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Réinvestir pour réparer les pots cassés par l’austérité

 

 

Entretien avec Mme Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et des enseignants de CÉGEP (FEC-CSQ)

 

La FEC fête en 2018 son cinquantième anniversaire d’existence. Dès 1968 existait « la section des enseignants de cégeps » mais c’est en décembre 1969 que le nom de Fédération des enseignants de cégeps sera retenu. C’est le Syndicat des enseignantes et enseignants du Collège Bois-de-Boulogne qui est le doyen de la Fédération. Suivent Matane, Drummondville et Victoriaville, affiliés en 70, Sainte-Foy en 71, Lennoxville en 73 et Gérald-Godin en 2000. En 2009, se sont ajoutés six anciens syndicats de la Fédération autonome collégiale (FAC). La FEC compte actuellement 13 syndicats d’enseignantes et d’enseignants de collèges affiliés.

Une présence importante des cégeps de région colore le discours de la fédération
Dès le départ, la présence des cégeps de région était à la FEC une réalité prégnante. Cette caractéristique s’est accentuée avec l’intégration des cégeps auparavant affiliés à la FAC : (Sorel-Tracy, Rivière-du-Loup, Institut maritime du Québec, Rimouski, Gaspé et les Îles-de-la-Madeleine. « Cette présence colore notre réflexion sur la pérennité du réseau collégial » selon Lucie Piché. « Plusieurs de ces régions ont connu des baisses démographiques importantes, d’où notre préoccupation d’assurer la vitalité du réseau. L’enjeu demeure l’accessibilité à l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire du Québec. Par ailleurs, tous les indicateurs démontrent que les cégeps sont également un moteur culturel et socio-économique pour les régions. Ce serait donc une erreur de penser que c’est uniquement le téléenseignement qui sauvera les régions. La qualité de la relation pédagogique joue un rôle prépondérant dans la formation. Les études ont également démontré comment la présence d’un établissement collégial dans une région pouvait favoriser l’accessibilité aux études supérieures notamment pour les étudiants de première génération. L’existence d’un établissement collégial à proximité de chez toi devient un facteur facilitant que ce soit pour préparer à une profession ou pour accéder à l’université. Plus récemment, un lien a même été établi entre cette présence et la réussite des études au secondaire ! »

Comment comprendre cette incessante remise en question du réseau ?
Après 50 ans d’existence, comment comprendre la remise en question quasi constante de ce réseau qui a pourtant fait ses preuves ? Lucie Piché peine à comprendre les études comme celle de Cirano publiée au début de l’année. « Les études démontrent clairement que le réseau collégial favorise une plus grande persévérance en raison de son accessibilité sur l’ensemble du territoire. Attaque-t-on le réseau par souci de conformisme, par fascination pour le modèle anglo-saxon ? J’ai de la difficulté à comprendre. Nous avons réagi aux conclusions de Cirano qui montraient du doigt les études collégiales pour expliquer la différence de taux de diplomation au baccalauréat entre le Québec et le reste du Canada, notamment l’Ontario, alors que de nombreux facteurs autres que l’existence du réseau collégial expliquent les taux de diplomation différenciés et que d’autres études ont montré l’intérêt de notre modèle. Pourquoi alors remettre en question les cégeps alors que, dans un même temps, d’autres pays s’inspirent de ce qui se fait dans le réseau collégial? ».

Le problème de la précarité
Lucie Piché affirme que près de 45 % des enseignants et enseignantes à la formation régulière des cégeps ont un statut de précaire [51 % avec les profs de la formation continue] et que le système de financement en place pérennise la situation. Elle donne l’exemple du cours de méthodologie obligatoire dans le curriculum en sciences humaines. « Sauf pour quelques rares cégeps, ça ne compte pas dans la comptabilisation des ETC qui octroient la permanence. Ça fait donc en sorte que des enseignantes, des enseignants qui donnent des cours dans leur discipline, mais aussi en méthodologie, restent longtemps précaires, même s’ils travaillent à temps plein. Dans mon cas, il m’a fallu attendre dix ans avant d’avoir ma permanence. Et pourtant, dès le départ, j’ai continuellement enseigné à temps plein. Il existe des écueils dans la gestion de la convention collective qui font en sorte que des profs se retrouvent précaires, et ce, à long terme. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il y a un risque certain de rencontrer des difficultés de recrutement d’une relève, entre autres dans le domaine de la santé. D’autant que le privé est en mesure d’offrir des conditions de travail intéressantes. »

Réinvestir pour réparer les pots cassés par l’austérité
Dans le cadre de la révision de la formule de financement des cégeps [FABES] en cours, la FEC a pris position pour qu’on réinvestisse dans le réseau collégial « pour réparer les pots cassés par les politiques d’austérité ». Dans son mémoire, elle insiste sur l’importance de stabiliser le financement accordé aux cégeps afin de réduire la précarité du personnel et pour mieux soutenir le travail enseignant en finançant adéquatement le perfectionnement, la coordination des stages, l’adaptation aux nouvelles technologies et les nouvelles mesures de soutien aux étudiantes et aux étudiants. Lucie Piché précise que l’austérité a fait mal. « On a réinvesti dans des programmes très ciblés, mais on n’a pas réparé les pots cassés, en particulier pour le service aux étudiantes et étudiants durement touché durant les dernières années. S’il y a moins de professionnels et de personnels de soutien, les étudiantes et les étudiants sont moins bien soutenus, ce qui alourdit la tâche d’enseignement. »

Des stages mal financés
Au cours des dernières années, les stages ont explosé, notamment dans les techniques, mais également au préuniversitaire. De plus en plus d’étudiants vont en stage. « Les budgets n’ont à peu près pas bougé. La coordination, le repérage, le suivi, l’encadrement de ces stages se font dans les mêmes conditions financières que celles des années 2000. Ce qui cause un problème. C’est toujours la même tarte que l’on se sépare. Autre dimension : il y a des milieux de stage qui exigent des ratios plus bas. En soins infirmiers notamment où on impose un maximum de trois stagiaires dans certaines spécialités comme en santé mentale, alors que les règles de financement en prévoient six. Il faut alors multiplier le nombre de personnes responsables de cet encadrement sans l’argent requis. La coordination de ces stages est mal financée. »

Des budgets insuffisants pour le perfectionnement des enseignants 
Les sommes allouées au perfectionnement des enseignants ont également très peu bougé au fil des ans. Au début des années 2000, un programme de bourses du gouvernement fédéral avait permis d’ajouter des sommes pour appuyer les activités de perfectionnement. Ce programme est disparu. Les besoins eux ont augmenté. « Les programmes à forte teneur technologique commandent beaucoup de perfectionnement. Là aussi les budgets sont restés les mêmes. Les besoins sont criants. On parle de la révolution numérique. Encore faut-il nous donner les moyens d’y participer. Actuellement, les profs de cégep se perfectionnent souvent le samedi, les fins de semaine ou durant l’été pour s’approprier de nouveaux logiciels. Ils se perfectionnent donc sur leur propre temps sans recevoir les dégagements pour le faire. »

Le défi de répondre à de nouvelles populations étudiantes
Lucie Piché conclut l’entretien en soulignant qu’au cours des dernières années, on constate l’arrivée d’un nombre important d’étudiants en situation de handicap qui ont des besoins particuliers sur le plan du soutien. « Certains de nos cégeps accueillent par ailleurs une population autochtone sans avoir les moyens d’attractivité et de rétention pour assurer leur réussite. La situation est similaire pour les étudiantes et étudiants étrangers qui n’ont pas été «socialisés» dans le réseau scolaire québécois, pour les adultes qui retournent aux études, etc. Les populations étudiantes changent, il faut avoir les moyens de les soutenir. »

Crédit photo: François Beauregard.


Dossier préparé par Alain Lallier, éditeur en chef. Portail du réseau collégial.






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