

Concernant les besoins de formation des différentes communautés des Premières Nations sur le territoire de la Côte-Nord, le directeur général du collège affirme qu’ils sont très fiers de leurs réalisations dans ce domaine : « ça fait près de 30 ans que nous oeuvrons en partenariat avec les différentes communautés innues. La communauté Uashat Mak Mani-Utenam est la plus près de Sept-Îles. Dès les années 80, nous avions fait le constat qu’il y avait trop peu d’étudiants provenant des communautés des Premières nations au collège. Nous avons travaillé avec les communautés pour trouver des solutions, pour bâtir des programmes. Au début, c’étaient des programmes adaptés. Avec le temps, les choses ont évolué tant du côté de l’enseignement régulier que de la formation continue. Nous avons démarré beaucoup d’AEC, une trentaine, spécialement pour les Innus. Jusqu’à tout récemment, les formations offertes étaient dans le domaine des services pour les besoins internes des communautés (éducation spécialisée, administration, comptabilité). Depuis deux ou trois ans, les perspectives d’emploi pour les communautés autochtones sont davantage à l’extérieur des communautés, notamment chez les grands employeurs miniers. Il s’agit maintenant de les former pour des emplois hors communauté. C’est d’autant important de le faire que dans le cadre des négociations avec les entreprises, ces communautés conviennent de quota d’embauche pour les différents projets. Encore faut-il que ces gens soient formés. Nous y travaillons avec les communautés pour les habiliter à travailler pour les entreprises minières.

"À titre d’exemple, nous avons lancé une formation comme chef de train pour les autochtones. Il y a une ligne ferroviaire entre Schefferville et Labrador City qui est exploitée par une entreprise autochtone, Transport Tshiuetin. Nous avons formé une quinzaine d’étudiants des Premières nations qui vont opérer les trains. Sur une base annuelle, nous avons environ 125 étudiants à temps plein autochtones au collège. Il y a très peu de collèges qui ont des interventions en partenariat qui durent depuis aussi longtemps. Nous entrevoyons maintenant des activités de recherche et de développement associées à leurs besoins ».

Le Collège attache une grande importance à la recherche

Le Collège attache une grande importance à la recherche. « L’an dernier, nous avons adopté un programme institutionnel de recherche avec 8 créneaux de recherche identifiés. Bien sûr, l’un porte sur la maintenance industrielle qui correspond à la mission de notre Centre collégial de transfert de technologie (CCTT) en maintenance industrielle. Mais nous ciblons aussi d’autres secteurs ».

Le Collège a aussi pris un virage international

Le Collège a aussi pris un virage international au tournant de l’année 2006. « Au départ, c’était lié à notre souci d’assurer la présence de plus d’étudiants dans plusieurs de nos programmes. Mais, ça nous a amenés ailleurs, notamment avec la Nouvelle-Calédonie. Depuis 2007, nous accueillons des étudiants ici à la fois dans les programmes de DEC et les programmes d’AEC. Nous sommes en train de mettre en place un centre de formation dans ce pays conjointement avec le Cégep de l’Abitibi. L’international nous interpelle de plus en plus, parce que les entreprises minières d’ici sont de grands joueurs internationaux. Elles nous invitent à offrir des formations ailleurs où elles ont d’autres installations. Il y a là une suite logique ».

"Il ne faut pas négliger notre rayonnement au niveau social, culturel et scientifique"

Donald Bhérer insiste sur le fait que la présence du Cégep ne se limite pas à l’industriel et à l'économique : « Il ne faut pas négliger notre rayonnement au niveau social, culturel et scientifique. Nous publions à titre d’exemple depuis cinq ans la revue « Littoral » qui est le fruit d’une équipe de recherche . Une revue de grande facture avec des collaborations d’universitaires. Cette revue s’est intéressée à ce qui s’est écrit sur la Côte-Nord au fil du temps. Quand on m’a présenté le projet au début, j’avais quelques doutes. J’ai posé une seule condition : qu’on en fasse une revue de prestige. Je suis allé voir les entreprises pour les convaincre de mettre l’épaule à la roue en accordant un support financier au projet. Cette publication a maintenant cinq ans. Il s’agit là d’une belle réalisation de notre collège dans le domaine culturel. Il faut se rappeler que les premiers écrits en Nouvelle-France sont les écrits de voyage des premiers explorateurs, on pense à Jacques Cartier qui est passé par ici".

"Nous nous intéressons au Nord non seulement sous l’angle du développement industriel, mais aussi culturel. En ce sens, nous sommes également soucieux du développement urbain. Sept-Îles jouit d’un paysage extraordinaire avec sa baie. Malheureusement, notre habitat bâti n’est pas à la hauteur. Il faut bonifier notre ville sous cet aspect. Nous y travaillons. On s’intéresse à ce qu’on appelle la gestion des paysages pour assurer que le développement de notre agglomération se fasse d’une manière intelligente et qu’on préserve la beauté des lieux. Nous regardons comment soutenir la réflexion dans ce sens et quelles interventions de recherche entreprendre. Ces éléments sont importants pour que le développement soit structurant et durable».

« En résumé : notre préoccupation, c’est de demeurer en phase avec le développement de notre région, de l’accompagner et quelque part, de soutenir le Plan Nord dans ses réalisations. On ne peut pas faire cela en restant les bras croisés. Il nous faut vraiment être dynamiques. Il nous faut aussi travailler à l’augmentation de nos capacités physiques d’accueil et au recrutement de ressources humaines. Ces défis mobilisent toute la communauté actuellement ».

Entrevue réalisée par M. Alain Lallier, le 20 avril 2012.






Infolettre Le Collégial

Soyez informés de l'actualité dans le réseau collégial. L'infolettre est publiée mensuellement de septembre à mai.

Je m'inscris