Nouvelles

FUSILLADE AU COLLÈGE DAWSON - Former de meilleurs humains

13 septembre 2016 - Article publié par La Presse + //////// Le 13 septembre 2006, un tueur fou a semé la terreur au Collège Dawson. Dix ans plus tard, la douleur est encore présente sur le campus. Mais elle se fait moins vive, plus constructive. En poste depuis 2005, le directeur général de l’établissement, Richard Filion, est d’avis que la tragédie a transformé l’établissement et sa communauté pour le mieux.

Sophie Allard La Presse

TÉMOIN

Lorsque Kimveer Gill a fait feu avec une arme semi-automatique sur des élèves du Collège Dawson, Richard Filion se trouvait dans son bureau qui donne sur la rue Sherbrooke. Il n’a pas entendu les tirs. Dès qu’on l’a prévenu du drame qui se jouait, il s’est immédiatement précipité sur les lieux. Il a été l’un des premiers sur place. « J’ai tout vu, j’étais choqué. » L’alerte avait été donnée par deux jeunes policiers. « Si l’individu avait eu le temps de s’installer en bas, ça aurait pu être un vrai carnage. » Jamais M. Filion ne prononcera le nom du tueur durant l’entrevue.

HYPERRÉALITÉ

Le directeur parle de la fusillade comme d’« un choc, un ébranlement phénoménal ». « Notre cerveau n’est pas préparé à traiter ce genre d’informations. Ça m’a pris quelques secondes pour comprendre. On ne vit pas en ayant à l’esprit qu’une telle chose puisse se produire. Ça nous frappe comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages. Ça nous précipite dans une dimension absolument inconnue. Ça ouvre une brèche dans la réalité. On est propulsé dans l’hyperréalité », confie le philosophe de formation. Il insiste toutefois : « On ne peut pas se barricader, on ne doit pas vivre de façon paranoïde. »

PAS DE FORTERESSE

Il n’a jamais été question de faire du Collège Dawson une forteresse. La direction a tout de même amélioré les mesures de sécurité (y investissant 1 million de dollars). « On a ajouté des agents de sécurité, des caméras de surveillance. On a refait le système d’interphones pour rendre les communications internes plus efficaces en cas de crise. On a refait le système de verrouillage des locaux, avec verrous intérieurs. Les portes extérieures peuvent désormais être contrôlées à distance. » Jamais on n’a songé à installer des détecteurs de métal. « Ça irait à l’encontre de notre mission éducative », dit M. Filion.

ARME À FEU

Dix ans après la fusillade à Dawson, le fusil semi-automatique dont s’est servi Kimveer Gill est, encore aujourd’hui, tout à fait légal et même plus accessible au Canada. Richard Filion est catastrophé. « Je trouve ça complètement hallucinant, épouvantable. C’est incompréhensible qu’on n’ait pas réussi à prendre des mesures pour contrôler l’accès à des armes de tir aussi puissantes. »

SIXIÈME SENS

« L’expérience qu’on a vécue le 13 septembre 2006 nous rend particulièrement sensibles, comme un sixième sens qui se réveille. On a les oreilles bien dressées et les yeux bien ouverts pour s’assurer de pouvoir détecter et traiter des comportements problématiques qui pourraient se produire autour de nous. Cette sensibilité est désormais dans notre tissu, dans notre communauté éducative. »

RÉSILIENCE ÉTUDIANTE

Richard Filion a été impressionné par la résilience des élèves qui sont retournés en classe dans les jours qui ont suivi la fusillade. « Ils nous ont montré la voie. Depuis, on s’efforce de surmonter ce choc en développant une inspiration nouvelle. Le sentiment d’appartenance est encore plus fort. Cette année, on veut rendre hommage à ceux qui ont souffert et à ceux qui souffrent encore. Mais on veut surtout célébrer la résilience d’une communauté qui, après un choc brutal, a réussi à en tirer une force. »

ÉDUQUER AUTREMENT

Pour prévenir de pareils drames, il faut repenser le modèle d’éducation, selon M. Filion. « L’école est le principal lieu de socialisation des jeunes. Si la socialisation échoue, qu’un jeune se sent rejeté, le réflexe est de s’en prendre au facteur de son échec, avance-t-il. Le système scolaire, hérité des siècles derniers, valorise la compétition. On vous catégorise comme un doué ou un cancre. Un enseignant qui traite un étudiant de vaurien parce qu’il ne réussit pas un dessin ou un théorème, c’est carrément inadmissible. Il faut imaginer un modèle qui appelle à la collaboration, au respect, aux valeurs communautaires, collectives. »

ENSEIGNER LA PAIX

Depuis 2006, au Collège Dawson, la mission éducative se veut plus globale. On souhaite y former de meilleurs humains, y enseigner la paix. « Après avoir compris de quoi le monde est fait, il ne nous reste plus qu’une chose : cultiver l’optimisme. Le seul moyen de sauver le monde est de faire fleurir les êtres humains », illustre M. Filion en citant Voltaire. Dès aujourd’hui et jusqu’au 21 septembre, Journée internationale de la paix, le Collège organisera plusieurs activités sur ce thème.