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Faut-il interdire les relations amoureuses ou sexuelles entre les enseignants et les étudiants au collège ?

 

 

Dossier préparé par Alain Lallier, éditeur en chef, Portail du réseau collégial

 

La Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur est entrée en vigueur le 8 décembre 2017. Cette loi prévoit que les établissements d’enseignement supérieur doivent, avant le 1er janvier 2019, adopter une politique pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel. La loi précise le processus d’élaboration, de diffusion et de révision de la politique et oblige les établissements à rendre compte de son application selon les paramètres prévus.

De plus, la loi détermine les éléments qui doivent être prévus à la politique, notamment des règles encadrant les activités sociales et d’accueil des étudiants, des mesures de sécurité, des formations obligatoires, un processus de plainte ainsi que des services d’accueil, de référence, de soutien psychosocial et d’accompagnement des personnes. En outre, cette politique doit prévoir un code de conduite prévoyant les règles qu’une personne ayant une relation pédagogique ou d’autorité avec un étudiant doit respecter si elle entretient des liens intimes avec celui-ci. (1)

Les collèges devront donc au cours de l’automne adopter une telle politique et un code de conduite qui statuera sur la question des règles qu’une personne ayant « une relation pédagogique ou d’autorité avec un étudiant doit respecter si elle entretient des liens intimes avec celui-ci ».

La question du code conduite a longuement été débattue à la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation, qui a siégé en novembre dernier. La ministre de l’Enseignement supérieur, madame Hélène David, a posé plusieurs questions aux différents acteurs du réseau collégial sur leur position face à cette problématique.

À la veille des débats sur cette question dans les collèges, le Portail trouve pertinent de souligner la position des principaux acteurs du réseau. Sans prétendre à l’exhaustivité, cette recension met l’accent sur les positions qui se sont particulièrement démarquées. Les citations qui suivent dans ce texte sont tirées du Journal des débats de la Commission de la culture et de l’éducation.

La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)

En début de commission, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) a cassé la glace de façon très nette. Lauréanne Cauchy-Richer, vice-présidente, a affirmé : « il faut plus qu’encadrer les relations entre le personnel, soit enseignant et professionnel, il faut tout simplement le proscrire, donc proscrire les relations entre étudiants et personnel. Le contexte est fort simple, les cégeps sont de petits milieux où les intervenants ont tous un lien entre eux et peuvent tous avoir une influence sur le parcours académique, scolaire et sur la vie d’un étudiant, et ainsi que le lien d’autorité peut ne pas être présent au cours... au moment où la relation a lieu, mais se développer une session, deux sessions, trois sessions plus tard, quand l’étudiant tombe dans un cours avec la personne avec qui il a eu une relation. Cet ajout de proscrire les relations permet aussi de protéger l’enseignant puisqu’il est au courant qu’il n’a pas le droit d’avoir une relation avec l’étudiant. »

La seule exception à cette interdiction que la FECQ accepte demeure le cas où la relation serait antérieure à l’établissement du lien d’autorité, auquel cas la relation devra effectivement être encadrée.

L’équipe de la "Campagne ni viande, ni objet"

L’équipe de la "Campagne ni viande, ni objet", une initiative pour contrer, prévenir et sensibiliser les communautés collégiales à la problématique des violences à caractère sexuel, - initiative qui est née par et pour les étudiants et étudiantes du cégep de Sherbrooke, a témoigné devant la Commission parlementaire. Elle a présenté un point de vue fort différent sur cette question. Écoutons Alexandre Blanchette, membre de l’équipe : « Nous ne sommes pas du tout pour l’interdiction des relations entre étudiants, étudiantes et membres du personnel qui ont une influence, là, sur leur cheminement académique, loin de là. Vous l’avez dit d’entrée de jeu. Ce sont des adultes consentants et consentantes qui peuvent dans un cadre de promiscuité, là, associé aux études, développer des relations intimes. On n’a pas de problématique avec ça personnellement dans nos réflexions puis des échanges qu’on a, là, un peu partout à travers le Québec, avec les enseignants, les enseignantes puis les membres de la communauté étudiante .»

Par contre, dans le cadre d’une situation d’autorité, Alexandre Blanchette pense que le code de conduite devra prévoir une déclaration tout en s’assurant d'une certaine forme de confidentialité.

La Fédération des cégeps

M. Sylvain Lambert, président du Conseil des directions générales de la Fédération et  directeur général du Cégep Édouard-Montpetit, a présenté la position de la Fédération des cégeps en affirmant qu’en incluant un code de conduite dans la politique institutionnelle, « nous croyons là aussi qu’il faudrait être plus précis. Le projet de loi propose un modèle de code de conduite qui encadre ce qui est permis. Cependant, le fait d’encadrer des liens intimes amoureux ou sexuels entre un membre du personnel et étudiant nous semble irréaliste. Nous avons alors pensé proposer une interdiction complète de tout lien intime entre un membre du personnel et une étudiante ou un étudiant. Mais il nous est apparu ensuite que cela pourrait mener à des situations aberrantes ». (…) Finalement, nous proposons plutôt que le projet de loi interdise tout lien intime, amoureux ou sexuel entre une étudiante ou un étudiant et un membre du personnel ou de la direction qui serait en relation pédagogique, en relation d’autorité ou en relation d’aide. Avec une exception, bien sûr, pour les conjoints existants pour ne pas brimer le droit d’étudier d’une personne qui était conjoint d’un membre du personnel avant son inscription au cégep ».

La FNEEQ-CSN

De son côté, la FNEEQ-CSN était bien préparée à se prononcer sur la question. Elle avait préalablement consulté ses syndicats et avait déjà pris position en décembre 2016 sur les relations à caractère intime. « Pour nous, ces travaux-là, qui sont en cours depuis 2015 nous permettaient d’arriver au plus petit dénominateur commun. Alors, ce plus petit dénominateur commun, et je lis rapidement les éléments, c’est de considérer que les enseignants sont en relation d’autorité, que les enseignants ont un lien de confiance, que cette relation-là, elle est basée sur l’évaluation qui se déroule et que, par conséquent, on affirme deux choses importantes : qu’il est inapproprié d’entretenir un rapport intime dans une relation pédagogique ou d’autorité et deuxièmement d’en appeler nos syndicats à proscrire tout rapport intime, amoureux ou sexuel avec une étudiante ou un étudiant dans une relation pédagogique » a expliqué Caroline Quesnel, secrétaire générale et trésorière de la Fneeq.

La FEC-CSQ

Du côté de la CSQ, la vice-présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants du collégial (FEC-CSQ)), Silvie Lemelin, a précisé que la position d’un comité-conseil de leur fédération « invitait à réfléchir à la possibilité d’interdire carrément ». « Cela dit, ce n’est pas la position de la CSQ, bien sûr. Et le texte du projet de loi en ce moment qui parle plutôt d’encadrer les relations nous paraît, comme vous le dites si bien, prudent, en effet, considérant justement qu’il y a la question des cégeps, mais que la situation est fort différente à l’université. Effectivement, à la FEC, il y a peut-être un appétit, je dirais, un petit peu plus grand pour l’interdiction, sans que ce soit, je le répète encore une fois, là, une position formelle. »

Une tendance marquée pour l'interdiction

Ce court florilège des positions prises par les différentes organisations dans le cadre de la commission parlementaire donne une bonne idée des débats qui se feront dans les établissements collégiaux. Nous sentons tout de même une tendance assez marquée pour la proscription, l’interdiction et l’encadrement relatif aux liens intimes dans la relation pédagogique ou d’autorité avec un étudiant.

Une remarque s'impose: la loi et le code de conduite ne vise par seulement les enseignants et les enseignantes, mais toute "personne ayant une relation pédagogique ou d’autorité avec un étudiant ". En ce sens, les professionnels, employés de soutien, entraîneurs et les cadres sont aussi concernés"

Des outils d'accompagnement

Les collèges sont déjà à pied d’œuvre sur cette question. Plusieurs ont déjà formé leur comité permanent prévu à la Loi où doivent être représentés les dirigeants, les étudiants et le personnel afin d’élaborer et d’assurer le suivi de la politique et de son code de conduite. La Fédération des cégeps par son comité consultatif sur les violences à caractère sexuel au collégial travaille à l’élaboration d’un gabarit de politique à l’intention des cégeps pour les guider dans l’élaboration de leur propre politique. Ce dernier sera mis à la disposition des cégeps d’ici la fin du mois de mai. Le Ministère travaille aussi à l’élaboration d’un guide d’accompagnement à l’intention des établissements d’enseignement supérieur. Une publication annoncée pour la fin du printemps 2018.

Des questions qui surgiront

Il appartient maintenant aux collèges d’établir ces règles de conduite. Dans l’éventualité où les collèges retiendront l’interdiction, d’autres questions surgiront : pour les contrevenants, faut-il prévoir des sanctions ? Si oui, lesquelles ? Les débats autour de la question risquent d’être animés jusqu’au 1er janvier 2019, date limite pour leur adoption et leur mise en œuvre. Un dossier à suivre.

1. Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les
établissements d’enseignement supérieur

Notes : 1. Nous avons choisi de conserver le verbatim des citations telles qu'elles figurent au Journal des débats, question d'authenticité.

2. Nos remerciements à Geneviève Reed pour ses commentaires.