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La sexualité, enseignée par Patrick Doucet

Traquer les tabous

Fin septembre dernier, Patrick Doucet, professeur de Psychologie de la sexualité au Cégep Marie Victorin, publie Le crépuscule du désir ? Comprendre la sexualité des adultes vieillissants. La méthode Doucet.

Par Alain Lallier, Portail du réseau collégial

Dans le passé, il avait publié plusieurs ouvrages sur la sexualité. Cette série de publications vise toujours à briser les tabous, les préjugés et les fausses croyances entourant la sexualité. 

D’un livre à l’autre, le lecteur est frappé par la manière dont l’auteur aborde les questions sur la sexualité. Qu’il soit question de masturbation ou de pornographie, Patrick Doucet a toujours le souci d’apporter des statistiques à l’appui de ses propos, et ce, tant en classe que dans ses livres. « Les statistiques sur ces questions permettent d’indiquer qui fait quoi. Il ne s’agit pas de dire si certaines pratiques sont bonnes ou mauvaises, mais bien de noter combien de personnes dans une population ont un intérêt ou des comportements sur le sujet à l’étude », explique-t-il.

Exemple : « Selon une étude américaine effectuée en 1998-1999 auprès de 154 filles et 149 garçons (âgés de 18 à 22 ans) à propos de leurs expériences sexuelles durant l’enfance, 40 % des filles et 38 % des garçons se sont masturbés avant la puberté. [...] L’âge moyen des filles était de 8,5 ans et, pour les garçons, de 9,6 ans. » (Ces tabous tenaces, p.142).

Utiliser des témoignages fait partie de la marque de commerce de l’auteur : « J’aime donner la parole à des gens ordinaires qui vivent leur sexualité à leur façon. Ça me permet d’incarner le propos dans les paroles d’une véritable personne qui vient d’une autre culture ou qui a une autre expérience que la mienne, comme une femme, un homme plus vieux, plus jeune, homosexuel, etc. C’est intéressant de donner la parole à des gens qui perçoivent les choses différemment, car on ne discute pas si souvent de l’activité sexuelle. Bref, des gens se sont confiés dans des ouvrages, et je récupère ce matériel pour bonifier le discours soutenu », ajoute-t-il.

Une femme de 78 ans écrit : « Mon mari et moi avons été ensemble pendant quarante-six ans. Notre vie sexuelle s’est épanouie une fois que les enfants sont devenus adultes. Nous pouvions batifoler sur le divan du salon, pas seulement dans la chambre à coucher [...] » (Le crépuscule du désir ? p.108).

Patrick Doucet ne fait pas seulement appel à la psychologie. Il fonde aussi ses analyses sur des données historiques et anthropologiques. « Les manuels de base sur la sexualité vont aller puiser dans la biologie, mais aussi dans le socioculturel. Au fil du temps, je me suis intéressé à l’anthropologie et à tout ce qui est pertinent pour amener une réflexion nuancée, pour nous sortir de nous-mêmes en tant qu’individus issus d’une culture particulière. Quand je parle à mes étudiants de la sexualité des enfants, d’ailleurs, ce n’est pas pour leur dire que ce qu’ils font est mieux, mais pour leur montrer que d’autres humains, avec le même système nerveux, ont vécu les choses autrement et pensent différemment. »

Les étudiants du professeur Doucet jouent un rôle de premier plan sur les façons d’aborder les questions. Une approche presque socratique ouvre le débat à l’aide de questions. « Au début, je montais mes cours en fonction des manuels. Mais après cinq ans d’enseignement, à un moment donné, je me suis demandé à quelles questions ce que j’enseignais cherchait à répondre. J’en suis arrivé à poser ces questions à mes étudiants pour ouvrir le sujet, puis je les ai relancés pour approfondir le tout. J’ai rendu compte de ces échanges dans mes livres. Tous les sujets que j’aborde en classe commencent généralement par des questions adressées aux étudiants. »

Toujours instruit

Dans le contexte actuel, surtout à Montréal où les étudiants sont de plus en plus issus de milieux culturels diversifiés, est-ce que d’aborder des questions semblables provoque des réactions ou des plaintes de la part des étudiants ou de leurs parents ? Le professeur avoue n’avoir jamais eu à parler à un parent de toute sa carrière. « Quand leur fille ou leur fils est rendu au cégep, les parents se disent sans doute que ce n’est plus leur place ici. Au fil des ans, j’ai développé une culture religieuse et je m’intéresse depuis longtemps aux questions liées à la psychologie des religions. D’ailleurs, je demande à mes étudiants s’ils pensent que la religion contribue au bonheur ou au malheur de l’être humain. Et je n’hésite pas à dire en classe, sans le moindre embarras, que les plus grands vecteurs de l’homophobie dans le monde d’aujourd’hui sont le christianisme et l’islam. J’ai lu la Bible et le Coran et je cite les versets pertinents. »  

« Dans un de mes livres, je raconte une discussion avec ma classe où je demandais aux étudiants si la virginité est encore importante. Et une étudiante musulmane a rétorqué : “Mais la virginité d’où ?” »

Il ajoute, d’ailleurs : « Certains étudiants peuvent être heurtés. Je parle des différences religieuses et ethniques, mais je précise toujours que tous les Noirs ne sont pas pareils, que tous les Blancs ne sont pas pareils, que ceux qui se disent chrétiens ne croient pas tous de la même façon, que ceux qui se disent musulmans ne croient pas tous de la même façon… D’entrée de jeu, j’évite de créer des stéréotypes. Mais s’il y a un verset dans la Bible, il est là pour tout le monde. Plusieurs étudiants m’ont remercié d’avoir abordé le sujet de la religion d’un point de vue critique, car on n’aborde jamais ce sujet au secondaire de cette façon. Ils ont trouvé la démarche libératrice. »

Pour Patrick Doucet, il est important de bien souligner l’influence des pratiques culturelles et religieuses sur la sexualité. « Dans un de mes livres, je raconte une discussion avec ma classe où je demandais aux étudiants si la virginité est encore importante. Et une étudiante musulmane a rétorqué : “Mais la virginité d’où ?” Elle parlait de la sodomie à laquelle s’adonnent des camarades pratiquantes de son âge. Je n’ai jamais trouvé de statistiques sur le pourcentage des jeunes musulmanes qui vont réserver leur virginité vaginale et qui vont plutôt commencer à avoir des relations sexuelles en pratiquant la pénétration anale. Voilà un exemple des répercussions des valeurs religieuses sur la vie sexuelle des personnes. »

Du même auteur :

  • Comment l’éducation sexuelle peut rendre plus intelligent, sur l’orientation sexuelle et l’homophobie (2015), éditions Liber;
  • La vie sexuelle des enfants (2016) éditions Liber;
  • Doit-on vraiment parler de tout ça ? Cunnilingus, fellation et autres délicatesses (2018), éditions Québec Amérique;
  • Ces tabous tenaces - La masturbation, la pornographie et l’éducation (2022), éditions Québec Amérique.  

Patrick Doucet est un des rares professeurs de cégep à avoir publié plusieurs ouvrages de vulgarisation sur ces sujets sensibles. Il le fait avec pertinence, de façon informée et bien documentée. On est loin ici de la sexopop. Dans la préface du livre Ces tabous tenaces — La masturbation, la pornographie et l’éducation, Normand Baillargeon écrit : « Vous irez ainsi, dans les pages qui suivent, de surprise en surprise, tantôt incrédule, tantôt scandalisé, tantôt amusé, mais toujours instruit. »