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Quand je corrige un examen, est-ce que je corrige, vraiment?

 

Dans la série Le sens des mots de l’éducation.

Un texte de M. Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

 

Toute profession a sa culture et son vocabulaire propre. Souvent, des mots s’y intègrent et s’y  incrustent, plus par commodité que par sens.

C’est, pour moi, toujours amusant d’entendre un enseignant dire qu’il s’en va corriger ses examens. En fait, s’il a une tâche de quatre groupes, il me dit qu’il va se taper une centaine de copies d’examens ou de dissertations de 600 mots. Mais les corrige-t-il vraiment? Il va attribuer une note suite à l’exercice de son jugement professionnel sur les traces[1] de la compétence en devenir. Au mieux, cet enseignant va écrire des commentaires dans la marge, va suggérer des correctifs à l’étudiant ou surligner les erreurs. Mais il ne corrige pas. Corriger un examen, c’est utiliser une expression commode pour dire autre chose.

Tous les enseignants « corrigent » des examens. Selon Morissette (1993)[2], le processus, classique, consiste à comparer la réponse de l’étudiant à une réponse idéale ou correcte que l’enseignant aura préalablement prévue dans un « corrigé » ou un barème de correction. De là, l’enseignant assigne un symbole numérique ou alphabétique, prévu au « corrigé », pour indiquer son jugement quant au degré de similitude ou de différence entre la réponse donnée et celle qui est attendue.

Pourtant, l’acception usuelle du verbe « corriger »  a un sens différent. Le dictionnaire Robert, notamment, nous dit que l’on corrige lorsqu’on rectifie quelque chose. Selon le dictionnaire, corriger c’est amender, redresser, réformer, reprendre, améliorer, etc. Et, quoique le même dictionnaire (le Petit Robert) nous dit qu’un correcteur relève les fautes de quelque chose en vue de donner une note, il est très intéressant de remarquer que le Dictionnaire Actuel de l’Éducation[3] ne contient aucune entrée à « correction d’examen» ni au verbe « corriger ».

Ainsi,  lorsqu’on corrige un examen, on ne corrige pas vraiment, au sens usuel de « rectifier ». En évaluation sommative, on donne une note qui ira au bulletin, on va peut-être commenter les réponses des étudiants, mais on ne corrige pas, on ne redresse pas. En évaluation formative, on ne corrige pas non plus. On va assurément commenter le travail de l’étudiant, rétroagir verbalement ou par écrit, suggérer des correctifs (sinon ce n’est pas de l’évaluation formative), mais on ne rectifie pas. En évaluation formative, on demandera à l’étudiant de faire les rectifications appropriées, à moins que l’on le félicite pour lui dire qu’il est en voie d’atteindre l’objectif d’apprentissage. Mais on ne corrige pas à la place de l’étudiant.

Par culture, par habitude, par commodité, le monde de la pédagogie aura consacré l’expression « corriger un examen » pour signifier un processus qui semble orphelin d’une expression plus adéquate. Peut-être parce que ce processus consiste à comparer la réponse de l’étudiant à une réponse « correcte » prévue au … « corrigé », au barème de … correction.

Le sens des mots glisse parfois. De la liste des réponses correctes qu’un enseignant prévoit dans son « corrigé », on verra apparaître les concepts de « clé de correction » ou « barème de correction » ou « barème de notation » pour signifier cette liste des « bonnes » réponses attendues et à partir de laquelle on fera la distribution des points. Tout naturellement, l’enseignant utilisera son « corrigé » pour déterminer le nombre de « bonnes » réponses de ses étudiants. De là, il … corrige ses examens.

On va continuer à « corriger » nos examens et à le dire ainsi, par habitude, par culture professionnelle. L’important, au fond, c’est qu’on sache ce qu’on dit et, surtout, ce qu’on ne dit pas. Et d’ici à ce qu’on trouve une expression plus juste du point de vue du sens, eh bien, allons corriger les copies de nos étudiants….

 

Rédacteur : Robert Howe, consultant en pédagogie de l'enseignement supérieur, spécialiste en évaluation.

Tout commentaire ou suggestion de votre part sera bienvenu. Vous pouvez adresser vos commentaires à howerobert@sympatico.ca


RÉFÉRENCES

[1]   Voir comment ce concept de « traces » est utilisé dans le cadre de la discussion sur le jugement professionnel en évaluation, notamment chez les auteurs suivants :

·        Scallon, G. (2004). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Saint-Laurent : Éditions du renouveau pédagogique. 342 pages.

·        Leroux, J.L.et  L. Bélair. Chapitre 2.  Exercer son Jugement professionnel en enseignement supérieur. Dans Leroux J.L., dir., Évaluer les compétences au collégial et à l’université : un guide pratique. Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) et Chenelière Éducation. 2015.

 

[2]  Morissette, Dominique. Les examens de rendement scolaire. Presses de l’université Laval. 1993. Pages  275 – 282.

[3]  Legendre, R. Dictionnaire Actuel de l’Éducation, deuxième édition. Guérin éditeur. 2005.

 






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