Nouvelles

« Il est temps de dépoussiérer la formation générale au cégep! »

La Fédération étudiante collégiale du Québec réclame un chantier pour actualiser les cours de littérature française et de philosophie au cégep. L’idée est de motiver davantage les jeunes et d'améliorer du même coup la qualité de leur français.

Un livre de Platon, déposé sur un bureau.

La Fédération étudiante collégiale du Québec réclame un chantier pour actualiser les cours de littérature française et de philosophie au cégep.

Photo : Radio-Canada / Janic Tremblay

Fannie Bussières McNicoll

Antoine Dervieux a choisi le cégep anglophone Champlain College Saint-Lambert pour son parcours collégial. Il désirait parfaire son anglais, oui, mais un autre facteur l’a influencé. « Il y avait une grande diversité sur le plan des choix de cours de base, en littérature et en philosophie notamment », confie-t-il.

Le jeune homme de 19 ans se passionne pour la politique. Au cégep en philosophie, il a par exemple pu opter pour un cours sur le militantisme dans lequel il en a appris beaucoup sur des figures comme Martin Luther King ou encore Desmond Tutu.

Et en littérature anglaise, un autre cours « de base », un éventail d’options en matière de genres littéraires et de thèmes s’offrent à lui. Ça me permet d’ouvrir les portes sur ce que je veux faire plus tard. Et de m’enrichir sur ce qui m’intéresse vraiment, explique Antoine.

Il trouve dommage que le cursus du réseau francophone en formation générale soit beaucoup plus rigide. C’est déplorable qu’on impose encore les mêmes cours à tout le monde sachant qu’on a tous des intérêts différents, des manières d’apprendre différentes et des objectifs différents.

Un jeune homme lit un texte devant l'Assemblée nationale du Québec lors d'une simulation parlementaire.

Antoine Dervieux a pris part au dernier Parlement étudiant du Québec. Il est passionné par la politique et se voit un jour siéger à l'Assemblée nationale.

Photo : Étienne Ravary

« J’ai l’impression qu’on cultive l’obligation d’étudier un sujet. Je préférerais qu’on cultive plutôt la passion pour l’étude d’un sujet. »

— Une citation de  Antoine Dervieux, étudiant au collège Champlain Saint-Lambert

Un chantier de la formation générale réclamé

La Fédération étudiante collégiale (FECQ) affirme que beaucoup d’étudiants comme Antoine ont boudé le réseau francophone en raison du manque d’attractivité de sa formation générale.

C’est pour cette raison qu’elle lance aujourd’hui une campagne afin de réclamer un véritable chantier de modernisation de la formation générale au cégep, regroupant les cours de tronc commun que tous les étudiants doivent suivre en littérature française, philosophie, éducation physique et anglais.

Un tel exercice n’a pas été fait depuis 1993 et il est temps de dépoussiérer la formation générale au cégep, soutient Maya Labrosse, la présidente de la FECQ

.

Des étudiants au regard triste regardent un gâteau d'anniversaire.

Cela fait 30 ans que la formule actuelle de la formation générale au cégep n’a pas été révisée. Il s’agit d’un anniversaire bien triste, selon la FECQ.

Photo : Fédération étudiante collégiale du Québec

Si la représentante étudiante croit toujours en la pertinence de ces cours de base, elle est d’avis qu’il est urgent de les revaloriser et de les actualiser. Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle plus flexible des cégeps anglophones, se demande-t-elle, et offrir des cours sur la littérature féministe ou encore autochtone, par exemple?

Voilà une piste intéressante, selon Youri Blanchet, enseignant au cégep depuis 27 ans et président de la Fédération de l’enseignement collégial. Il confirme que les devis ministériels imposés dans le réseau francophone permettent moins de latitude et de flexibilité que ceux du réseau anglophone.

« On ne peut pas faire l’autruche et se mettre la tête dans le sable. On doit voir comment on pourrait aller chercher les bons coups dans les collèges anglophones pour les intégrer dans nos pratiques. »

— Une citation de  Youri Blanchet, président de la Fédération de l’enseignement collégial

Un chantier pour actualiser la formation générale n'est pas une mauvaise idée, estime Nancy Quessy, enseignante en littérature française au cégep depuis plus de 20 ans. Repenser la formation générale me donnerait de l’air frais. Il pourrait être intéressant d'explorer la possibilité de laisser plus de liberté dans le type de texte attendu, par exemple.

C’est sûr que la forme des devis actuels m'impose certaines contraintes comme enseignante et que j'aimerais avoir plus de latitude, convient-elle. Elle tient toutefois à souligner que les professeurs ne se tournent pas les pouces. On essaie constamment de se réinventer, de mettre à jour nos plans de cours, de revoir nos approches pédagogiques, de proposer des textes qui vont intéresser les étudiants.

Yves de Repentigny, de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ), estime lui aussi qu’une réflexion concertée autour d’un renouveau de la formation générale serait intéressante. Mais attention, s’inquiète-t-il, si on commence à multiplier le contenu des cours et les préparations de cours, est-ce que ça va être pris en considération dans notre charge de travail?

Des données publiées par la Fédération des cégeps en 2021 indiquent que les étudiants suivant le cursus collégial francophone échouent davantage leur premier cours de littérature et de philosophie que ceux évoluant dans le réseau anglophone. Un autre sondage réalisé la même année par la firme Léger conclut que  53 % des étudiants trouvent la formation générale au cégep pas intéressante.

Pour nous, c’est un reflet important de ce qui se passe quant au manque de motivation des étudiants dans le réseau francophone, explique Maya Labrosse. Le but, c’est que la formation générale ne soit pas un frein à la réussite des études collégiales.

En profiter pour améliorer la qualité du français écrit

La Fédération étudiante collégiale estime qu’un chantier sur la formation générale serait une occasion parfaite pour discuter de manières de contrer les sérieuses lacunes des jeunes en français écrit.

Elle suggère notamment le développement d’un test diagnostic en français au début du cursus qui permettrait de repérer plus rapidement les étudiants qui bénéficieraient alors de l’aide personnalisée offerte dans les centres d’aide en français (CAF). Elle propose aussi d'inclure dans les cours de littérature des rappels de notions de français.

Cette dernière idée fait sursauter Yves de Repentigny, qui estime que ce n’est pas le rôle des enseignants de français au collégial. On a l’impression, parfois, que toute la responsabilité est mise sur les épaules des enseignants de français au collégial, alors que la réussite dans les cours de français, ça se prépare tout au long du parcours scolaire de l’élève, dès la maternelle, souligne-t-il.

Où est le rapport sur la qualité du français en enseignement supérieur?

Tous les intervenants consultés se rejoignent au moins sur une question. Afin d’avoir des pistes de solutions pour améliorer la qualité du français des étudiants au cégep, il serait bien utile de savoir ce que contient le rapport du groupe de travail sur la maîtrise du français aux études supérieures.

Pascale Déry lors de son assermentation.

La ministre de l'Enseignement supérieur, Pascale Déry, n'a toujours pas rendu public le rapport sur la qualité du français des étudiants au cégep.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Ce document a été déposé il y a plus d’un an à la ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, Danielle McCann, mais il n’a toujours pas été rendu public.

Youri Blanchet et Yves de Repentigny, tout comme Maya Labrosse, aimeraient bien savoir ce que contient ce rapport. Nous le demandons et l’attendons avec impatience, lance le premier.

« Ça nous rend extrêmement suspicieux. Qu’est-ce qu’il y a de si explosif dans ce rapport-là pour qu’il demeure caché? »

— Une citation de  Yves de Repentigny, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec

C’est incohérent de recevoir un rapport et de ne pas le rendre public, renchérit Maya Labrosse.

Radio-Canada avait formulé à l’été 2022 une demande d’accès à l’information afin d’obtenir un exemplaire de ce rapport, mais celle-ci a été refusée. Selon les motifs invoqués, il s’agissait de documents du cabinet du ministre ou produits pour son compte et les processus décisionnels [concernant les avis et recommandations qu’ils contiennent] [n’étaient] pas complétés.

L'attaché de presse de la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, indique que celle-ci a l’intention de le rendre public prochainement, mais qu’aucune date n’a pour le moment été fixée.

En réaction à la demande de la FECQ de lancer un chantier sur la formation générale, la ministre Pascale Déry répond qu'un groupe de travail composé d'enseignants et de conseillers pédagogiques a déjà été mandaté pour se pencher sur les enjeux liés à la réussite de certains cours à l'enseignement collégial. Nous attendrons les conclusions [de leur] rapport, dont le dépôt est prévu à l’été 2023, avant de nous prononcer, écrit-elle.

À lire et écouter :

3 mars 2013