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Sur le terrain de la réussite scolaire des étudiants-athlètes

Par Thérèse Lafleur

Les professeurs-chercheurs Alexandre Jobin-Lawler et Mathieu Boutet-Lanouette se sont penchés, sur l’intégration et la réussite scolaire d’étudiants-athlètes de niveau collégial. Leur rapport Sur le terrain de la réussite scolaire des étudiants-athlètes des collèges privés subventionnés du Québec peut nourrir la réflexion tant des collèges que des cégeps à l’égard de la réussite des jeunes athlètes qu’ils accueillent.


Alexandre Jobin-Lawlet, professeur-chercheur en anthropologie et en sociologie, CNDF et Cégep Garneau

Mathieu Boutet-Lanouette, professeur-chercheur en histoire, CNDF et Cégep Garneau

En entrevue, monsieur Jobin-Lawler présente le parcours des deux chercheurs : « Depuis 2016, le Programme de recherche et d’expérimentation pédagogiques— PREP et le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage— PAREA nous ont permis de porter un regard aiguisé sur les étudiants-athlètes de collèges privés subventionnés et des cégeps. Dans une première recherche, plus exploratoire, nous avons étudié la persévérance  avec des joueurs de football. Ensuite, nous nous sommes intéressés à l’intégrationii des étudiants-athlètes dans les cégeps. Nous présentons maintenant les résultats de notre récente recherche sur la réussite scolaire des étudiants-athlètes du collégial privé subventionnéiii. »

Un premier jalon de recherche

Selon monsieur Jobin-Lawler, au Québec la recherche comportant des données probantes sur les étudiants-athlètes de niveau collégial en est à ses balbutiements. « Nous partions de loin alors qu’aux États-Unis, par exemple, ce type de recherche abonde dans les collèges et les universités. C’est quand même étonnant qu’ici,  alors que nous consacrons beaucoup d’efforts pour accompagner les étudiants-athlètes, nous ne puissions pas nous appuyer sur des données probantes pour investir judicieusement nos ressources. Seul le Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) fournit quelques données statistiques. En ce sens, la recherche que nous avons menée se distingue, car elle se réfère à des multiples indicateurs et fait intervenir différentes variables. »

Cette recherche dresse un portrait de la réussite scolaire en première session à l’automne 2013, 2017 et 2018. Elle a porté sur 6 400 collégiens, dont 755 étudiants-athlètes, fréquentant quatre collèges privés subventionnés.Les données collectées ont été réparties en deux grands groupes soit les étudiants-athlètes qui pratiquent un sport administré par le RSEQ et les étudiants non-athlètes. À noter qu’un étudiant non-athlète du RSEQ peut toutefois être un athlète individuel inscrit à l’Alliance Sport-Études, mais aux fins de la recherche, seuls les étudiants-athlètes du RSEQ ont été considérés. Des 755 étudiants-athlètes contribuant à la recherche, 60 % étaient des garçons et 40 % des filles.

Un taux de réussite plus élevé

« En comparant les étudiants-athlètes du RSEQ avec les autres étudiants, nous avons pu étudier la réussite scolaire à partir de différents indicateurs. Notre objectif était de savoir si les étudiants-athlètes réussissent mieux ou s’ils ont plus de difficultés. Somme toute, d’aller au-delà des préjugés favorables ou défavorables envers les étudiants-athlètes. C’est possible qu’ils réussissent mieux, car ils poursuivent leurs études tout en ayant le sport pour les motiver à persévérer. Mais c’est aussi envisageable que le sport occupe trop de place leur laissant peu de temps pour étudier et être à leur affaire. »

Les données ont révélé que le taux de réussite des cours des étudiants-athlètes est légèrement plus élevé comparé aux autres étudiants.

Monsieur Jobin-Lawler précise que : « sur le plan des abandons de cours (0 à 30 %), ce sont davantage des étudiants non-athlètes qui ont abandonné leur cours dès la troisième ou la quatrième semaine donc des étudiants qui ne semblaient pas vouloir persévérer.  Nous avons constaté que les étudiants-athlètes avaient une moyenne de cours abandonnés plus faible que les autres étudiants alors c’est possible qu’il y ait un lien avec la persévérance. Par ailleurs, le RSEQ met en place des politiques d’admissibilité, par exemple les athlètes doivent réussir un certain nombre de cours par session pour faire partie d’une équipe intercollégiale. C’est donc possible que ces étudiants-athlètes abandonnent moins leurs cours et puissent aussi avoir un meilleur taux de réussite des cours. C’est probablement un des éléments qui joue.Mais des recherche sont aussi démontré que le parascolaire peut stimuler ou encourager la persévérance, notamment les travaux de Jacques Roy , chercheur en sociologie. »

Le parascolaire, facteur d’intégration et de persévérance

Le parascolaire représente donc un levier important pour la réussite notamment chez les étudiants-athlètes. Le parascolaire joue aussi un rôle non négligeable dans l’intégration de ces étudiants. Dans leur recherche Se rassembler autour d’un ballon : Étude sur l’intégration des étudiants-athlètes au collégial, Alexandre Jobin-Lawler, Matthieu Boutet-Lanouette et Lyne Rozon constataient que les étudiants-athlètes étaient sensiblement mieux intégrés sur les plans social, scolaire et même institutionnel.

« C’est-à-dire que les étudiants-athlètes allaient chercher plus de services offerts dans leur collège. Ils étaient plus intégrés dans leur milieu social. Ils avaient plus d’amis. Ils avaient un réseau qui les soutenait davantage. Sur le plan scolaire, leur niveau d’intégration était meilleur. Cela peut expliquer le fait qu’ils abandonnent moins leurs cours que les autres étudiants. » ajoute monsieur Jobin-Lawler.

Mesurer les effets

Est-ce que les moyens mis en œuvre pour soutenir les équipes d’étudiants-athlètes peuvent avoir contribué à la réussite ? À cela monsieur Jobin-Lawler répond que : « À ce jour, la question n’a pas été étudiée comme telle, analysée comme un référent probant à travers le réseau. Quel type de mesure a un réel impact sur tel type d’étudiant-athlète de Division 1, 2 ou 3 ? Par exemple, à la session d’automne, un joueur de football évolue au rythme des pratiques et des matchs. Cet étudiant-athlète se retrouve alors dans une situation où il doit fournir beaucoup d’effort et d’attention à la fois dans son sport et ses études. Mais quelles sont les mesures qui facilitent réellement sa réussite ? Peut-on identifier avec des données probantes celles qui fonctionnent bien ou moins bien, selon le sport, selon l’étudiant-athlète ? Des recherches restent à faire. »

L’enjeu de la réussite scolaire des étudiants-athlètes du collégial demeure pas ou peu documenté. Pourtant, ils représentent quelque 10 % de l’ensemble des collégiens. Bon an mal an, le RSEQ recense en moyenne 10 000 étudiants-athlètes dans les collèges et les cégeps.

Des interventions à prioriser

Les constats de l’étude des professeurs-chercheurs Jobin-Lawler et Boutet-Lanouette s’alignent sur ceux de nombres de résultats de recherche sur la réussite. Et cela même si des réalités différentes existent selon les collèges et les cégeps quant au soutien et à l’accompagnement des étudiants-athlètes.

En abordant la réussite scolaire des étudiants-athlètes du collégial privé, force est de constater ici aussi que deux groupes d’étudiants-athlètes ont plus de difficulté que les autres étudiants : les étudiants-athlètes masculins et les étudiants-athlètes dont la moyenne générale au secondaire (MGS) est de 70 % et moins.

En effet, les athlètes féminines du RSEQ réussissent mieux que les athlètes masculins. Par exemple en première session — 84,7 % des filles réussissent tous leurs cours comparativement à 69,9 % des garçons. Les tests statistiques démontrent cette différence significative mentionne Alexandre Jobin-Lawler.

Il poursuit en précisant « qu’en 2019, le RSEQ recensait dans les équipes féminines 3 567 filles, dans les équipes masculines 5 800 garçons et dans les équipes mixtes 2287 athlètes, soit environ 40 % de filles et 60 % de garçons. S’il y a une intervention à prioriser,elle devrait se faire auprès des étudiants-athlètes masculins quant à la réussite, mais aussi sur le plan de la persévérance. Les difficultés des garçons se voient aussi dans la réinscription au troisième trimestre. L’étude souligne aussi des difficultés quant à la diplomation même si les données relatives à cet élément sont plutôt restreintes comme nous le mentionnons dans notre rapport. »

Le rapport d’étude illustre aussi un taux d’échec alarmant chez les étudiants-athlètes dont la moyenne générale au secondaire (MGS) est de 70 % et moins. Un autre constat généralisé, mais qui s’aggrave dans le cas d’un étudiant-athlète. « Considérant une MGS de moins de 70 %, les étudiants-athlètes ont pratiquement le double d’échec que les autres étudiants. Ces étudiants-athlètes sont à risque et représentent un groupe à prioriser dans les interventions. » soutient monsieur Jobin-Lawler.
 

Note : RSEQ en bleu = étudiants-athlètes et NON RSEQ en rose = étudiants non-athlètes

Documenter le parcours des étudiants-athlètes du collégial

Pour cette recherche, les deux professeurs-chercheurs ont constitué une solide base de données leur permettant de calculer, de comparer et de croiser un certain nombre de variables pour en arriver aux résultats. Bien que leurs données soient tirées du collégial privé subventionné, elles mènent plus loin la réflexion en nuançant les strictes données brutes habituellement collectées.

« Bien que nos résultats de recherche illustrent la situation des étudiants-athlètes de quatre collèges privés subventionnés, nos recommandations visent l’amélioration des connaissances sur les étudiants-athlètes du collégial. Leur parcours doit être analysé davantage. C’est important d’abord de les identifier dans les classes, de reconnaître que ce sont des étudiants-athlètes. Ensuite, il faut veiller tout particulièrement à leur intégration vocationnelle et tisser des liens avec leurs entraîneurs. Au terme de cette recherche, nous croyons que l’équipe-collège peut agir stratégiquement et de manière concertée auprès des étudiants-athlètes en basant ses interventions sur des référents probants. » conclut monsieur Jobin-Lawler.


iBoutet-Lanouette, Matthieu et Alexandre Jobin-Lawler, (2017), « Le football collégial, un outil de persévérance et de réussite scolaires pour les garçons? ». Campus Notre-Dame-de-Foy, Saint-Augustin de Desmaures, 215 pages.

iiJobin-Lawler, Alexandre, Matthieu Boutet-Lanouette et Lyne Rozon (2019), « Se rassembler autour d’un ballon : Étude sur l’intégration des étudiants-athlètes au collégial ». Campus Notre-Dame-de-Foy, Saint-Augustin de Desmaures, 214 pages.

iiiJobin-Lawler, Alexandre, Matthieu Boutet-Lanouette (2021), « Sur le terrain de la réussite scolaire : une recherche sur les étudiants-athlètes des collèges privés subventionnés du Québec ». Campus Notre-Dame-de-Foy, Saint-Augustin de Desmaures, 91 pages.

 ivRoy, Jacques (2011), « Quête identitaire et réussite scolaire - Une étude de cas: la pratique d'activités parascolaires dans le réseau collégial ». Presses de l’Université du Québec, 114 pages.