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Les technologistes médicaux, ces essentiels professionnels de l’ombre
Par Marie Lacoursière et Alain Lallier
Durant cette pandémie, si le personnel infirmier et les inhalothérapeutes ont été très sollicités, on a beaucoup moins parlé des techniciens et des techniciennes de laboratoires (ou technologistes médicaux) qui l’ont été tout autant.
Pensons seulement aux millions de tests de dépistage, aux hôpitaux qui débordent de patients et commandent des tests supplémentaires, car les diagnostics établis reposent à 85 % sur les résultats de laboratoire. Ces technologistes représentent un maillon indispensable du réseau de la santé. Et pourtant, nous en entendons rarement parler. De manière à mieux mettre en lumière leur rôle, nous nous sommes entretenus avec le directeur des études du Cégep de Sherbrooke, monsieur Éric Gagné, porte-parole des 14 cégeps qui offrent ce programme technique.
Monsieur Éric Gagné, directeur des études du Cégep de Sherbrooke et porte-parole des 14 cégeps qui offrent ce programme technique.
Une pénurie de personnel extrêmement importante
À l’instar des soins infirmiers et de l’inhalothérapie, les laboratoires d’analyses biomédicales connaissent également une pénurie de personnel. « Selon l’ordre professionnel et le MSSS, la pénurie est extrêmement importante. Il y a des risques de bris de service et de priorisation des analyses. Quand un très grand nombre d’échantillons arrivent et qu’ils doivent être analysés dans un quart de travail de 7 heures, il faut trouver le moyen d’y arriver. Il faut prioriser les urgences parmi les urgences, » affirme Éric Gagné. Les collèges travaillent d’ailleurs avec l’Ordre professionnel des technologistes médicaux du Québec et d’autres partenaires à trouver des formations plus courtes pour partager des actes, comme des analyses simples, avec des machines préprogrammées et précalibrées, ce qui libérerait du temps pour les technologistes. On envisage d’actualiser un programme menant à une AEC, entre autres pour accueillir les étudiantes et les étudiants étrangers et mettre à jour leurs compétences en fonction des normes de pratique actuelles du Québec.
Selon un récent portrait de la main-d’œuvre dans les laboratoires de biologie médicale, dressé en juin 2021 par le ministère de la Santé et des Services sociaux, un scénario prévoit qu’il faudra un total de 1 660 embauches au cours des cinq prochaines années afin de combler les départs de la profession. Les départs attendus comprennent les retraites et les cessations parmi l’effectif à l’emploi au 31 mars 2020. La projection estime que le nombre de départs à la retraite sera de 521 au cours des prochaines années, ce qui représente 10,1 % des ressources actuelles1.
Le profil recherché
« L’exercice du métier exige des gens très minutieux, précise le directeur des études. Dans l’analyse des échantillons, certaines étapes sont très importantes. Si une d’entre elles est mal faite ou bâclée, le résultat en fin d’exercice manquera de justesse et de précision. La majorité des tâches accomplies par les technologistes d’analyses biomédicales s’inscrivent dans un processus de travail très défini, comme planifier le travail, préparer les produits, le matériel, l’équipement et les échantillons, effectuer les analyses, puis interpréter les résultats d’analyses au regard des valeurs de référence et communiquer les résultats. Le travail requiert des professionnelles et des professionnels méticuleux et méthodiques. Ce ne sont pas des individus en relation d’aide, comme en soins infirmiers, ce sont des personnes autonomes qui veulent travailler dans un contexte de laboratoire. Il y a quand même des interactions, mais ce n’est pas l’essentiel de la profession, » précise Éric Gagné. Il faut aussi aimer les sciences, car le programme comporte notamment des cours en microbiologie, en biochimie, en biologie et en chimie. L’admission au programme exige les préalables du parcours scientifique du secondaire.
Des finissantes et des finissants embauchés rapidement
Quatorze collèges offrent ce programme. Par exemple, le Cégep de Sherbrooke admet annuellement une trentaine d’étudiantes et d’étudiants. Les exigences élevées en sciences limitent le bassin de recrutement. « À ce chapitre, ce n’est pas simple, précise Éric Gagné. Au niveau des programmes de santé, les conditions de travail ont été décrites dans les médias comme étant difficiles, ce qui diminue l’attrait auprès des parents et des élèves ». En plus des hôpitaux, les personnes diplômées peuvent également travailler dans les laboratoires de recherche, mais comme les emplois sont beaucoup plus stables dans le réseau de la santé, la majorité opte pour ce dernier qui présente d’intéressants avantages quant à la sécurité d’emploi, entre autres. La demande est actuellement très forte et les finissantes et les finissants sont embauchés par les hôpitaux au début de leur troisième année.
Des universitaires qui reviennent au cégep
Plusieurs diplômées et diplômés poursuivent leurs études à l’université, mais ce que l’on voit actuellement, ce sont des étudiantes et des étudiants qui sont allés en sciences naturelles, en biologie et en oncologie à l’université et qui reviennent faire la technique. « Nous travaillons à reconnaître leurs acquis parce qu’ils ont fait beaucoup de travail en laboratoire. Leur parcours scolaire pourrait être beaucoup moins long. Un programme menant à un AEC ou un DEC accéléré permettraient aussi de fournir une main-d’œuvre de qualité au réseau de la santé. »
L’enseignement des normes de santé et de sécurité au travail
En période de pandémie, tout le monde est soucieux de la sécurité des employés du réseau de la santé. Qu’en est-il des technologistes médicaux? Les collèges donnent un cours qui aborde les questions de santé et de sécurité au travail dans le programme de formation. Chaque collège dispose d’un laboratoire de confinement 2 exigeant des mesures particulières. « Les étudiantes et les étudiants doivent être formés avant d’entrer dans le laboratoire. Quand ils suivent le cours, ils doivent respecter les règles de confinement 2. Ils comptent parmi les professionnels de la santé les plus au fait des risques de transmission et de la pertinence du respect des normes de haut niveau. »
Les technologies entrent en jeu
À l’image d’autres professions, la technologie vient modifier certaines pratiques. On assiste à une certaine robotisation de plusieurs tâches. Certaines analyses ont été automatisées. Par contre, la contribution humaine demeure importante, car de nombreuses analyses ne peuvent être faites par la machine. L’identification des faux négatifs ou des faux positifs à cause d’une procédure qui ne peut être faite par la machine requiert la présence d’un ou d’une technologiste. « Pour mettre les échantillons dans une machine, on pourrait trouver d’autres personnes en mesure de le faire, mais pour faire la lecture et la préinterprétation des résultats avant de les envoyer au médecin, une expertise technique est nécessaire. Bien qu’il y ait moins de manipulations, nous avons encore besoin d’un ou d’une technologiste pour l’identification de ces faux résultats. »
Pour pratiquer dans nos hôpitaux, il faut être membre de l’Ordre professionnel des technologistes médicaux du Québec.
Faire ressortir le rôle stratégique de ces professionnels
Éric Gagné conclut : « Il faut valoriser le rôle important de ces technologistes qui sont au front depuis le début de la pandémie! Pour différentes raisons, nous parlons trop peu de ces personnes. Sans résultat d’analyse, il n’y a pas de diagnostic, et pas uniquement pour la COVID-19, mais également pour le cancer et d’autres maladies. Sans ces résultats, nous ne pouvons suivre l’évolution d’un traitement. Ce sont des travailleuses et des travailleurs de l’ombre. Il est rare de voir une technicienne ou un technicien se promener sur les étages, mais ce sont des collaborateurs extrêmement importants qui méritent toute notre considération. »
1 Ordre professionnel des technologistes médicaux du Québec, Rapport des états généraux de 2021.