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CartoJeunes : un outil au service de la gouvernance scolaire au collégial

Par Michaël Gaudreault et Isabelle Morin


 

 
Michaël Gaudreault ,enseignant-chercheur à ÉCOBES – Recherche et transfert du Cégep de Jonquière, Isabelle Morin, chargée de projet à la Chaire UQAC–Cégep de Jonquière sur les conditions de vie, la santé et les aspirations des jeunes (VISAJ)

 

Le 7 avril dernier, dans le cadre du 12e colloque du Carrefour de la réussite au collégial, Michaël Gaudreault présentait la plateforme CartoJeunes. Devant l’intérêt soulevé par cet outil, il est apparu incontournable d’en faire profiter l’ensemble de la communauté collégiale.

D’importantes disparités territoriales dans les parcours scolaires des cégépiens québécois

Au Québec, une minorité (33 %) des étudiants ayant commencé leurs études à l’automne 2010 ont obtenu leur diplôme d’études collégiales (DEC) au terme de la durée prévue, ce qui constitue un recul de 3 points de pourcentage par rapport au taux (36 %) de la cohorte de 1998. Mais le Québec n’est pas un bloc monolithique, bien loin de là. Cette proportion varie considérablement d’une région à l’autre, allant de 26 % dans les Laurentides jusqu’à 40 % au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Lorsqu’on détaille le taux d’obtention d’un DEC au terme de la durée prévue pour les étudiants de la cohorte de 2010 selon le genre et le type de formation, des inégalités spatiales sont encore visibles. Les plus marquées sont observables chez les étudiants masculins inscrits dans un programme préuniversitaire. Le taux d’obtention du DEC au terme de la durée prévue diffère dans ce cas de 31 points de pourcentage, s’étendant de 20 % dans la région de Laval à 51 % dans celle de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (voir la figure 1). On remarque également que des groupes de régions limitrophes présentent des similitudes quant à leur taux de diplomation.

Le taux d’obtention d’un DEC deux ans après la durée prévue du programme s’avère être un autre intéressant indicateur des parcours scolaires au collégial. Quatre ans après être entrés au cégep (ou cinq selon le type de formation), c’est cette fois la majorité (63 %) des collégiens de la plus récente cohorte disponible pour cet indicateur (2008) qui ont un DEC en main, une légère hausse de 1 point de pourcentage par rapport à la cohorte de 1998. Cette hausse, combinée à la baisse du taux d’obtention du DEC au terme de la durée prévue, confirme la tendance actuelle pressentie de l’allongement des études collégiales. Dans le cas du taux d’obtention du DEC deux ans après la durée prévue, les différences entre les régions québécoises sont également marquées, la proportion de diplômés variant alors de 55 % en Outaouais à 67 % dans la Capitale-Nationale. Il est intéressant de souligner que, contrairement à l’indicateur précédent, Laval se classe relativement bien en ce qui a trait à la diplomation deux ans après la durée prévue, avec un taux de 62 %, suite à une impressionnante hausse de 15 points de pourcentage comparativement à la cohorte de 1998.

Une observation approfondie des données du taux d’obtention du DEC deux ans après la durée prévue pour la cohorte de 2008 permet de constater que l’écart le plus important entre les régions du Québec se trouve cette fois chez les filles inscrites dans une formation technique. Elles obtiennent leur diplôme dans une proportion qui varie de 47 % sur la Côte-Nord à 72 % dans la Capitale-Nationale, un écart notable de 24 points de pourcentage.

Les écarts régionaux entre le taux de diplomation des garçons et celui des filles (voir la figure 2) sont également très importants alors qu’ils se situent entre 12 et 23 points de pourcentage, les écarts les plus faibles étant observés dans des régions très urbaines (Montréal, Montérégie) et les plus importants, dans des régions périphériques (Saguenay–Lac-Saint-Jean, Bas-Saint-Laurent). Cette situation est par ailleurs analogue à celle qui prévaut au secondaire alors que la diplomation après 7 ans au secondaire des filles surpasse de plus de 10 points de pourcentage celle des garçons.

Figure 2. Taux d’obtention d’un diplôme d’études collégiales deux ans après la durée prévue du programme initial selon les régions administratives du Québec, cohorte de 2008, tous programmes de DEC confondus

   

Source des données : Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur
Production : Chaire VISAJ, en collaboration avec ÉCOBES – Recherche et transfert, dans le cadre du projet CartoJeunes

Cette courte analyse des données du collégial réalisée grâce à la plateforme CartoJeunes montre qu’il existe d’importantes disparités de réussite scolaire au collégial entre les régions du Québec peu importent les indicateurs étudiés et les déclinaisons de genre et de type de formation considérées. Elle souligne également que la distribution spatiale de ces disparités varie selon l’indicateur et la déclinaison sélectionnés, les régions les plus performantes ou les plus en difficulté n’étant pas systématiquement les mêmes d’un indicateur à l’autre. Ces constats confirment l’importance de poursuivre deux chantiers en matière de persévérance et de réussite scolaires :
⦁ l’élaboration de solutions adaptées aux spécificités et au contexte particulier de chaque territoire;
⦁ la recherche portant sur les facteurs territoriaux de persévérance et de réussite scolaires.
La plateforme CartoJeunes été développée en appui à ces deux chantiers.

Soutenir l’action des communautés

Plateforme Web de cartographie interactive disponible à tous sur cartojeunes.ca, CartoJeunes permet d'interroger un vaste entrepôt de données sur les jeunes québécois. Elle offre à l’internaute la possibilité de représenter, à l’aide de centaines de milliers de cartes, de tableaux et de graphiques, de nombreux indicateurs démographiques, culturels, socioéconomiques et scolaires selon divers découpages géographiques : province, régions administratives, MRC, municipalités et arrondissements. En dressant un portrait juste et précis des territoires et en mettant en lumière les disparités territoriales de scolarisation et de conditions de vie des jeunes, CartoJeunes constitue un outil de monitorage territorial utile à toutes les étapes d’une démarche locale, régionale ou nationale visant le développement, le mieux-être et l’épanouissement des jeunes, et ce, du diagnostic à l’évaluation (voir le tableau 1).

Tableau 1. Apport de CartoJeunes à chacune des étapes d’une démarche d’intervention
Étapes d’une démarche d’intervention Apport de CartoJeunes


Trois portes d’entrée permettent à l’utilisateur d’accéder aux 107 indicateurs actuellement disponibles dans CartoJeunes : 1) parcours scolaires au secondaire; 2) parcours scolaires au collégial; 3) conditions de vie. Les 15 indicateurs des parcours scolaires au secondaire portent sur la diplomation, le décrochage scolaire, l’accès à la formation professionnelle et à la formation des adultes. Les 15 indicateurs des parcours scolaires au collégial renseignent quant à eux sur la poursuite des études sans interruption entre le secondaire et le collégial, les étudiants admis conditionnellement, la moyenne au secondaire, la réussite des cours, la réinscription à un trimestre ultérieur et la diplomation. Finalement, les 77 indicateurs des conditions de vie s’intéressent à une diversité de dimensions : démographie, composition des familles, éducation, économie et emploi, logement, langues, mobilité et immigration.

Sur la plateforme CartoJeunes, les données sont disponibles selon plusieurs déclinaisons afin d’affiner les analyses : territoire (ensemble du Québec ou chacune des régions administratives), genre, réseau au secondaire, type de formation au collégial, période (cohorte de 1998 et suivantes). Des informations géographiques sont aussi rendues disponibles pour contextualiser la requête : routes, établissement scolaires, noms de lieux, etc. Enfin, la description détaillée de chaque indicateur est fournie et la méthodologie utilisée est clairement explicitée. Exploitant le système Jmap et l’application Map4Decision, CartoJeunes a été développé sous la direction de Michel Perron par la Chaire VISAJ et par ÉCOBES – Recherche et transfert. La plateforme a pu voir le jour grâce à la collaboration et au soutien du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, de la Fondation Lucie et André Chagnon, et du Fonds de recherche québécois Nature et technologies.

En plus de faciliter le travail des communautés territoriales à toutes les étapes d’une démarche d’intervention visant la persévérance et la réussite scolaires de leurs jeunes, CartoJeunes fournit la matière première nécessaire à une meilleure compréhension des liens qui existent entre la réussite scolaire et le territoire : des données fiables, biens documentées et mises à jour annuellement.

Mieux comprendre comment le territoire peut avoir un impact sur la réussite des jeunes

Il y a plus de 20 ans, une étude réalisée par Suzanne Veillette, Michel Perron et leurs collaborateurs du Groupe ÉCOBES soulignait pour la première fois d’importantes disparités géographiques et sociales en matière d’accès, de choix de programme et de réussite au collégial. Le lieu de résidence du jeune en 1re secondaire semblait alors déterminant, les jeunes des municipalités rurales et éloignées, ainsi que ceux des quartiers urbains défavorisés étant désavantagés. On y apprenait par exemple que les garçons habitant les secteurs défavorisés de l’agglomération Chicoutimi-Jonquière avaient près de deux fois moins de chances d’accéder aux études collégiales que ceux des secteurs favorisés (43 % contre 81 %). Ces constats ont mené à la mise en place d’un vaste processus de mobilisation et de concertation intersectoriel et interordres au Saguenay–Lac-Saint-Jean autour de la question de la persévérance scolaire. Une instance régionale, le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS), a d’ailleurs été créée dans cette foulée pour être la gardienne du processus de mobilisation régionale. Depuis, la situation de la diplomation et de la persévérance scolaire s’est grandement améliorée dans la région. L’approche territoriale du Saguenay–Lac-Saint-Jean a d’ailleurs influencé les autres régions du Québec qui se sont toutes dotées depuis d’une telle instance régionale de concertation.

Au cours des dernières années, plusieurs études d’ici et d’ailleurs tendent à montrer une influence marquante du territoire sur le cheminement scolaire des jeunes (Anderson, Leventhal et al., 2014; Caro, 2009; Chenoweth et Galliher, 2004; Crowder et South, 2003; Dupéré, Leventhal et al., 2010; Sastry et Pebley, 2010; Sirin, 2005). Les caractéristiques sociales, économiques, géographiques et culturelles des communautés où vivent les jeunes constituent des déterminants de leur développement, de leur bien-être et de leur persévérance scolaire. On constate que les jeunes provenant de milieux défavorisés sont plus touchés par l’abandon scolaire et qu’ils risquent davantage de connaître des retards scolaires et des échecs répétés, d’éprouver diverses difficultés d’adaptation et de faire face à l’exclusion scolaire. Ainsi, les inégalités sociospatiales marquent les parcours scolaires des jeunes et conditionnent leurs chances de qualification.

Pour mieux expliquer les disparités territoriales afin de les enrayer, il s’avère donc essentiel d’explorer les liens qui existent entre la réussite scolaire et les différentes facettes du territoire dans lequel évoluent les élèves et les étudiants : type d’économie, scolarisation des adultes, sentiment d’appartenance, habitudes de concertation, niveau de mobilisation de la communauté, accessibilité des services, etc. En fournissant une foule de données territorialisées portant autant sur les conditions dans lesquelles vivent les jeunes que sur leurs parcours scolaires, CartoJeunes permet aux chercheurs et aux intervenants de pousser plus loin leur réflexion.

À vous de jouer!

Que vous soyez analyste, chercheur, gestionnaire, professionnel, enseignant ou simplement curieux, vous pouvez accéder à CartoJeunes.ca dès maintenant afin de produire une carte de votre région. Vous verrez, vous aurez rapidement l’élan d’en produire une seconde pour comparer les genres, croiser les indicateurs, suivre l’évolution dans le temps, forer par type de formation…






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