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À la défense de la culture générale en éducation

Un texte d'Élise Prioleau, rédactrice au Portail du réseau collégial

À la suite d’un rapport de recherche sur l’état de la culture générale au collégial et d’une dizaine d’années d’études sur le sujet, Florian Péloquin fait le bilan dans son Plaidoyer pour la culture générale au cégep. Une recherche qui fait état d’un système éducatif qui valorise trop peu ce « bagage de connaissances qui enrichit notre expérience humaine ». Entretien avec un grand humaniste.

 

Florian Péloquin

« Il existe aujourd’hui dans la francophonie un nombre aussi grand de définitions de la notion de culture générale que d’auteurs qui s’y intéressent. Dans le contexte, il était nécessaire d’en proposer une définition pour poser les jalons d’une base commune », explique Florian Péloquin. Pour moi, écrit-il, la culture générale est un « réseau de connaissances que l’individu s’est construit à partir de ce qui est digne d’être retenu dans les arts et les lettres, dans les savoirs scientifiques et techniques et parmi les événements d’hier et d’aujourd’hui ».

Pour Florian Péloquin, la culture générale est avant tout un« réseau de connaissances organisées », insiste l’auteur. « Si l’on pense que la culture générale se résume à connaître une série de faits disparates pour briller en société, alors on passe à côté de son objectif essentiel qui est de nous permettre de mieux organiser notre pensée, de faire des liens entre les connaissances acquises et d’en comprendre le contexte. »

Essentielle au développement de la pensée, du jugement et de l’esprit critique, éminemment utile à la vie de tout citoyen en société, la culture générale serait toutefois trop peu valorisée dans le système éducatif québécois depuis une trentaine d’années, déplore Florian Péloquin.

Le Renouveau pédagogique, une « fausse route »
Dans les années 1990 au Québec, le monde de l’éducation a vu ses programmes éducatifs ainsi que la formation donnée aux enseignants subir de profondes transformations. Dès lors, « on a axé la constitution des programmes sur l’idée de compétence plutôt que celle de connaissance générale », relate Florian Péloquin, qui a suivi à l’époque plusieurs formations pour mieux comprendre la nouvelle approche. « Les formateurs mettaient de l’avant les habiletés à acquérir par les étudiants en évacuant la notion de connaissance générale et donc de culture générale », déplore l’ex-enseignant.

Dans la foulée du renouveau pédagogique, la définition de la culture générale s’est élargie, observe Florian Péloquin. Aujourd’hui dans le monde de l’éducation, la culture générale est généralement associée non seulement à des connaissances générales, mais aussi à des habiletés intellectuelles, des attitudes ou encore des expériences de vie. « Pour moi, la culture générale est essentiellement un bagage de connaissances », définit l’auteur qui considère qu’une définition plurielle risque de « diluer ce qu’est fondamentalement la culture générale ». Par la suite, « en allant dans cette voie-là, chacun développe sa propre définition et il n’y a plus de vision commune de ce qu’est la culture générale », observe Florian Péloquin au terme d’interviews menées auprès d’enseignants du niveau collégial. « Cela pourrait constituer un obstacle pour renforcer de manière cohérente et organisée cette culture dans la formation des jeunes », remarque-t-il.

La culture générale, au fondement des cégeps
Dans les années 1960 et dans la foulée du rapport Parent (1961), le réseau collégial a été fondé dans une perspective de démocratisation de la culture générale. « À l’époque, les cégeps étaient la réunion des collèges classiques et des instituts techniques, relate Florian Péloquin. Ce qui était révolutionnaire, c’était de donner aux étudiants de tous les programmes des cours généraux qui leur permettaient d’acquérir une culture personnelle. » C’est ainsi que les étudiants des programmes techniques ont eu accès aux cours de littérature et de philosophie, tout comme leurs collègues des programmes préuniversitaires.

Lors de la création des cégeps, de nouvelles œuvres ont été incluses dans la définition de ce qu’était la culture générale, explique l’ex-enseignant de philosophie. La définition classique de la culture générale comme connaissance du latin, du grec, de la littérature et de l’histoire s’est élargie pour y inclure notamment des œuvres contemporaines et des connaissances rattachées aux autres cultures, explique Florian Péloquin. « À la création des cégeps, on a mis davantage l’accent sur la culture sociologique, historique et scientifique. À l’époque, je crois que ça a été une redéfinition pertinente de ce qu’est la culture générale », considère l’auteur. 

La culture générale intégrée aux programmes
Au Québec, les programmes collégiaux ne prévoient pas de notions précises à acquérir par les étudiants des cégeps en ce qui concerne la culture générale, contrairement à des pays comme la France qui va jusqu’à examiner les étudiants sur leur culture personnelle et qui publie un manuel de préparation à la culture générale pour ses étudiants.

Au Québec, un tel programme éducatif structuré autour de la culture générale n’existe pas, déplore Florian Péloquin. Au Québec, les professeurs incluent eux-mêmes dans leurs cours les notions culturelles qu’ils jugent essentielles, tel qu’observé au cours d’interviews menées auprès d’enseignants et d’enseignantes des cégeps. « Or, souvent, ils manquent de temps pour transmettre la culture générale de manière satisfaisante à leurs étudiants, car ils doivent suivre un programme. »

Pour remédier à cette lacune, l’ex-enseignant considère que « repenser les programmes de façon à y inclure des éléments de culture générale obligatoires permettrait d’obtenir de meilleurs résultats en termes de culture générale chez les étudiants ». Par exemple, dans un cours de physique, le programme pourrait inclure des notions d’histoire de la physique. « Il faut augmenter la place de la culture générale dans le curriculum collégial », résume-t-il, en ajoutant que « ce serait un pas dans la bonne direction que d’ajouter un cours d’histoire dans le tronc commun au collégial ».

L’importance de la passation de la culture générale

« Je pense que c’est impossible que ça tombe dans l’oubli », réfléchit Florian Péloquin, lorsque nous évoquons la menace du recul, voire de l’abolition des matières générales comme la philosophie et la littérature au cégep. « Ces connaissances sont liées à la nature humaine. Les humains ont de tout temps cherché à comprendre qui ils sont et où ils vont. En se posant ces questions-là, ils vont invariablement revenir à une profondeur historique, une connaissance de l’être humain en terme scientifique, philosophique ou social. »

Selon les aléas de l’histoire, ces questions universelles ont occupé plus ou moins de place dans la société, évoque l’ex-enseignant. Aujourd’hui, dans une société de loisirs et de consommation comme la nôtre, la culture générale et sa transmission accusent un recul. Or, elle est toujours présente, affirme-t-il. « Qu’elle soit transmise à travers l’oralité, les livres ou encore l’Internet, elle est le pôle vers lequel retournent toujours les êtres humains en quête de réponses », évoque l’auteur, confiant pour la suite du monde.

« C’est très important de faire en sorte que la culture générale soit toujours présente, et particulièrement au niveau de la formation des jeunes, car c’est précisément là que se joue tout l’enjeu de la transmission intergénérationnelle de la culture », plaide Florian Péloquin. Un « fonds culturel commun » qui nous donne individuellement et collectivement une « marge plus large de liberté » et qui, à n’en pas douter, nous enracine dans ce « quelque chose » d’immatériel et d’universel qui nous appartient à tous et toutes.






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