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La relève enseignante dans les collèges - Trois portraits (2)

Dossier préparé par Alain Lallier, éditeur en chef, Portail du réseau collégial

Nous savons que les enseignantes et les enseignants du collégial sont nombreux à prendre leur retraite au cours des présentes années. D’autres prennent la relève dans les collèges. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui les amène ou les motive à enseigner au cégep ? Quelles impressions dégagent-ils de leurs premières expériences d’enseignement ? Quels défis relèvent-ils et comment composent-ils avec la précarité d’emploi ?

Dans notre Infolettre no.79, nous avons déjà publié trois portraits, en voici trois autres.

 - Mme Kate Blais, enseignante en philosophie au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue.

- Mme Sara Trottier, enseignante en électrophysiologie médicale au Cégep de Lévis-Lauzon.

- Mme Ariane Bédard, enseignante en Technologie de radiodiagnostic au Collège Ahuntsic


Kate Blais, enseignante en philosophie au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue

"L’enseignement, c’est fait pour moi"
Kate Blais avoue qu’il n’était pas prévu qu’elle enseigne au cégep. « J’ai toujours voulu faire un métier qui implique une relation significative et pédagogique avec les autres. L’enseignement en fait partie. Mon engagement au cégep est arrivé comme par hasard : un poste se libérait, j’ai postulé et l’ai obtenu. Mais, je réalise que l’enseignement, c’est fait pour moi. Quand j’étais enfant, on me mettait dans le corridor avec les élèves en difficultés et je leur enseignais la matière. J’ai hésité longtemps entre le travail social et l’enseignement ; les deux impliquant une relation pédagogique. Je suis finalement revenu dans ma région d’origine : je voulais un retour à mes racines abitibiennes, après être longtemps parti en ville ».

De la toxicomanie à la philosophie
Cette enseignante a d’abord fait un certificat en toxicomanie. Durant ces cours, elle a commencé à se poser des questions touchant la liberté, le déterminisme. « J’avais beaucoup de questions. Je voulais des réponses. Évidemment, je suis sortie de mes études en philo avec plus de questions que de réponses… Mais, c’est ce que j’aime! Après mes études en toxicomanie, je me suis inscrite d’abord au certificat en philosophie. Je ne pensais pas faire de longues études, mais j’ai eu la piqûre ». Elle a complété un baccalauréat et une maîtrise en philosophie à l’Université Laval. Elle terminera son mémoire de maîtrise durant le prochain été. Ces recherches ont porté sur la philosophie du langage. Plus particulièrement sur les conditions de possibilité de compréhension des énoncés métaphoriques. On est ici dans le domaine de la philosophie analytique, un courant plutôt contemporain.

Une belle préparation au cégep
Kate Blais a fait son cégep à Amos, sa ville natale. Elle considère avoir reçu l’éducation et les connaissances parfaites pour entrer à l’université. « Nous avions des profs extraordinaires, assez exigeants pour que nous puissions nous débrouiller très bien à l’université. J’ai adoré mes cours de philo. L’homme qui m’a donné la piqûre pour la réflexion critique, Sergei Zharskikh, est un de mes collègues maintenant ».

Approfondir sa réflexion sur la relation pédagogique
Avant d’enseigner, elle n’a pas suivi de cours de pédagogie à l’université. Elle croit que dans sa formation en toxicomanie, elle a eu l’occasion de travailler la relation thérapeutique, mais également la relation pédagogique en intervention sociale. « J’ai eu la chance dans un cours d’avoir un prof qui avait aussi une maîtrise en philosophie. J’ai eu l’occasion d’approfondir ma réflexion sur la relation pédagogique ce qui m’a beaucoup aidé à bâtir et à développer la relation que j’ai actuellement avec mes étudiants, mais aussi de gérer des situations problématiques… Plusieurs étudiants ont des difficultés dans leur vie personnelle, et se confient à moi. »

Ses premières impressions
Kate Blais termine en mai sa première année d’enseignement. Ses premières impressions ? « J’aime beaucoup ça. C’est vraiment ma place ! J’ai réalisé beaucoup de projets en un an. Je suis intense. Je bouge beaucoup. J’essaie de faire vivre la philo au cégep. Pour l’instant, j’ai fondé un club de philo avec ma collègue, Claude Lacasse, qui fonctionne vraiment bien. Nous ne faisons pas de la philo seulement dans les cours ; nous en faisons aussi en dehors. Pour moi, c’est ça l’enseignement au collégial. Ce n’est pas seulement ce qui se passe en classe. La philosophie pour moi, c’est quelque chose qui se vit, au quotidien. Comme dirait ma collègue Claude, c’est aussi une expérience de soi… la philosophie permet de s’expérimenter soi-même comme sujet. C’est ce qu’on vit avec les étudiants qui fréquentent le club. »

Comment vendre la philo aux étudiants ?
Est-ce que c’est difficile de vendre l’importance de la philosophie aux étudiants ? Kate avoue que c’est difficile, parce qu’au départ, les étudiants arrivent avec beaucoup de préjugés véhiculés par les parents ou les amis, dans le style, « c’est la pire chose qui va t’arriver dans toute ta vie ». Quant à elle, ça se passe très bien. « Je travaille à faire réaliser aux étudiants l’importance de la réflexion critique, l’importance de ne pas être un robot ou une machine. C’est une profonde remise en question qui est une forme de liberté. Quand les étudiants comprennent cela, ils trouvent ça intéressant. Pour certains, ce n’est pas leur cours préféré, mais ils sortent du cours en pensant que c’est pertinent dans leur vie ».

« La qualité première pour philosopher, c’est l’humilité ».
Kate est jeune. Nous lui avons demandé comment réagissaient les étudiants face à une enseignante qui pourrait être facilement leur sœur. Elle nous répond qu’elle n’est pas le genre de professeur à établir une relation autoritaire avec les étudiants.  « Je ne suis pas le genre de professeur qui entretient une relation autoritaire avec les étudiants.  Ils me respectent beaucoup et le fait que je sois jeune, que je m’intéresse à la philo facilite la relation. Je suis humble devant la classe ce qui les aide à être ouverts à la matière. La qualité première pour philosopher, c’est l’humilité. Si nous ne sommes pas humbles, nous ne pouvons pas philosopher. Le fait que je sois jeune nous permet de mieux cheminer ensemble. J’expérimente la philosophie en même temps qu’eux. Je leur fais une place dans cette expérimentation que je considère très vivante. J’assume mon autorité, mais je n’ai pas eu besoin de leur dire pour qu’ils le comprennent ou le réalisent ».

Ses défis
Son principal défi comme nouvelle enseignante se rapporte à la planification des cours. « Le cours de philosophie 101, le premier de la séquence, est très difficile à enseigner. Le nombre d’exercices à préparer pour les étudiants pose également un défi. « Par-delà ces compétences, ce que je veux vraiment faire, c’est de faire vivre la philo. Je dois bien sûr assurer l’acquisition des connaissances, mais tout en privilégiant des méthodes pédagogiques qui la rendent plus vivante. C’est là mon plus grand défi ».

Après une année d’enseignement très active et épuisante, Kate Blais envisage l’avenir avec enthousiasme. Elle ne craint pas vraiment pour sa sécurité d’emploi puisque plusieurs autres enseignants ont été engagés après elle. « Il n’y a pas eu un seul moment au cours de cette année où j’ai remis en question ce choix d’enseigner au cégep ! »


Sara Trottier, enseignante en électrophysiologie médicale au Cégep de Lévis-Lauzon

L’électrophysiologie médicale (EPM) est une technique qui s’intéresse plus particulièrement à l’activité électrique du corps humain. Cela touche différents champs : cérébrale, cardiaque, neuromusculaire, potentiels évoqués, l’étude des troubles du sommeil et bien d’autres encore.  Les technologues effectuent des examens afin que les médecins spécialistes puissent les interpréter et ainsi établir un diagnostic ou orienter le traitement. Les technologues travaillent principalement dans le domaine hospitalier et de plus en plus dans certaines cliniques privées. Sara Trottier a débuté sa carrière d’enseignement à l’automne 2014. Le programme d’électrophysiologie médicale a débuté au Cégep Lévis-Lauzon à l’automne 2013 avec 2 enseignantes et une technologue de laboratoire. Le département compte maintenant 7 enseignants, dont une, à temps partiel ainsi qu’une technicienne de laboratoire.

Une enseignante dans l’âme
Sara Trottier s’est intéressée à l’enseignement dès l’âge de 16 ans en coachant des élèves du secondaire au basketball, et ce pendant 10 ans. Dans le milieu hospitalier, elle a côtoyé plusieurs stagiaires et aimait interagir avec eux. À l’ouverture du programme, elle a obtenu un poste dès la deuxième année d’implantation.

Une expérience de travail déterminante
Elle complète son DEC dans la spécialité au Collège Ahuntsic et acquis de l’expérience dans le domaine et poursuivi des études en psychoéducation. Elle considère que c’est son expérience en milieu de travail qui fut déterminante pour son embauche. Aujourd’hui, elle mise maintenant sur les cours de Performa pour mieux répondre aux exigences pédagogiques de l’emploi.

Un passage au cégep marqué par le travail de groupe
Elle retient de son passage au cégep le volume d’études et les nombreuses évaluations. « J’ai été frappé par l’entraide entre les étudiants. Je me souviens être restée au cégep avec un petit groupe d’études. À l’époque, j’étais intimidée à l’idée de poser des questions aux professeurs alors d’y répondre avec les autres étudiants me permettait de compléter mon étude ».

Un contexte d’implantation d’un nouveau programme
Ses premières impressions comme enseignante sont teintées par le contexte de son arrivée dans le département qui débutait. « Nous étions tous nouveau dans l’enseignement et nous n’avions pas de matériel concret à notre arrivée. Nous avons dû travailler très fort en équipe entre professeurs, conseillers pédagogiques, direction des études et les professeurs des disciplines contributives à notre programme. Si les gens ont souvent des préjugés sur le travail des profs de cégep, l’expérience au quotidien démontre l’importante implication de tous les enseignants pour favoriser la réussite des étudiants ».

Différence entre le milieu hospitalier et le milieu de l’enseignement
Quand Sara compare son travail d’enseignante et de technologue en milieu hospitalier, elle note un intérêt commun : le bien-être des patients. « Il faut que le patient se sente bien, en sécurité et pris en charge. En tant qu’enseignante, je veux que mes étudiants aient également cet intérêt à cœur. Pour moi, c’est le patient avant tout. Il ne s’agit pas seulement de passer un examen pour ensuite passer au suivant. Maintenant, en tant qu’enseignante, ma préoccupation première, c’est l’étudiant.  Les encadrer dans leurs apprentissages afin qu’ils deviennent des professionnels compétents. De plus, en 2013, nous avons intégré l’ordre professionnel et je trouve important de m’impliquer au sein de l’organisation. Cela amène tranquillement des changements et il faut être actif dans le milieu pour en être conscient et bien préparer les futurs technologues ».

Le défi de trouver l’équilibre
Le plus gros défi pour Sara, c’est de trouver l’équilibre. « À l’hôpital, quand arrive l’heure de quitter et qu’il reste du travail, on ne l’amène pas à la maison. Ça se termine en heures supplémentaires ou des collègues prennent la relève. En enseignement, il n’y a pas de limites à ce qu’on peut faire. Je trouve parfois difficile de concilier travail-famille car je veux fournir les meilleurs outils possibles à mes étudiants. Entre la préparation de cours, l’encadrement des étudiants, la mise à jour des avancées de la recherche médicale mais aussi celles concernant la pédagogique, les heures se multiplient et les priorités sont difficiles à déterminer. En plus de garder l’œil ouvert sur ce qui se passe réellement dans la pratique, sur le terrain dans les hôpitaux ».

La précarité
Contrairement à plusieurs autres enseignantes débutantes dans le réseau, le problème de la précarité ne se pose pas pour elle. Figurant parmi les premières personnes engagées dans le programme, elle a travaillé trois ans pour obtenir sa permanence. Elle avoue que c’était une préoccupation pour elle avant. « Quand au Collège Ahuntsic on affichait un poste pour remplacer une enseignante en congé pour une session, je me demandais si ça valait la peine de quitter mon emploi pour moins d’un an. Qu’est-ce que je ferai après ?»

Le choix de l’enseignement
Si aujourd’hui on offrait à Sara Trottier le choix de retourner en milieu hospitalier plutôt que d’enseigner, elle opterait pour l’enseignement. « Je n’ai pas quitté par manque de passion, j’aime le milieu hospitalier. Le contact patient, le travail d’équipe, la relation d’aide aux usagers sont des aspects qui me manquent au quotidien mais l’enseignement répond aux besoins de dépassement, de curiosité et de créativité ».
Elle termine l’entretien en soulignant le partage et l’ouverture des étudiants. « Le lien avec les étudiants est un aspect non-négligeable du métier. Ils nous poussent à être encore meilleurs. Parfois, leurs initiatives sont au-delà du cadre établi et c’est émouvant de les voir s’investir dans leurs projets. Je pense entre autres au programme d’Entraide universitaire du Canada (EUMC) qui organise l’accueil d’étudiants réfugiés grâce à un système de parrainage par des étudiants d’ici. À compter de l’automne prochain, le cégep de Lévis-Lauzon se joindra au programme grâce à une étudiante qui s’est relevée les manches pour y parvenir. »



Ariane Bédard, enseignante en Technologie de radiodiagnostic au Collège Ahuntsic

La formation en Technologie de radiodiagnostic enseigne à effectuer les examens d’imagerie médicale comme la mammographie, l’ostéodensitométrie, la radiologie conventionnelle, la radiologie d’intervention, la résonance magnétique, la tomodensitométrie et l’échographie.

Bien avant même de commencer à enseigner dans ce domaine, Ariane Bédard avoue avoir toujours eu un intérêt pour l’enseignement. « Quand j’étais toute petite, je m’amusais à jouer à l’école. J’ai commencé dans le métier comme technicienne des travaux pratiques et j’ai ensuite postulé sur un poste d’enseignement. »

Un pied à l’hôpital, un pied au cégep
Après ses études au Collège Ahuntsic, elle est engagée à l’Hôpital Sainte-Justine. Elle complète par la suite un baccalauréat en enseignement professionnel et technique à l’UQAM et une maîtrise avec Performa après avoir suivi les cours du MIPEC et du diplôme d’enseignement. Elle conserve toujours un pied dans le milieu hospitalier à Sainte-Justine depuis 2012 en ajustant sa disponibilité au cégep en fonction de son horaire à l’hôpital où elle assume le rôle de coordonnatrice et d’institutrice clinique. Cette année, elle n’a que 50 % de tâche au cégep et complète son horaire avec son travail à Sainte-Justine. « Cette présence dans le milieu du travail me permet d’apporter plusieurs situations réelles dans mon enseignement. »

Une formation avec un apprentissage progressif
Ariane Bédard conserve de son expérience d’étudiante au cégep une superbe expérience où elle a beaucoup travaillé. Elle a particulièrement aimé avoir 2 ans d’études au collège et une année complète en centre hospitalier. « Ce mode d’apprentissage permet de vraiment appliquer la théorie et les techniques auprès des patients. Je n’avais pas l’impression d’être à l’école. Elle garde le souvenir d’un apprentissage progressif qui prépare bien à l’examen de l’ordre des technologues. »

Le défi de comprendre les règles du réseau collégial
À ses débuts comme enseignante, elle constate l’ampleur de la tâche. Monter du matériel pédagogique et des exercices pratiques n’est pas simple. «  À nos débuts, nous héritons des tâches non réclamées. Nous nous retrouvons de ce fait avec 3 préparations différentes et de nombreuses situations d’adaptation. De plus, je ne pensais pas qu’il serait aussi compliqué d’intégrer la dynamique pédagogique du réseau collégial à savoir : les compétences, le devis ministériel, les politiques d’apprentissage… J’ai appris tout ça grâce à Performa. »

S’adapter à des étudiants avec des difficultés d’apprentissage
Parmi ses défis comme enseignante, elle souligne les difficultés d’apprentissage. « Il y a de plus en plus d’étudiants qui arrivent avec des difficultés d’apprentissage. Il nous faut apprendre à composer avec cette complexe réalité. L’apprentissage est différent pour chacun. Quelqu’un qui est dans un cours de théorie et qui ne peut rester assis plus de deux minutes, c’est difficile à régler (gérer) comme enseignant. La motivation demeure toujours un défi pour les étudiants. À cet égard, Performa nous aide à développer les stratégies requises. »

"En quelques années, c’est incroyable comme tout a changé"

Par sa présence régulière en milieu hospitalier, Ariane Bédard est à même de jauger l’évolution du milieu au cours des dernières années et de mesurer l’impact majeur des changements et des compressions. Depuis 2012, elle constate d’énormes différences. « Il y a beaucoup moins de technologues sur le plancher. C’est difficile de former la relève. Les technologues n’ont pas toujours le temps requis de disponibilité aux étudiants parce qu’ils ont trop de patients. Dès notre entrée dans un hôpital maintenant, tout le monde court; tout le monde est occupé. En quelques années, c’est incroyable comme tout a changé. Comme institutrice clinique, je dois venir aider les technologues qui sont débordés. Il faut s’adapter à cette nouvelle réalité. »

Et la précarité ?
Le fait de devoir travailler dans deux milieux en même temps génère-t-il un sentiment d’insécurité ? Ariane explique que le fait qu’elle ne soit pas la dernière sur la liste de rappel à l’hôpital lui donne une certaine assurance de travail. Elle peut en fonction de ses tâches d’enseignement choisir ses plages de disponibilité à l’hôpital. Elle avoue cependant qu’il faut être très organisé et qu’elle a tendance à beaucoup travailler étant donné qu’elle doit annoncer ses disponibilités trois mois d’avance à l’hôpital. Il est difficile de changer en cours de route pour des possibilités au cégep. « On ne peut pas vivre avec le salaire d’une demi-tâche », avoue-t-elle. Alors de session en session, elle s’adapte en fonction des tâches qui lui sont proposées en enseignement.






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