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Quand de futurs enseignants de collège réfléchissent à la bienveillance et au "caring"

Une contribution de M. Robert Howe,  consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Mots clés : bienveillance ; attitudes; relation profs-étudiants; "caring"

Nous savons tous que l’aide à l’apprentissage implique la mise en œuvre de méthodes, techniques ou approches pédagogiques qui relèvent de ce qu’on convient d’appeler des « bonnes pratiques ». Mais nous savons aussi que l’efficacité de ces bonnes pratiques pédagogiques dépend, en amont, d’attitudes appropriées à l’égard de nos étudiants. À l’université Laval,  c’est ce qu’a voulu explorer la professeure Marie-Claude Bernard[i] lorsqu’elle a tenu avec ses étudiants, aspirants profs de cégeps, un forum de pratique réflexive sur les attitudes des enseignants envers les étudiants au collégial. Dans le cadre de son cours "Intervention pédagogique au collégial" (programme de diplôme d’études supérieures spécialisées en enseignement collégial (DESS)), Mme Bernard a dirigé récemment une discussion sur la bienveillance qui devrait présider à la relation des profs de l’enseignement collégial à l’égard de leurs étudiants. À l’invitation de Mme Bernard, j’ai eu le privilège de participer à ce forum fort animé.

Des références préalables

Tout le groupe d’étudiants de Mme Bernard avait étudié au préalable certains documents-source qui ont alimenté la réflexion, notamment Cifali (2012) et Prairat (2016). Ces documents très riches sont, comme bien d’autres, porteurs de réflexion sur l’éthique et la déontologie enseignante. En plus de ces textes européens, les étudiants de Mme Bernard avaient étudié deux textes que nous avons proposés, ici même sur le Portail du réseau collégial, concernant l’attitude narcissique de certains enseignants (Howe, 2017, a et b). Ces deux textes, fort lus apparemment, sont inspirés des travaux d’Andrée Condamin[ii].

Un forum bien vivant

Les étudiants de Mme Bernard ont vite montré qu’ils sont très conscients des enjeux éthiques de leur future profession d’enseignants au collégial. Dès le début du forum, la première question a porté sur les pièges qui pourraient guetter l’enseignant novice. Au-delà du caractère anxiogène du trac que les gens des métiers de l’humain partagent avec les gens des métiers des arts, les enseignants peuvent-ils trouver à se prémunir d’une attitude narcissique? « Et si, fier de mon diplôme spécialisé dans la discipline que j’enseigne, je faisais preuve d’une attitude de distance, de condescendance à l’égard de mes étudiants, si je me montrais narcissique, comment traverserais-je le miroir de mon égo? »  Les étudiants voyaient bien la polarisation entre le narcissisme et la bienveillance. Mais le concept de bienveillance n’est-il pas plutôt ringard, en enseignement supérieur? Pas du tout, affirme la professeure Bernard. Au contraire, affirme-t-elle, il est même adéquat de parler de caring : prendre soin de l’autre. La pédagogie empreinte du « care » (notion de bienveillance) est tout à fait pertinente, tant au collégial qu’à l’université. Loin d’être ringarde, la réflexion sur la bienveillance et sur le caring a pris un certain essor en éducation depuis quelques années déjà.

Des attitudes pour soutenir

Le psychologue Benjamin Bloom nous disait en 1971 que tout le monde peut apprendre, mais à la condition qu’on les aide. C’est de ça qu’on parle en évoquant le caring. Bien entendu, Bloom ne nous parlait pas de bienveillance, dans son célèbre Handbook ; il nous parlait d’une approche pédagogique qu’il  baptisait (c’était le début historique) « évaluation formative ». Il introduisait ainsi dans la salle de classe ce concept d’évaluation formative en se fondant sur la même question qui a été posée plus récemment : « Moi j’enseigne, mais eux, apprennent-ils? » (Saint-Onge, 2014).

C’est dans cet esprit que Prairat (op cit) rappelle que la sollicitude, appelée aussi « bienveillance », consiste à prendre soin d’autrui. En amont des techniques ou approches pédagogiques, l’enseignant est un aide à la réussite, un assistant de l’apprentissage. La posture nécessaire à ce rôle n’est pas celle du narcissique (venez me rejoindre sur mon piédestal). Au contraire, l’attitude utile et pertinente est celle qui dit « je suis à votre service; je vais vous aider à apprendre; je suis là pour vous, pas pour moi ».

C’est d’ailleurs dans cette posture qu’un des participants à ce forum a proposé que l’humilité serait une contrepartie au narcissisme. Sur ce point, cher lecteur, vous partagerez mon admiration à entendre un jeune homme dans la vingtaine réfléchir à une posture d’humilité chez l’enseignant.

J’ai été très touché de voir ce groupe d’étudiants, notre relève, conscients et préoccupés de savoir si eux-mêmes seraient à risque de manifester une attitude narcissique.  Tous ont manifesté une conscience des enjeux éthiques dans la relation des enseignants à l’égard des étudiants. C’est ici que l’enseignante, Mme Bernard, a mis en valeur explicitement les vertus de sollicitude, de bienveillance, de caring, ces attitudes par lesquelles le professionnel en éducation prendra soin d’autrui dans une veille consciente des besoins de l’autre. La notion de tact est venue enrichir cette réflexion. Si certains pourraient associer le tact à l’admonestation de savoir se taire quand il le faut, Prairat (op cit) nous dit que c’est beaucoup plus large que ça. Le tact, c’est avoir l’intelligence des situations. D’une simple habileté relationnelle, le tact va plus loin. On y manifeste une sensibilité à autrui, un souci de la relation qui s’exprimera, notamment, par des propos, des paroles qui sont marquées d’un souci éthique important.

Une relation, pour servir

Si, dans ce forum, Mme Bernard a convié ses étudiants à développer une pratique réflexive et éthique dans le métier enseignant, les propos de ses étudiants m’ont clairement démontré que ceux-ci sont conscients que le développement professionnel dans la relation avec les étudiants est aussi nécessaire que le développement professionnel dans la discipline enseignée.

Par le présent billet, je salue l’initiative de la professeure Bernard. Et j’ai voulu témoigner du fil conducteur de son forum, à savoir que la bienveillance a sa place en enseignement supérieur. Ces étudiants, une trentaine je crois, ont démontré – et cela m’encourage - une magnifique conscience du rôle des attitudes des enseignants du collégial dans un contexte d’apprentissage, de persévérance scolaire, de réussite. Ces étudiants – et je les admire pour cela – sont conscients de l’enjeu principal de leur future profession, c'est-à-dire : servir.

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Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca

 

Références

Bloom, Benjamin S., J.T. Hastings et G.F. Madaus (1971). Handbook on Formative and Summative Evaluation of Student Learning, New York, McGraw-Hill. Pages 44-45. (Disponible au Centre de documentation collégiale (CDC), sous la cote 718022)

 

Cifali, Mireille. (2012) Éthique et éducation: L’enseignement, une profession de l’humain. Interacções. No. 21, pp. 13-27. Disponible sur http://revistas.rcaap.pt/interaccoes/article/view/1519 .

 

Howe, Robert. (2017 a). http://lescegeps.com/pedagogie/approches_pedagogiques/la_traversee_narcissique_chez_certains_enseignants .

 

Howe, Robert (2017 b). http://lescegeps.com/pedagogie/approches_pedagogiques/ainsi_il_y_aurait_dautres_julien_une_suite_a_lhypothese_dune_traversee_narcissique_chez_certains_enseignants_ .

 

Prairat, Eirick. (2016). http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/pages/2016/10/21102016article636126294982195968.aspx

 

 

Saint-Onge; Michel. Moi j'enseigne, mais eux apprennent-ils ? 5e éd. Chronique sociale éd. 2014. 123 pages.  Inspiré de Svinicki, M., « It Ain’t Necessarily So: Uncovering Some Assumptions About Learners and Lectures », dans To Improve the Academy : Resources for  Student, Faculty and Instructional Development. The Professional and Organizational Development Network in Higher Education), 1985.

 



Notes

[i]         Marie-Claude Bernard est professeure agrégée, Faculté des Sciences de l'éducation, Département d'études sur l'enseignement et l'apprentissage. Université Laval. Elle est chercheure au Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) et directrice du programme de DESS en enseignement collégial.

 






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