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Une population étudiante et enseignante déjà éreintée?

Par Alain Lallier


Entretien avec Yves de Repentigny, vice-président responsable du regroupement cégep de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN)

Dans un communiqué de la FNEEQ publié alors que la session d’automne était à peine entamée, Yves de Repentigny affirmait : « Force est de constater, quelques semaines à peine après le début des cours, que nous sommes déjà éreintés, ce qui semble être aussi le cas de plusieurs étudiantes et étudiants. Ces signes nous inquiètent et nous font craindre une détresse psychologique plus grande chez le personnel enseignant et la population étudiante. » Le Portail s’entretient avec lui de la situation.

Une charge de travail augmentée
Pour expliquer un tel constat, Yves de Repentigny rappelle que les professeures et les professeur sont fait de gros efforts au printemps. Ils ont dû réorganiser la session en catastrophe et offrir tous les cours à distance. Selon lui, la charge mentale a dû être plus importante cet été lorsque les enseignantes et les enseignants se sont affairés à préparer la prochaine session dans un contexte rempli d’incertitude. « Cet automne, il arrive plusieurs choses : d’un point de vue psychologique, il y a toute l’incertitude qui pèse sur les différents scénarios qui pourraient survenir advenant un reconfinement. En ce qui concerne la charge de travail, des études démontrent qu’un encadrement de qualité devrait se limiter à une quinzaine d’étudiantes et d’étudiants lorsque l’on enseigne sur des plateformes comme ZOOM ou TEAMS. Nous sommes bien conscients qu’il s’agit là d’un idéal un peu utopique. Cependant, nous constatons que, pour l’enseignement en mode non présentiel, les directions locales ont formé de très gros groupes. Alors que la capacité physique des locaux d’un cégep limite les groupes à 30 ou 40 personnes, sur ZOOM, on s’est permis d’en ajouter un peu plus. En ce qui a trait aux cours en présence, pour les laboratoires ou pour favoriser l’accueil des nouveaux étudiants et des nouvelles étudiantes tout en respectant les règles de distanciation physique, on a fait des groupes plus petits. Par exemple, un groupe de 30 étudiantes et étudiants a pu être scindé en deux groupes de 15, ce qui a ajouté à la charge du professeur sans pour autant le soulager d’autres éléments de sa tâche », explique Yves de Repentigny.

Les besoins d’encadrement explosent
Les professeures et les professeurs constatent que l’enseignement en mode non présentiel implique beaucoup plus d’encadrement hors classe. « À distance, les distractions sont beaucoup plus grandes pour les étudiantes et les étudiants. Devant un ordinateur, c’est facile de céder à la tentation et d’aller faire autre chose. C’est beaucoup plus dur aussi pour l’enseignante ou l’enseignant d’observer le non-verbal ou le paraverbal des étudiantes et étudiants, qui leur indiquent s’ils ont compris ou non. En classe, on voit sur leur visage s’ils ont compris. Dans ZOOM, nous ne voyons pas toute la classe sur un même écran, et plusieurs étudiantes et étudiants suivent le cours sans caméra. Beaucoup perdent le fil et ont besoin d’aide par la suite. Et les besoins d’encadrement explosent. Un collègue du Cégep Garneau témoignait qu’au début de la session il recevait quotidiennement de 30 à 40 courriels auxquels il devait répondre. »

La coupe est pleine ou presque
Dans ce nouvel environnement d’enseignement, l’évaluation des apprentissages demande aussi plus de temps. En dépit de tous les nouveaux outils pour la correction par ordinateur, l’évaluation est beaucoup plus exigeante et complexe. Le cumul de ces situations explique l’appel au secours des enseignantes et des enseignants, ce qui fait dire à Yves de Repentigny que « la coupe est pleine. En fait, elle n’est pas complètement pleine encore. Toutefois, les professeures et les professeurs disent qu’ils se sentent comme au début décembre. Leur réserve d’énergie est déjà très basse. Ils anticipent déjà les examens et la mi-session. Nous recevons beaucoup de signaux de détresse. »

Des solutions?
Yves de Repentigny rappelle que les conditions d’apprentissage des étudiantes et des étudiants vont de pair avec les conditions d’enseignement du personnel enseignant. Elles sont intimement liées. Il avance comme solution aux problèmes évoqués précédemment l’idée de libérer quelqu’un qui viendrait donner un coup de main à ses collègues  pour encadrer les étudiantes et les étudiants. Dans le cas des groupes scindés en deux, on pourrait faire appel aux enseignantes et enseignants non permanents à temps partiel pour venir prêter main-forte à leurs collègues travaillant à temps plein.

« Trop peu, trop tard »
Pour tenir compte des contraintes en temps de pandémie, le ministère de l’Enseignement supérieur a ajouté deux annexes budgétaires (S119 et S120) afin d’appuyer les collèges. Ces sommes peuvent servir à combler plusieurs besoins : pour avoir des groupes de tailles plus restreintes en classe, pour de l’encadrement de la part de professeures ou de professeurs, pour l’installation de plexiglas dans les locaux, pour l’achat de produits désinfectants, pour l’engagement d’un conseiller ou d’une conseillère en technopédagogie, pour du personnel de soutien additionnel, etc. « Compte tenu des besoins, les budgets alloués sont selon nous insuffisants. Et nous ne sentons pas qu’ils se rendent jusque dans les classes. Nous comprenons que les cégeps sont à faire des choix. Les représentantes et les représentants des collèges affirment même qu’ils ont dépensé 60 millions de dollars et qu’ils n’en ont reçu que 19 millions. C’est clair que les établissements se sentent coincés et doivent prendre des décisions déchirantes. Ils vont chercher l’argent là où ils le peuvent. Quand nous affirmons “trop peu, trop tard”, c’est que les cégeps débordent de besoins à combler, notamment dans les classes, mais ils ont dû faire des choix compte tenu des sommes mises à leur disposition. Cela dit, ces choix ne sont pas ceux que nous aurions faits. Par ailleurs, la session d’automne ayant été planifiée en mai et juin, ces ressources additionnelles sont arrivées trop tard. »

Le défi de concilier famille et travail
Donner des cours à distance à partir de la maison comporte ses aléas, en particulier pour la conciliation travail-famille. La crainte qui habite les enseignantes et les enseignants, c’est le reconfinement total, incluant les écoles primaires et secondaires et, par conséquent, de devoir s’occuper des enfants pendant les heures d’enseignement. Il faut aussi tenir compte d’un problème technologique : s’il y a présence d’étudiantes ou d’étudiants de niveau postsecondaire à la maison, l’utilisation de la bande passante peut devenir problématique. « Si vous êtes à la maison et que vous enseignez sur ZOOM, que votre mari ou votre femme effectue également du télétravail et que vos deux adolescents tentent en même temps de suivre des cours en ligne, votre connexion Internet risque d’être saturée. Et c’est sans compter sur les diverses pannes qui surviennent régulièrement, notamment avec Omnivox. »

Le problème de l’usage d’une multiplicité de plateformes par la population étudiante
Interrogé sur les problèmes causés par l’usage de plusieurs plateformes par les enseignantes et les enseignants, Yves de Repentigny confirme que ceux-ci ont été soulevés aux tables de concertation entre les partenaires. Selon lui, la solution relève des départements et des programmes, qui pourraient s’efforcer d’utiliser les mêmes plateformes. Pour les cours en ligne, un appel a été lancé par les directions en ce sens. « C’est fastidieux pour les étudiantes et les étudiants de gérer autant de mots de passe et d’apprivoiser le fonctionnement d’autant de plateformes. Chaque produit a ses propres subtilités. La liberté pédagogique des enseignantes et des enseignants s’avère d’une grande importance à nos yeux, mais il faut prêter l’oreille à cet appel des étudiantes et des étudiants », conclut Yves de Repentigny.






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