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Entrevue avec Claude Roy

L’assurance qualité en évolution

Faire évoluer les processus d’assurance-qualité en milieu collégial. C’est ce que préconise le praticien-chercheur, Claude Roy, dans son essai «L’évaluation des systèmes d’assurance qualité en enseignement collégial : de la reddition de comptes vers l’amélioration continue».

Par Thérèse Lafleur, Portail du réseau collégial

Depuis six ans, M. Roy se penche sur le sujet dans le cadre d’études doctorales professionnelles en gestion de l’éducation à l’Université de Sherbrooke. Fort de ses expériences à la direction générale des cégeps André-Laurendeau et Rivière-du-Loup, à la direction des études du Cégep de Chicoutimi et des collèges Notre-Dame-de-Foy et Ellis ainsi que comme professeur en administration, Claude Roy aborde l’assurance qualité dans une perspective globale de la gestion d’un établissement d’enseignement supérieur.

Selon Claude Roy, l’assurance qualité est trop souvent perçue comme une reddition de comptes supplémentaire alors que le processus devrait au contraire mener à l’amélioration continue. Bref, donner un sens à la démarche en considérant les retombées d’initiatives prises dans le cadre de l’assurance qualité.

« En 2015, j’ai entrepris ces études de doctorat axées sur la pratique en ayant en tête la nouvelle opération d’assurance qualité entreprise dans les collèges à l’époque. Je me suis donc positionné à la fois comme acteur et spectateur de la démarche. C’est ce qui m’a amené à me spécialiser, car, dans les quatre mécanismes que la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) a identifiés comme systèmes d’assurance qualité, la Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages (PIEA), la Politique institutionnelle d’évaluation des programmes (PIEP) et le Plan de réussite touchent plutôt la direction des services aux étudiants, la direction des études et les professeurs ; le Plan stratégique de développement institutionnel (PSDI) interpelle davantage la direction générale et l’équipe de direction. »

La reddition de compte ne doit pas se résumer à cocher oui ou non sur un formulaire. 

Un processus dérangeant

Le concept d’assurance qualité en entreprise est défini par l’International Organization for Standardization comme « le processus de vérification de la conformité d’un produit aux spécifications requises et aux attentes des clients. L’objectif principal est de suivre et de résoudre les lacunes avant la sortie du produit, et ce, à toutes les étapes de fabrication. »

En enseignement supérieur, l’assurance qualité repose sur l’ensemble de mécanismes que les établissements utilisent (politiques, gabarits, guides de rédaction) en vue de l’amélioration continue de la qualité.

Cependant, M. Roy souligne qu’en matière d’assurance qualité, il ne faut pas confondre les visées associées au profit versus celles servant le Bien commun. Il ajoute que les personnes appelées à contribuer au processus peuvent avoir des connaissances, des motivations et des intérêts qui ne sont pas du même ordre.

Il rappelle qu’initialement le processus d’alliance européenne visant l’évaluation de la qualité en enseignement supérieur a engendré son lot de critiques, notamment en ce qui a trait à la marchandisation du savoir, à la promotion des programmes les plus lucratifs et aux palmarès entre les établissements.

Au Québec, la CEEC mène depuis 2014 une opération visant à évaluer l’efficacité des systèmes d’assurance qualité des collèges. Une démarche dont les cégeps ont souligné la complexité, la lourdeur et questionné la profondeur de l’analyse.

Un changement de posture à initier

Depuis 2000, la Loi sur l’administration publique a poussé les cégeps à rendre compte de leurs résultats dans leurs plans stratégiques de développement institutionnel et leurs plans de réussite qui représentent deux mécanismes pour remplir leur mission régionale et nationale, c’est pourquoi la CEEC se penche sur l’évaluation des résultats obtenus.

Pour les collèges, il ne s’agit donc plus de traiter des moyens, d’opérations concrètes, mais bien de témoigner des résultats atteints en utilisant, notamment, des objectifs spécifiques, mesurables, accessibles et réalisables dans un temps donné (SMART).

Alors, comment miser sur un système d’assurance qualité engageant et productif pour l’ensemble de la communauté collégiale ? Pour Claude Roy, la reddition de compte ne doit pas se résumer à cocher oui ou non sur un formulaire, elle doit inspirer et stimuler toute la communauté collégiale, c’est-à-dire les étudiants, le personnel enseignant et non enseignant.

L’analyse de ce changement de posture dans le réseau collégial que présente M.Roy dans son essai s’est faite en trois temps :

1. D’abord en passant par un projet exploratoire visant à identifier les défis relevés par les cégeps qui ont évalué leur système d’assurance qualité ;

2. Ensuite, un projet d’intervention lui a permis de tester un outil reflétant l’atteinte des objectifs au Cégep André-Laurendeau. Ce projet l’a amené à constater : « que le recours à un système d’information et d’éducation stratégiques qui reflète des améliorations continues prend plus que six mois, mais doit s’étendre sur des années. Plusieurs variables entrent en jeu dont l’aspect humain. Et même si je ne suis plus en mesure d’effectuer le suivi de cette planification stratégique, j’ai cependant été à même d’en voir les aspects imprévisibles et la nécessité de mettre de l’avant des compétences managériales et aussi émotionnelles. » ;

3. Finalement, la pièce maitresse du doctorat de M. Roy est constituée d’une réflexion sur ces projets d’exploration et d’intervention. « Comme directeur général et parallèlement étudiant au doctorat, j’ai documenté au quotidien la démarche. Cela m’a permis de porter un regard plus global, à partir d’une situation réelle au sein mon cégep. »

Des défis de gestion

Au fil de son projet exploratoire effectué par la voie des entrevues dans sept collèges publics et privés, M. Roy a réalisé que le concept de qualité pouvait être défini de plusieurs manières. À cet égard, les défis que les collèges rencontrent se situent autour d’aspects conjoncturels, conceptuels et structurels.

M. Roy estime qu’il convient donc que les gestionnaires s’approprient une vision partagée des définitions reliées aux concepts et aux processus d’amélioration continue et développent cette expertise dans les établissements.

Il propose aussi de mettre l’accent sur l’importance et la reconnaissance de l’amélioration continue dans tous les services et secteurs des collèges.

Un guide d’intervention

En identifiant les concepts en lien avec les visées opérationnelles, tactiques et stratégiques ainsi que les indicateurs relatifs aux moyens et aux résultats, la deuxième phase des travaux de M. Roy a permis de nuancer les constats de la phase exploratoire.

La CÉEC recommandait de s’assurer de l’efficacité des mécanismes de suivi des résultats afin de pouvoir mesurer annuellement la progression vers l’atteinte de tous les objectifs.

Le guide du projet d’intervention a été élaboré conjointement avec six gestionnaires Cégep André-Laurendeau. Ce guide visait à faciliter l’élaboration d’objectifs répondant à la finalité d’un système d’amélioration continue dans un établissement d’enseignement supérieur et à évaluer l’évolution des pratiques de gestion.

 

L’utilisation aléatoire de ce guide a permis à M. Roy de constater que chaque gestionnaire a sa propre interprétation et recourt différemment au guide. Les retombées de l’amélioration sont donc moins claires que celles anticipées.

D’ailleurs, en 2020, la CÉEC recommandait, à plusieurs établissements, de s’assurer de l’efficacité de leurs mécanismes de suivi des résultats afin qu’ils puissent mesurer annuellement la progression vers l’atteinte de tous leurs objectifs institutionnels.

D’une part cela soulève la nécessité d’un changement de culture managériale et d’autre part la prise en compte de l’imprévisibilité. En effet, dans cette phase d’intervention, M Roy a constaté « l’existence de deux aspects qui n’avaient pas été prévus au départ de ce projet : l’imprévisibilité est omniprésente dans la planification et les compétences émotionnelles sont centrales dans le métier de gestionnaire. »

M. Roy insiste aussi sur la pertinence du développement des connaissances et des compétences en gestion.

Dépasser la reddition de comptes

Même si au départ les collèges évaluaient plus volontiers les moyens mis en œuvre, la mesure des résultats obtenus semble maintenant chose acquise en matière d’assurancequalité. « Actuellement, la CEEC tout comme de nombreuses agences européennes qui veillent à ce type d’opération notent que la reddition de comptes devrait aller un peu plus loin. » fait remarquer M. Roy.

Il rappelle par ailleurs des enjeux délicats entourant la mesure de l’assurance qualité, une mesure qui peut attiser les rivalités entre les établissements ou encore s’avérer comme un contrôle ne tenant pas compte des indicateurs sociodémographiques.

Amorcer un troisième cycle d’évaluation

« Je propose de faire évoluer le concept d’assurancequalité et d’envisagerun troisième cycle d’évaluation vers 2025-2026. » note M. Roy. Il explique que si les collèges ont en général bien intégré l’assurance qualité, la prochaine étape serait d’aller vers le reflet des retombées de l’amélioration continue. « Ainsi, il sera possible d’aller chercher les professeurs et les étudiants qui participent peu ou pas à cette opération alors que dans un cégep ce sont eux qui sont au cœur des activités. »

En fait, la CEEC, un organisme externe, pourrait officialiser ce qui se fait de beau, de bon et de bien dans un collège via un processus d’évaluation de l’amélioration continue suggère M. Roy. « Cesser de pointer uniquement ce qui n’a pas été fait, mais aussi prendre en compte les réalisations des collèges. Une évolution de l’évaluation qui change la donne et propose un nouveau paradigme. »

Refléter l’expérience éducative

Le récent avis du Conseil supérieur de l’éducation, Formation collégiale, Expérience éducative et nouvelles réalitésva dans le même sens aux yeux de M. Roy. « J’ai constaté lors de mes travaux l’orientation prise vers la vérification de mécanismes administratifs. Par exemple, est-ce que les rôles dans la PIEA sont bien appliqués ? Pouvez-vous le démontrer ? Effectivement, et c’est un point central, où est l’évaluation de l’expérience étudiante, de l’expérience pédagogique ? Comment avoir des reflets de cette expérience alors que les étudiants ou les professeurs participent peu ou pas aux rencontres d’évaluation de la CEEC ? Bien sûr, ils sont consultés et entendus à l’intérieur des cégeps, mais publiquement via un organisme externe, nous devrions peut-être être plus sensibles à cela. »

« L’évolution des systèmes d’amélioration de la qualité (SAQ) vers des systèmes d’amélioration continue prend du temps et de la maturité des systèmes. Est-ce que l’évaluation des SAQ représente une reddition de comptes ? Pour l’instant, la réponse est affirmative. Se diriger vers les retombées de l’amélioration continue pourrait préparer le troisième cycle de cette opération », conclut M. Roy.