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Report indéfini des demandes de financement

Un coup dur pour la recherche collégiale

D’entrée de jeu, Lynn Lapostolle, directrice générale de l’Association pour la recherche au collégial (ARC), se réjouit de voir les candidatures pour les Prix étudiants doubler en 2025. « C’est un très bon signe pour la relève en recherche. » Une embellie dans les jours sombres que vivent les chercheuses et les chercheurs du collégial. En janvier 2025, le gouvernement du Québec a reporté la possibilité de déposer des demandes de financement sans annoncer de nouvelles dates de dépôt. Le prétexte : un meilleur arrimage entre les programmes de soutien à la recherche administrés par le ministère de l’Enseignement supérieur(MES) et son année financière.

Par Thérèse Lafleur, rédactrice

Lynn Lapostolle, directrice générale, ARC

« Selon moi, trois grands éléments essentiels à la recherche collégiale sont impactés actuellement. Et ce n’est pas seulement à cause du report des programmes. C’est à cause de l’ensemble de la situation. Premièrement, la prévisibilité du financement. Deuxièmement, la compatibilité entre les mesures offertes etles conditions de pratique de la recherche. Troisièmement, un système de soutien mobilisant, structurant et crédible. »

Elle souligne aussi« qu’une recherche, ce n’est pas qu’une personne. C’est très souvent toute une équipe qui réalise un projet qui apporte des résultats. Des résultats qui vont aider encore plus de monde. »

Report et suspension

Pour ce qui concerne le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PARE) et le Programme de recherche et d’expérimentation pédagogiques (PREP), le MESentend ramener dans la même année financière les demandes de subvention et les ressources allouées.

Traditionnellement, les demandes étaient déposées en janvier ou en février de l’année budgétaire X pour des projets qui allaient être réalisés dans l’année financière Y.Toutefois, à la veille du dépôt des demandes au début de l’année 2025, le gouvernement a annoncé le report indéfini de ces demandes de financement.

« À la dernière minute, toutes les personnes qui avaient préparé des demandes de subvention n’ont pas pu les déposer. Alors, pour 2025, le report indéfini des concours liés aux programmes de financement prive les chercheuses et les chercheurs de la prévisibilité essentielle à la planification scientifique. Certaines personnes se seraient tournées vers d’autres possibilités de financement si elles avaient su que la date limite serait reportée. » explique madame Lapostolle.

Donc, le dépôt des demandes de financement est reporté à une date indéterminée. Il n’est pas suspendu. Le budget du Québec 2025-2026 est maintenant connu. Enmai, les crédits seront alloués et c’est alors que le MESdevrait faire connaître ses intentions par rapport à ces programmes de financement de la recherche au collégial.

Outre le report indéfini des programmes PAREA et PREP, la mise en ligne du formulaire de demande pour leProgramme d’aide à la diffusion des résultats de recherche au collégial(PADRRC) est aussi reportée. Madame Lapostolle s’en inquiète. « Les chercheuses et les chercheurs dont une proposition de communication a été acceptée, dans un colloque national ou un congrès international, ont besoin de ce programme pour y participer. Déjà, des personnes ont annulé leur participation au colloque que l’ARC et le Réseau des CCTT tiendront dans le cadre du 92e Congrès de l’Acfas. C’est très préoccupant. Nous avons besoin de ces ressources, mais elles ne sont plus disponibles pour l’instant. »

Besoins de prévisibilité, de mesures cohérentes et de stabilité

Pour l’instant, les trois programmes ci-dessus sont reportés à une date non définie. S’ajoute à cette situation le moratoire du Fonds de recherche du Québec— secteur Nature et technologies — sur le programme de recherche collégial. Difficile de travailler, de faire une planification scientifique, s’il n’a pas de prévisibilité.

Quant au besoin de cohérence, madame Lapostolle insiste sur le besoin de mesures compatibles avec les conditions de pratique. « Le collégial, par rapport à la recherche, a un fonctionnement différent de celui des universités. Par exemple, les programmes de subvention doivent permettre d’octroyer des ressourcespour le dégagement du personnel enseignant ou pour le financement des chercheuses et des chercheurs de centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT). À l’heure actuelle, le report des programmes a un effet là-dessus. Le gel d’embauche ou de remplacement et le plafonnement des heures travaillées affectent grandement les possibilités de recherche. »

Elle explique que des chercheuses et des chercheurs obtiennent des subventions que viennent contrecarrer le gel d’embauche ou de remplacement et le plafonnement des heures travaillées. « S’il faut engager un professionnel de la recherche,le gel d’embauche peut rendre impossible cette opération. Chaque fois qu’une professeure ou qu’un professeur est dégagé pour la recherche, cela compte en double —la personne dégagée compte dans les heures ainsi que celle qui la remplace. Et si on embauche une étudiante ou un étudiant,c’est aussi comptabilisé dans les heures. En ce moment, c’est une situation qui a besoin d’être repenséeet améliorée. »

Enfin, le système de soutien à la recherche au collégial doit être solide. « Il faudrait y réfléchir sérieusement parce que les programmes et les organismes de soutien, le mot le dit, c’est pour soutenir la recherche. La situation actuelle est déstabilisante et démobilisante. » selon la directrice de l’ARC.

Entre espoir et désillusion

À l’automne 2023, le Chantier sur la recherche au collégial a suscité un grand enthousiasme. Outre les centaines de personnes qui y ont participé, plusieurs mémoires ont été déposés.[i]

« Mais, pour l’instant, nous attendons impatiemment les suites… » note madame Lapostolle.

Pourtant l’essor de la recherche dans les collègessemble bien réel. La popularité croissante du nombre d’étudiantes et d’étudiantsparticipant aux concours des Prix étudiants de l’ARC soulève beaucoup d’espoir. Le nombre d’unités de recherche augmente :outre les 59 CCTT qui y sont bien ancrés, le collégial compte notammentdes laboratoires, deschaires et des centres de recherche. Les programmes révisés en Sciences de la nature et en Sciences humaines font plus de place à la recherche.

La pertinence et la qualité font foi de tout en recherche. Madame Lapostolle insiste sur l’importance de la crédibilité de la recherche, des chercheuses et des chercheurs qui ont établi des collaborations pour faire des projets, parfois avec le milieu environnant, parfois avec des universitaires. « Nous avons besoin de nous assurer que notre crédibilité n’est pas entachée. Nous avons aussi besoin d’avoir des ressources suffisantes pour mener des projets de recherche qui sont de qualité. »

Inscrire la recherche dans la mission des collèges

En enseignement supérieur, la recherche au collégial est dans une situation particulière. Contrairement au niveau universitaire, la recherche ne fait pas partie de la tâche enseignante au collégial. Elle n’est pas inscrite dans la mission des collèges au même titre que l’enseignement.

Dans le cadre du Chantier sur la recherche au collégial, plusieurs des mémoires déposés demandent une actualisation de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel pour y inscrire la recherche de façon claire.

« Outre leur contribution sociale et culturelle à la collectivité, les collèges y apportent aussi une contribution économique et scientifique. » affirme avec conviction madame Lapostolle.


[i] Conseil supérieur de l’éducation. Mémoire sur la recherche au collégial : idées phares de la pensée du Conseil, octobre 2023.

Fédération des cégeps. Mémoire de la Fédération des cégeps, octobre 2023.

Acfas. Mémoire, octobre 2023.

FNEEQ. Pour une pleine reconnaissance de l’enseignante-chercheure et de l’enseignant-chercheur, octobre 2023.

Synchronex. Mémoire, octobre 2023.

ARC. Trois axes pour tirer le meilleur parti de la recherche au collégial : la mission des établissements, le soutien à la recherche et l’optimisation de ses retombées, octobre 2023.