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L’intelligence artificielle dans un monde en transformation

Par Thérèse Lafleur

Le monde est en transformation et les cégeps n’y échappent pas. L’intelligence artificielle, l’IA, fait partie de la donne. Comment approcher, avec réalisme et humanité, les technologies de l’IA qui sont omniprésentes dans nos vies et incontournables dans les organisations ?

Le 11 novembre 2021, le congrès de la Fédération des cégeps portait justement sur le thème Le cégep dans un monde en transformation. C’est un spécialiste d’envergure internationale, Erick Brethenoux, vice-président, analyste en intelligence artificielle et en intelligence décisionnelle chez Gartner, qui a proposé une approche pragmatique et humaine de l’IA. Pour ce professeur-chercheur à l’Illinois Institute of Technology de Chicago : « L’IA va être partout. Les cégeps ne sont pas encore rendus là, mais il faut le voir venir et regarder par où commencer. »


Erick Brethenoux, vice-président, analyste – intelligence artificielle & intelligence décisionnelle, Gartner

Quand monsieur Brethenoux est consulté par une organisation qui envisage la réingénierie de sa prise de décisions en lien avec l’IA, il aborde en premier lieu ses applications. Et la majorité de ces organisations réfèrent à la complexité croissante de la prise de décision.

« En ce sens, les technologies de l’IA permettent de répondre de manière appropriée et en temps réel, à la plupart des questions qui se posent. » a-t-il expliqué lors du congrès. « Pourquoi ? Parce que plus connectée, une organisation devient plus inclusive et plus transparente. En intervenant selon le contexte, l’organisation agit avec précision, de manière personnalisée et se présente comme plus digne de confiance. L’IA permet une approche en continu donc plus rapide, plus évolutive et plus flexible. Les technologies traditionnelles ne permettent pas d’atteindre ces résultats alors que l’être humain associé à la machine le peuvent. »

Il a souligné« que le monde de l’éducation transige avec une génération qui est sensible à l’inclusion, à la transparence, à la précision et à la confiance. Cela résonne dans l’esprit des étudiants et doit être pris en considération lorsqu’un établissement regarde les techniques avec lesquelles opérer. »

L’UNESCO aussi reconnaît l’omniprésence de l’IA dans les avancées technologiques et tout le potentiel d’innovation de l’IA en éducation. L’UNESCO croit cependant que les technologies de l’IA doivent se déployer dans la perspective d’améliorer les capacités humaines et de protéger les droits de l’homme pour une collaboration humain-machine efficace dans la vie, l’apprentissage et le travail et pour le développement durable.

Une définition de l’IA

Comme les définitions de l’intelligence artificielle sont multiples, Monsieur Brethenoux a présenté l’IA telle que conçue chez Gartner.

Les humains sont des systèmes cognitifs biologiques. Des systèmes capables d’apprendre, de récupérer une information, de l’interpréter, de raisonner à propos de cette connaissance tout en collaborant avec d’autres systèmes cognitifs.

L’intelligence artificielle est une discipline d’ingénierie informatique qui simule les systèmes cognitifs. Un ordinateur n’apprend rien et ne raisonne pas. La machine stocke des données, elle calcule et redonne des informations.

Les techniques utilisées par l’IA

La machine utilise plusieurs techniques pour intégrer des données, les traiter et ensuite les utiliser dont :

- L’apprentissage machine
C’est le plus utilisé. L’apprentissage profond fait partie de ces techniques que les FaceBook et Google de ce monde ont mises en œuvre. « Profond signifie qu’il y a plus de niveaux entre l’entrée et la sortie, plus de niveaux de décomposition de l’information pour gérer la multidimensionnalité des informations. » a précisé monsieur Brethenoux ;

- Les systèmes à base de règles
Les systèmes de règles reviennent en force parce que tout ce qui a trait à la régulation, aux lois relatives à l’éthique de la donnée, est basé sur des règles à intégrer dans les systèmes utilisés ;

- Les systèmes d’optimisation
Utilisés pour la recherche opérationnelle, les systèmes d’optimisation ont recours aux raisonnements par contrainte ou à la programmation linéaire. Des techniques qui permettent de traiter un grand nombre de contraintes à travers un espace de solutions pour gérer,par exemple,un grand nombre d’étudiants dont les cours peuvent être donnés par un nombre restreint de professeurs ;

- Le traitement du langage naturel
« Les agents conversationnels font partie de cette avancée. » a précisé monsieur Brethenoux. « La robotisation de la connaissance est souvent sous forme de graphe, soit une collection d’éléments mis en relation entre eux. Ces systèmes intuitifs sont extrêmement performants pour raisonner. » ;

- Les agents logiciels
Les agents logiciels permettent de récupérer un morceau de programme et d’agir de manière indépendante pour gérer certaines tâches donc de devenir ‘relativement autonome’.

- Les systèmes de perception et ambiance intelligente
L’ambiance intelligente est une partie de l’IA qui permet de gérer tout ce qui relatif à la vision des ordinateurs, au système olfactif et à l’audition de la parole et des bruits ambiants par la machine.

Monsieur Brethenoux a complété en mentionnant que toutes ces techniques sont des algorithmes qui existent depuis longtemps et qui peuvent être mixés.Cet intermixage appelé l’intelligence artificielle composite permet de gérer plusieurs techniques ensemble pour résoudre un problème complexe.

Les applications de l’IA

Les applications associées à l’IA diffèrent de ce que les techniques traditionnelles ont permis. Elles concernent les systèmes « expert », les assistants personnels et les agents logiciels. Mais introduire ces nouvelles techniques dans une organisation exige de bonnes pratiques opérationnelles.

Pour aborder rapidement des problèmes, de manière pragmatique,tout en précisant comment recourir à l’IA, il faut d’abord se questionner :
- Quel est le problème ?
- Comment résoudre ce problème ?
- Quelles sont les techniques disponibles ?
- Et comment agencer ces techniques pour résoudre le problème ?

Les systèmes « expert » intègrent beaucoup de techniques d’IA et introduisent l’IA composite. Par exemple, à partir d’un inventaire d’expertises codées, l’organisation peut produire une interface pour les clients en ligne qui va refléter cette compétence et, au lieu de les faire choisir à travers un catalogue classique, le système va leur poser des questions pour préciser la réponse experte à apporter au client. C’est un système de règles mixé à un système d’apprentissage machine qui génère une certaine connaissance. Un type d’interface qui permet de conseiller les clients.

Les assistants personnels, assistants virtuels ou agents conversationnels, permettent de gérer une partie de la conversation à travers une machine et un script prédéterminé pouvant s’adapter au fur et à mesure que la conversation évolue. Cependant ces systèmes doivent être revus régulièrement par des humains.

Quant aux systèmes augmentés, ils sont utilisés en premier lieu pour trier et orienter les demandes vers une personne qui répond. Dans la mesure où l’IA peut analyser le client en parallèle pendant que l’employé intervient, ce dernier est mieux équipé pour répondre adéquatement, en temps réel.

L’agent logiciel gère une chose de manière automatique sans avoir à intervenir en utilisant des techniques d’optimisation pour sa mise en œuvre. L’agent logiciel tente de comprendre les attentes d’un client et même d’anticiper ses besoins. En général, cela fonctionne bien dans la mesure où le besoin individuel est compris, c’est de l’hypercontextualisation.

Cette gestion du contexte permet de gérer du sens à travers les données entrantes et qui sont quelquefois très difficiles à mettre en contexte à cause de leur grande variété. Cependant, monsieur Brethenoux a mis en garde contre l’hypercontextualisation, car si le client reçoit une information qui n’est pas pertinente, l’organisation perd sa confiance et il se désengage rapidement!

Les bonnes pratiques opérationnelles

Quelles sont les bonnes pratiques opérationnelles pour mettre ces systèmes en œuvre et pour qu’ils soient pérennes dans l’organisation ? Monsieur Brethenoux a suggéré une démarche en cinq étapes.

1. Cas d’utilisation. Quand une organisation consulte monsieur Brethenoux pour faire de l’IA, il demande dans un premier temps pourquoi l’entreprise souhaite s’engager dans cet exigeant processus et pourquoi faire. À partir de là, il s’agit de prioriser ce qui peut être mis en place rapidement pour générer le maximum de bénéfices.

2. Compétences. Vient d’abord la démarche elle-même qui fait entrer en jeu les compétences d’IA et celles des spécialistes de la donnée, de la connaissance, de la recherche opérationnelle ou des linguistes, selon les systèmes à déployer. S’ajoutent les experts du domaine, ceux qui vont utiliser l’IA. Le personnel de l’informatique joue aussi un rôle central pour l’opérationnalisation de ces systèmes. Par ailleurs, outre les spécialistes en IA, toutes ces personnes seront-elles disponibles et veulent-elles contribuer à mettre en œuvre l’IA ?

3. Données. Alors après avoir identifié ce qui sera fait et qui le fera, il faut avoir les données pour le faire. Il faut s’assurer que la donnée soit de qualité, disponible, éthique, libre de droit d’utilisation et accessible rapidement.

4. Technologie.C’est ensuite c’est possible de penser aux techniques à mettre en place.

5. Organisation. Finalement, il faut identifier quelle instance sera mandatée pour veiller au déploiement de cette nouvelle compétence en intelligence artificielle au sein de l’organisation.

L’éthique

L’évolution de l’IA repose sur son ingénierie pour mettre en place des systèmes adaptatifs pour l’IA par l’agrégation de ses différentes techniques. Gérer un système d’IA comporte son lot de complexités technologiques et opérationnelles sans négliger son impact sur les personnes. C’est pourquoi la vigilance s’impose en matière de sécurité, de transparence, d’éthique et de conduite du changement.

D’ailleurs les 193 États membres de l’UNESCO ont adopté le 25 novembre 2021 un premier texte mondial sur l’éthique de l’intelligence artificielle pour encadrer ces technologies révolutionnaires.

La gestion du changement

Monsieur Brethenoux a abordé la gestion du changement en donnant l’exemple de sa firme Gartner qui travaille sur le changement « open source » c’est-à-dire de manière collaborative et associative, une stratégie de changement cocréée. Et c’est en adoptant la conduite du changement sous l’angle de la transparence et de la confiance envers les systèmes de l’IA qu’une organisation favorise leur adoption par la collectivité.

Il a rappelé : « qu’il est faux de croire que ces systèmes remplacent des gens, cela remplace des activités. Certaines tâches techniques répétitives seront remplacées afin de libérer les personnes pour des tâches qui demandent des qualités humaines. » L’intelligence artificielle fournit des systèmes qui permettent d’épauler et de réagir. C’est ainsi que s’installe la collaboration humain-machine.

Pour démarrer avec l’IA

Une organisation qui veut s’engager sur la voie de l’intelligence artificielle doit penser d’abord à ce qui est utile pour elle. Elle peut intégrer l’IA pour résoudre un problème insoluble avec des systèmes traditionnels. Elle doit voir grand, agir rapidement, mais d’abord à petite échelle et toujours en veillant à l’adhésion des personnes selon monsieur Brethenoux.

En fin de conférence, il a conclu en ces termes : « Pour moi “intelligence artificielle” devrait être remplacé par “intelligence augmentée”. Nous sommes en train d’augmenter, d’accélérer l’intelligence. C’est ainsi que la collaboration entre l’humain et la machine s’avère très importante. »