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Soudoyer les étudiants pour qu’ils étudient?

Par M. Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

L’observation 

Cette session, dans un cours de Calcul différentiel et intégral, un enseignant soumet ses étudiants à des quiz. Ceux-ci portent sur des problèmes semblables à ceux qui seront à l’examen plus tard. Il prescrit à ses étudiants de faire ces problèmes « à la maison » avant le cours suivant, lors duquel il vérifiera qui aura ou n’aura pas fait le quiz avant le cours. À raison, cet enseignant encadre l’étude de ses étudiants. Sous l’appellation de quiz, il leur prescrit des exercices à faire afin de leur permettre d’intégrer les notions et les protocoles appris en classe de maths. Anciennement, on appelait ça des devoirs à faire à la maison.

Citant une synthèse de recherches sur l’apprentissage explicite (Rosenshine, 1986[1]), Saint-Onge[2] rappelait qu’il est de bonne pratique pédagogique de compléter les exposés en classe d’exercices pratiques, tantôt supervisés (en classe), tantôt autonomes (« à la maison »). Ces exercices à la maison sont aussi connus sous l’expression d’étude, de travaux. Jusqu’ici, notre prof de maths a des pratiques pédagogiques appropriées : il fait étudier, il fait travailler.

Gestion de classe

Toutefois, et c’est là que je me questionne, cet enseignant accorde un point à ce quiz. Ce point compte pour la note finale au bulletin. L’enjeu est simple : les problèmes contenus dans le quiz sont « semblables à ceux qui seront à l’examen ». Les étudiants comprennent vite que, s’ils font ces problèmes – exercices, ils augmentent les probabilités de réussir l’examen. Au-delà de la pratique pédagogique de faire faire des exercices d’intégration, cet enseignant gère l’étude en donnant un incitatif payant : il leur accorde un point sur cent s’ils font cet exercice dans l’échéance prescrite. Au sens large, il fait de la gestion de classe. Il y aura dix quiz de cette sorte dans la session.

Le paradoxe, le dilemme

L’étudiant qui me rapporte cette pratique me dit qu’il ferait l’exercice même si un point n’y était pas rattaché, pas nécessairement dans l’intervalle prescrit par le prof (« avant le prochain cours »), mais assurément avant l’examen. Par exemple, ici, le cours de maths se donne sur deux fois deux heures dans la semaine. Dans la gestion de son temps, cet étudiant voudrait bien faire les exercices prescrits (les quiz), mais la fin de semaine suivante, « pas nécessairement cette semaine, alors qu’on a d’autres travaux qui pressent… ». Mais il les fera, juste parce que ça compte pour un point. Cette pratique a quelque chose de pervers. Le prof, dans sa bonne volonté de faire réussir ses étudiants, les soudoie pour qu’ils étudient entre chaque cours. Cet étudiant, motivé et studieux, dit que l’enseignant les tient par la main. La plupart des étudiants de sa classe feraient les exercices quand-même, sans qu’un point leur soit attaché. Selon lui, seuls les « faibles » ou les « pas motivés » font leurs « devoirs » juste pour gagner un point.

D’autres enseignants présument aussi que les étudiants ne feront pas les travaux autonomes, l’étude « à la maison » si ça ne compte pas pour une note. Cette croyance ressort encore dans les ateliers de perfectionnement sur l’évaluation formative. Ce prof-ci, aussi compétent et aussi professionnel soit-il, vit une situation paradoxale.

Alors que la PIEA de son collège est explicite sur l’interdiction de polluer la note avec des variables autres que la confirmation que les objectifs d’apprentissage sont atteints, ce prof ajoute à la note finale les 10 points des quiz de la session. Ceux-ci signifient que les étudiants ont étudié, qu’ils ont fait des exercices d’intégration, bref, qu’ils ont participé au processus d’apprentissage, en amont de la démonstration qu’ils auront appris. La note finale de ce prof, sur 100 points, est donc composée d’un cocktail de « ils ont appris » et de « ils ont travaillé ou étudié pour apprendre ». Si on présume que les motivés de la classe auraient fait ces quiz-exercices sans qu’un point leur soit attaché, il reste que leur note, comme celle des plus faibles de la classe ou des moins disciplinés ou moins motivés sera une note hybride. Supposons que l’étudiant aura, disons, un 87% au bulletin pour son cours de maths cette session. Cette note signifiera qu’il aura atteint les objectifs du cours à hauteur de 77% et qu’il aura fait de l’étude (les quiz-exercices) pour 10%. Donc, une note polluée d’une variable qui n’est pas en lien avec les apprentissages certifiés (on parle ici d’évaluation certificative).

Quelles valeurs ce prof encourage-t-il ici? Si nous pensions à son rôle d’éducateur plutôt qu’à son rôle de prof de maths, peut-on dire que cet enseignant participe à éduquer les étudiants (les futurs citoyens) en monnayant l’étude, l’effort? À travailler sur rémunération? Quel est le message de cette carotte d’un point par quiz-exercice? Le paradoxe est évident : les étudiants de ce prof sont des citoyens majeurs. Ils ont droit de vote, ils ont un permis de conduire et probablement une voiture, ils ont probablement tous un cellulaire valant plus cher que le mien, ils ont une vie économique certaine. Certains sont déjà en appartement et font leur épicerie eux-mêmes. Pourtant cet enseignant présume qu’ils ne feront pas les exercices autonomes (« à la maison ») s’il ne les soudoie pas avec un point sur cent pour qu’ils se responsabilisent face à leur cours de maths. Si ce prof de l’enseignement supérieur se voit comme un éducateur alors qu’il a cette pratique de donner des points pour faire étudier, comment vit-il ce dilemme entre des valeurs à encourager et son besoin de favoriser ses statistiques de réussite dans son cours?

Ces valeurs sont-elles conciliables? Mais, au fait, les profs de l’enseignement supérieur sont-ils aussi des éducateurs? Qu’en pensez-vous?

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Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca

 



[1] Rosenshine, B. V.  Synthesis of Research on Explicit Teaching. Educational Leadership.

Vol. 43, no.7, avril 1986, p. 60-69.

[2] Saint-Onge, Michel. Moi j’enseigne, mais eux apprennent-ils? Pédagogie collégiale. 13 Octobre 1987 Vol. 1 no. 1 p 13 à 15

 






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