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Madame Hélène Allaire, lauréate du prix Gérald-Sigouin 2017

Une entrevue du Portail du réseau collégial

Une passion pour les cégeps, qui naît avec l’enseignement
Hélène Allaire commence sa carrière dans le réseau collégial au Cégep du Vieux Montréal à titre d’enseignante en Techniques d’éducation en services de garde de 1983 à 1993. Elle fait ainsi partie de la première équipe d’implantation du programme au secteur régulier après avoir auparavant travaillé dans le milieu des services de garde à titre d’éducatrice et au regroupement des garderies de Montréal et du Québec afin de faire valoir l’importance de l’éducation pour la petite enfance. « Ma passion pour les cégeps a débuté avec mes dix années d’enseignement et je n’en suis pas sortie », affirme-t-elle.

Pour une approche pédagogique de l’évaluation des programmes
À l’invitation de madame Nicole Simard, alors présidente de la Commission d’évaluation du Conseil des collèges, Hélène Allaire accepte un mandat d’agente de recherche d’une durée de trois ans centré sur l’évaluation des programmes. Elle réalise une revue de littérature et entreprend la tournée des cégeps qui s’étaient engagés dans des processus d’évaluation de programmes afin d’identifier les différents modèles utilisés à l’enseignement supérieur et d’expérimenter un modèle accessible et adapté pour le collégial. « C’est à ce moment que j’ai élaboré un modèle diffusé par la suite par l’AQPC. Le tout s’est graduellement développé dans le réseau avec la mise en place et l’adoption des politiques d’évaluation de programmes devenues une obligation réglementaire en 1993. C’est un dossier sur lequel j’ai beaucoup travaillé. Il importait pour moi que l’évaluation de programmes ne soit pas uniquement un exercice administratif, mais que le processus et l’exercice soient générateurs de changement pour les équipes d’enseignants et pour les établissements. J’ai toujours cru qu’il fallait centrer la démarche sur l’utilité des processus et que les professeurs soient engagés et accompagnés dans l’ensemble de la démarche. Il fallait de plus que l’exercice stimule des réflexions significatives et importantes, qu’il questionne la pertinence de nos projets de formation et la cohérence de nos programmes. Ce modèle a fonctionné. Les intervenants concernés y ont vu plus de sens. Quand on cerne la démarche comme un levier de changement et comme un moyen d’assurer la qualité de la formation en vue d’avoir des programmes constamment à jour qui répondent aux besoins de formation des étudiants, du marché du travail et de la société, l’action et le processus prennent tout leur sens et dépassent largement la simple reddition de compte. L’exercice et le processus doivent être perçus comme un outil de gestion utile pour le collège, un outil de ressourcement et de perfectionnement pour les professeurs qui mettent en œuvre le programme. Ces derniers devaient donc être au cœur du processus tout en assurant la rigueur et la précision des données. C’est la trame de fond de mon travail dans le domaine de l’évaluation des programmes. Je l’ai fait pendant 33 ans avec succès. »

Après son mandat au Conseil des collèges, Hélène Allaire travaille au Cégep Marie-Victorin à titre de conseillère pédagogique, de directrice-adjointe aux programmes et de directrice des études. Elle aura l’occasion de mettre en pratique cette approche intégrée de gestion des programmes et elle considère que c’est une grande réussite. Elle est fière d’avoir pu partager l’expertise développée au Cégep Marie-Victorin. « Nombreux sont les intervenants qui ont utilisé nos outils parce que nous les avions validés et nous avons eu le souci de bien les diffuser par l’intermédiaire de l’AQPC ou de Performa. »

Travailler avec les enseignants
À titre de conseillère pédagogique, Hélène Allaire assume le rôle de répondante locale de Performa pendant 15 ans. Cela lui a permis de travailler étroitement avec les enseignants. « Pour moi, Performa joue un rôle extrêmement important, car il permet d’offrir sur place de la formation bien adaptée aux besoins des enseignants. La formation des nouveaux permet qu’ils s’identifient comme des enseignants du collégial et non seulement comme des experts de leur discipline. J’ai travaillé à la mise en forme du cours “Fondements et défis de l’enseignement collégial” en me disant : il faut qu’un prof s’identifie au réseau collégial, qu’il comprenne pourquoi on a créé les cégeps avec une mission de démocratisation de l’enseignement. En plus de donner son cours, l’enseignant doit comprendre qu’il contribue à une mission sociale. »

Une implication réseau remarquable
Hélène Allaire s’est, tout au long de sa carrière, beaucoup impliquée dans le réseau. Dès 1993, elle participe au comité de rédaction de la revue Pédagogie collégiale pour ensuite siéger au conseil d’administration de l’AQPC, où elle assumera la vice-présidence et la présidence. « Pour moi, l’AQPC, c’est un lieu de ressourcement, de vitalité pédagogique, de partage de pratiques. Lors de l’implantation du renouveau en 1993, l’association a joué un rôle majeur pour le perfectionnement des profs, le questionnement pédagogique, le partage de pratiques. Les Européens n’en reviennent pas de voir 1200 personnes réunies annuellement sur la base de la pédagogie. L’AQPC a beaucoup contribué au développement d’une pédagogie collégiale adaptée à l’apprentissage de jeunes adultes en formation, non seulement sur le plan technique, mais également sur le plan du développement personnel. Cette association a joué un rôle majeur pour la consolidation du réseau collégial. »

Madame Allaire a aussi contribué aux travaux de la Commission de l’enseignement collégial du Conseil supérieur de l’éducation de 1998 à 2003, en particulier pour les avis portant sur la formation du personnel enseignant et sur l’orientation au cœur de la réussite.

Au cours des cinq dernières années, elle s’est engagée à la Commission des affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps à titre de membre de l’exécutif et de présidente de la commission à l’automne dernier.

« J’ai toujours eu un engagement réseau. J’ai toujours trouvé important d’avoir des contacts. Ça validait mes pratiques. Il m’apparaissait important de sortir de mon cégep pour me ressourcer, pour avoir du perfectionnement continu, pour voir comment s’oriente le réseau, pour influencer ses trajectoires. Le partage de pratiques, c’est stimulant », nous confie-t-elle.

Hélène Allaire en compagnie de Guy Rocher lors de la reception de son prix.

 

État de situation du réseau collégial 50 ans plus tard
 

Le réseau collégial soulignera l’automne prochain le 50e anniversaire de l’ouverture des premiers cégeps à l’automne de 1967. Nous avons demandé à Hélène Allaire de nous dresser un bref état de la situation.

« Pour moi, le cégep, c’est une réussite sociale extrêmement importante. La volonté du rapport Parent visait l’accessibilité à l’enseignement supérieur. Le fait de donner la chance à tout le monde, indépendamment de leur origine sociale, de pouvoir accéder à l’enseignement supérieur, c’est un changement social majeur. Et à cet égard, les cégeps ont rempli leur mission. Le fait d’avoir des cégeps dans chacune des régions représente un levier de développement régional extraordinaire. Il faut dire mission accomplie. Les cégeps ont bien joué leur rôle et cela même au-delà des attentes. Si on pense par exemple à l’accessibilité des jeunes qui ont des troubles d’apprentissage et qui peuvent accéder au cégep et y réussir grâce à des mesures de soutien adaptées à leurs besoins. Jamais, il y a 50 ans, on n’aurait pu penser à cela. Pensons aux techniciens que nous avons formés sur le plan économique, sur le plan social. Pensons à la satisfaction des employeurs. Nous avons réussi à former des personnels spécialisés qui jouent un rôle clé dans l’économie et la vie sociale québécoises. La formation générale offerte dans les établissements a permis et permet toujours de former des citoyens, de développer une pensée critique, une curiosité intellectuelle. Il en est de même pour tous les créateurs, artistes que les cégeps ont formés. »

« Nous avons aussi réussi comme réseau à garder une forme de réflexion pédagogique notamment sur la réussite. Tous les collèges ont des plans de réussite et des mesures d’aide. Autre acquis : nos programmes d’études. Il y a 50 ans, les programmes d’études se résumaient à une somme de cours. Nous avons beaucoup progressé et mis en forme des programmes organisés, plus structurés, des profils de sortie plus précis. Nous encourageons des logiques d’apprentissage adaptées, de véritables projets de formation où l’étudiant peut développer des habiletés de niveau supérieur. Je suis allée présenter nos programmes en Belgique et au Sénégal. Ils n’en revenaient pas de voir à quel point nous étions avancés dans l’organisation de nos programmes. Ces acquis reposent sur une réflexion collective qui perdure depuis plus de 30 ans. »

Parmi les autres acquis majeurs, Hélène Allaire souligne la présence des cégeps en région qui a permis d’occuper l’ensemble du territoire et de favoriser l’accessibilité pour tout le monde. Ces cégeps innovent en formation à distance, par des ententes intercégeps qui se partagent les cohortes afin de maintenir les programmes malgré la décroissance démographique. Ces démarches traduisent une volonté de maintenir l’accessibilité malgré les difficultés.

Et les enjeux pour l’avenir ?

« Comme société, on doit affirmer fort que l’éducation doit être une priorité »
Questionnée sur sa perception des enjeux pour l’avenir, Hélène Allaire met de l’avant une toile de fond majeure : « La société, comme le gouvernement, doit toujours miser sur l’éducation. Nous devons y croire comme société. C’est fondamental. Il faut croire aux jeunes, à leur potentiel, à leur réussite. Il faut insuffler chez eux le goût d’apprendre et susciter leur curiosité intellectuelle. En ce sens, nous devons modifier notre actuelle façon de faire. Les coupes budgétaires des dernières années sont dans ce sens difficiles à prendre. L’accessibilité, c’est aussi d’assurer les moyens pour que les jeunes soient capables de réussir. Miser sur l’éducation, c’est privilégier un financement stable pour nos cégeps. Les coupures à répétition provoquent une considérable perte d’expertise. Le réinvestissement actuel est en fonction d’annexes budgétaires très précises. Mais, on ne réinvestit pas dans l’enveloppe de fonctionnement général. Comme société, nous devons affirmer haut et fort que l’éducation doit être une priorité. C’est ainsi qu’on enrichit notre société en ayant des jeunes éduqués qui ont et prennent leur place. »

Il faut changer notre manière de planifier les changements
Hélène Allaire croit fermement qu’il faut changer notre manière de planifier les changements. Chaque nouveau ministre met de l’avant son changement par un nouveau cours d’histoire, par le modèle Dual allemand ou par l’adéquation formation-emploi. Des modes qui changent avec les porte-parole qui se succèdent sans continuité et sans vision d’ensemble. « Notre système manque de vision. Peut-être faut-il proposer un Rapport Parent 2.0. Il nous faut des penseurs, des gens de différents horizons qui réfléchissent. L’évolution de l’enseignement supérieur au Québec requiert des gens de réflexion et non pas des volontés politiques à court terme comme nous les connaissons depuis plusieurs années. Nous devons poser un diagnostic, voir les grands acquis sociaux, discerner les choses à corriger. Nous pouvons et devons faire évoluer le réseau en refusant toutefois la vision à court terme au profit d’une réflexion collective approfondie. »

Autre enjeu : concilier la réussite, l’accessibilité et le maintien de standards
La lauréate du Prix Gérald-Sigouin souligne un autre enjeu important. Dans le contexte où on intègre de plus en plus d’étudiants ayant des parcours très diversifiés, des gens des communautés culturelles qui ont des acquis différents, des étudiants en situation de handicap, la gestion de la diversité dans les classes prend tout son sens et demeure un enjeu majeur. « En poursuivant la réflexion, nous sommes capables d’y arriver. Nous avons beaucoup avancé dans la gestion de la réussite et de la mise en commun de différentes pratiques, mais l’enjeu de la gestion de la diversité demeure un enjeu de taille. Nous investissons à l’heure actuelle pour la formation des enseignants et des professionnels. Il faut aller de l’avant dans la réflexion du rôle des enseignants dans une pédagogie de l’inclusion. La gestion de la classe diversifiée représente un défi pédagogique important autant pour les étudiants forts qui continuent à avoir des défis que pour nos étudiants plus vulnérables. »

En écoutant Hélène Allaire parler du réseau collégial avec autant de ferveur, nous imaginons difficilement qu’elle a pris sa retraite il y a quelques mois. Si elle est sortie du cégep, le cégep n’est pas sorti d’elle. L’occasion nous sera certainement donnée de la revoir et de l’entendre dans les prochains colloques.

Une personnalité marquante

De manière à reconnaître sa contribution à l’évolution de l’évaluation des programmes dans le réseau et sa présence active à plusieurs niveaux, le Portail est heureux d’ajouter son nom à la galerie des personnalités marquantes en pédagogie.






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