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La science c’est la connaissance et ça modèle le monde
Entrevue de Marie Lacoursière avec monsieur Raynald Richer, récipiendaire du Prix 2015 de l’Association canadienne des physiciens et physiciennes (ACP)
Le 28 mai dernier, l’Association canadienne des physiciens et physiciennes soulignait l’excellence du travail de monsieur Raynald Richer, enseignant de physique depuis plus de 20 ans au Cégep de Chicoutimi, en lui remettant le prix ACP d’excellence 2015. L’honneur décerné par l’association souligne les compétences exceptionnelles des personnes qui enseignent la physique au secondaire et au collégial, tout en promouvant la discipline dans les écoles du Canada. Monsieur Richer répond parfaitement aux critères énoncés. L’enseignant, surpris par le très bel hommage qui lui est rendu, est selon ses termes content et honoré. « Il y a beaucoup de gens qui font d’importantes choses et un travail fabuleux en sciences, précise l’enseignant. Cette année cette reconnaissance m’a été réservée, j’en suis heureux et reconnaissant. »
Un parcours d’enseignement unique et diversifié
Raynald Richer amorce sa carrière en enseignement des mathématiques auprès de jeunes délinquants de deuxième et troisième secondaire de la métropole montréalaise. Il accepte par la suite une charge d’enseignement en session d’été au collège Ahuntsic et assume quelques contrats à l’éducation des adultes. Il enseigne depuis maintenant plus de 20 ans. Les expériences faites durant ces années influencent son parcours et ses interventions. Il connaît bien les élèves des trois ordres d’enseignement (primaire, secondaire et collégial). Il saisit admirablement leur dynamique et leurs intérêts, qu’il sait exploiter dans le cadre des préparations des ateliers se rapportant à l’enseignement des sciences, de la physique et des mathématiques auprès de l’une ou l’autre de ces clientèles.
Un penchant marqué pour la vulgarisation
Raynald Richer a donné bénévolement des cours d’échec dans les écoles primaires au Saguenay pendant 8 ans, ce qui explique « un peu » son penchant pour la vulgarisation. « J’accorde une place prépondérante à l’apprentissage de la science comme façon de penser et je réalise qu’en définitive l’enseignement est souvent oublié au profit de l’importance accordée à la discipline scientifique sans pratiquement s’attarder à montrer comment procède la science. »
L’enseignant se demande alors ce qu’il faut faire pour aller plus loin. Sa réflexion lui fait rapidement réaliser que la vulgarisation scientifique permet d’expliquer aux jeunes comment fonctionne la science et d’illustrer ce qu’elle est dans sa nature même. Certes la technique scientifique permet la résolution de situations données mais, à travers cela, il y a une façon particulière de penser, de réfléchir et de voir le monde; le principal intéressé croit fondamentalement que c’est ce à quoi il faut s’attarder.« Nous avons beaucoup d’a priori sur la science, explique l’enseignant. Les gens ont des croyances qui sont positives ou négatives quant à la science, mais ils ont une façon de la voir qui ne correspond pas nécessairement à ce qu’elle est. Ils conservent souvent une vision “plate” de la physique, mais il y a beaucoup de richesse et de philosophie en physique. Beaucoup de réflexion sur le monde. C’est une science de philosophes et une science d’artistes.
» Enseigner pour moi, c’est d’abord développer une relation humaine. Quelle que soit la technique d’enseignement utilisée, inversée, magistrale, avec ou sans iPad. Quand le contact et le climat sont bons, le message passe et l’apprentissage se fait. C’est d’ailleurs pour ça que je crois fermement que l’enseignement ne sera jamais remplacé par des machines, la dimension affective étant trop importante dans l’acte d’enseigner et dans l’acte d’apprendre. C’est une réalité qui, même si elle prend des formes différentes selon le niveau scolaire, reste centrale dans le processus de la transmission de la connaissance. On ne transmet pas seulement la matière académique, mais également notre passion pour notre champ d’études. ».
La naissance du Centre de démonstration scientifique du Saguenay – Lac-Saint-Jean (CDS)
La mise en œuvre du Centre de démonstration scientifique du Saguenay – Lac-Saint-Jean découle d’un grand désir de toucher davantage les jeunes et d’être capable de démystifier la physique auprès des étudiants. Il est également né d’une conviction que les professeurs de cégep sont sous-utilisés pour faire de la vulgarisation scientifique. Cette dernière, selon monsieur Richer, est souvent faite par des animateurs ou des professeurs d’université. « Les professeurs de cégep sont rarement interpellés alors qu’ils ont une excellente formation en sciences. Notre département est composé d’enseignants et enseignantes qui détiennent des maîtrises. L’une d’entre nous détient un doctorat en physique nucléaire. Il s’agit là d’une expertise de haut niveau. Nous avons l’avantage de travailler auprès de gens qui n’aiment pas nécessairement la matière qui leur est enseignée et qui ont une perception négative de leur capacité. Enseigner à ce type de clientèle force l’enseignant à développer des trucs, des façons de faire et de vulgariser les concepts qu’il doit transmettre. »
Le Centre de démonstration scientifique de la région, a ainsi vu le jour grâce à un cégep qui a su mobiliser des professeurs de collège par le biais d’un mode fort original de vulgarisation scientifique. « Nous démontrons notre savoir-faire et cela marche très bien. Nous avons créé jusqu’à présent 5 conférences démonstrations. Nous avons reçu plus de 20 000 auditeurs autour des titres L’air de rien se rapportant aux propriétés de l’air, Ça sonne ça résonne en lien avec le son et le raisonnement mental, Contact sur la science du sport, Affaire d’état sur les états de la matière, Éclairs de génie sur l’électricité. Les conférences démonstrations sont mobiles et elles sont présentées sur les scènes des auditoriums des écoles secondaires. Les conférences interactives racontent une histoire des sciences et c’est très important pour nous de faire ça. L’histoire part d’un point A et évolue au fur et à mesure que nous présentons les découvertes scientifiques qui s’y rapportent. La science est donc présentée comme un élément dans une société qui évolue sur les plans social, artistique et politique. La science influence le monde et le monde influence la science. C’est un dialogue.
» C’est important que, par cet univers quelque peu fantastique, les jeunes comprennent la connaissance. La science c’est la connaissance et ça modèle le monde. Marie Shelly par exemple savait que l’électricité pouvait faire bouger les muscles humains, car elle avait lu les travaux sur l’électricité animale de Luigi Galvani Aloisio. Cela lui a permis d’écrire son fameux roman Frankenstein. Un roman encore universellement connu 200 ans plus tard. La science change notre vision du monde et engendre de ce fait des romans, de la poésie et toutes sortes de création. Il est donc important de raconter la science, de raconter les gens qui font la science et de présenter les démonstrations scientifiques s’y rapportant. Nous parlons ainsi d’un concept que nous présentons et démontrons devant les jeunes. Souvent nous les invitons sur scène créant ainsi une interactivité durant et après les présentations. Ils viennent sur scène et peuvent manipuler les appareils. Nous demeurons ouverts quelque 30 minutes après la représentation encourageant ainsi différentes manipulations et appropriations. »
Amener plus d’étudiants à poursuivre des études en sciences à des niveaux plus élevés
Interrogé sur fait que l’utilisation novatrice illustrant des phénomènes physiques comme le son, l’air, la lumière et l’électricité, ait amené de nombreux étudiants à poursuivre l’étude des sciences à des niveaux plus élevés, monsieur Richer précise l’impact en ces mots : « Bien que cela soit difficile à mesurer, de nombreux jeunes viennent me voir après les représentations et s’informent des moyens à prendre pour aller en sciences en physique, en génie ou en chimie. Nos présentations permettent sans pression d’illustrer ce que sont les sciences et leurs intérêts. Je crois que par nos interventions nous avons effectivement de l’impact. Les évaluations complétées par 2 commissions scolaires à cet égard sont excellentes et nous croyons que le médium utilisé atteint les objectifs poursuivis. »
Des projets de partenariat au niveau de la formation des maîtres
Raymond Richer entrevoit pour l’avenir des projets de partenariat au niveau de la formation des maîtres. « Nous regardons comment les enseignants du collégial en sciences peuvent participer à la formation des maîtres et des techniciens dans notre discipline. La culture de la formation continue est importante sur le plan disciplinaire et je pense que les enseignants de cégeps seraient à même de participer à ce processus. C’est beaucoup moins “apeurant”, je crois, pour un professeur du primaire de rencontrer un professeur de cégep que de rencontrer un professeur d’université spécialisé en physique par exemple. Nous entendons également activer une idée lancée au dernier colloque de l’AQPC visant la création de l’association des professeurs de collège désireuxde faire de la vulgarisation. L’ACEVS. Nous avons démarré un compte Facebook que nous transformerons en forum, un lieu où les enseignants et enseignantes qui s’intéressent à la vulgarisation scientifique pourront discuter entre eux de leur vision de la vulgarisation, de financement et de réussite. J’ai lancé l’initiative au hasard, plus de 50 personnes se sont montrées intéressées. Nous comptons trouver cet automne une formule d’organisation facile et accessible à des vulgarisateurs scientifiques. »
Une entrevue sous le signe de la vulgarisation
L’échange avec monsieur Richer fut, chers lecteurs et lectrices, tout simplement captivant. J’en suis même à croire que… si j’avais eu la chance, il y a de ça plusieurs années, de rencontrer un enseignant de sa trempe, peut-être aurais-je aujourd’hui un doctorat en sciences. Félicitations, monsieur Richer, pour cette reconnaissance méritée.